Mon titre s’inspire d’une récente déclaration de Donald Trump à l’endroit des migrants. Après les avoir qualifiés de voleurs, de violeurs et de gens venant de pays de merde, Donald se renouvelle les yeux rivés sur l’élection américaine qui arrive à grands pas. Maintenant, il parle de ces indésirables qui viennent empoisonner le sang des Américains.

Advenant sa participation, ces cibles pour la prochaine campagne électorale se précisent. Pourquoi changer de bouc émissaire quand on en a un aussi politiquement payant que la crise migratoire ? Oui, il y a de sérieux et préoccupants problèmes à la frontière sud des États-Unis. Mais la rhétorique hitlérienne de Donald ne réglera pas un problème d’une si grande complexité.

Dans sa quête du pouvoir, devenue une véritable dépendance, Trump ne se fixe aucune limite. Aussi, même si sa tentative de putsch de 2021 a été déjouée, il rêve toujours de transformer l’Amérique en autocratie. Advenant sa réélection, il a annoncé vouloir régler ses comptes avec ses ennemis et tous ceux qui ont résisté à ses ordres.

En attendant sa revanche, revenons à ce fameux sang américain qu’il cherche à protéger de l’empoisonnement. J’ai beaucoup de questions à lui poser. D’abord, qu’est-ce que du sang américain ? Est-ce que c’est le sang des Blancs de descendance européenne ? Est-ce que c’est celui des afrodescendants dont les ancêtres y ont été amenés de force ? Est-ce que c’est celui des autochtones qui y ont connu un dramatique génocide culturel ? Est-ce que c’est le sang des Mexicains à qui on a arraché des territoires par la force des armes ? Est-ce que c’est celui de la descendance des ouvriers chinois qui ont été au cœur de la construction du chemin de fer transcontinental ?

S’il existe un sang américain, il ne peut être qu’un composite physiologique, car l’histoire de ce pays, à la fois magnifique et abominable, n’a jamais cessé de s’écrire au fil des vagues migratoires et du métissage des cultures.

Aussi, quand des migrants d’hier, qui se disent désormais pures laines, insultent et méprisent ceux d’aujourd’hui, l’amnésie ou l’analphabétisme en matière d’histoire n’est jamais loin.

Ce dernier constat peut s’appliquer aussi aux nationalismes identitaires qui, au nom de la même pureté des sangs, recommencent à parader en Europe. En préparant cette chronique, j’ai revisité le livre du généticien Guy Drouin intitulé Les buveurs de lait sont des mutants.

Je vous cite un passage qui parle de migration : « Aujourd’hui des études génétiques démontrent que la majorité des Européens sont issus du mélange de trois populations de Sapiens ayant migré en Europe. Fait intéressant, deux de ces populations provenaient du Moyen-Orient. » Quoi ? Des Européens ont des ancêtres originaires du Moyen-Orient ?

C’est un fait que détaille l’auteur dans le même chapitre. La première migration fondatrice de cette hybridation est celle des chasseurs-cueilleurs arrivés à la fin de la dernière glaciation (entre 19 000 et 14 000 ans). La deuxième vague migratoire est celle des fermiers originaires majoritairement du Croissant fertile qui venaient d’inventer l’agriculture (il y a environ 10 000 ans). L’Europe plus humide a donc hérité, dit l’auteur, des animaux et des plantes qui ont été domestiqués au Moyen-Orient. La troisième migration est celle des Yamnayas, une population d’éleveurs originaire des steppes au nord de la mer Noire (entre 5000 et 4500 ans). Ce sont ces éleveurs qui auraient amené avec eux le langage indo-européen il y a 4500 ans.

Du mélange de ces trois vagues migratoires naîtront ces populations hybrides dont une certaine descendance ne s’imagine plus comme telle aujourd’hui. Bien avant ces métissages de populations, il y avait les galipettes entre Sapiens et Néandertal en territoire européen qui ont laissé des traces encore vivantes dans la génétique des Caucasiens.

Autrement dit, même la race dite aryenne que le Führer a cherché dramatiquement à garder immaculée provient d’un long historique d’hybridations.

Pour la couleur de la peau des Européens, la page précédente est aussi bien différente de celle qui s’écrit. En effet, une étude dirigée par le généticien des populations Iain Mathieson nous a appris en 2015 que la grande majorité des chasseurs-cueilleurs qui arpentaient différentes régions d’Europe il y a 8500 ans avaient la peau foncée et les cheveux bouclés. Une révélation qui a profondément heurté les milieux suprémacistes. Que voulez-vous ? Quand on se considère comme l’incontestable original à cause d’une banale histoire de couleur de peau, difficile d’accepter qu’on représente un mutant bien récent dans l’évolution des Sapiens.

Si vous voulez explorer plus en profondeur les histoires de vitamines B9, D et de mélanine derrière les mutations qui ont engendré la peau claire, je vous recommande le livre de Joseph Henrich qui s’intitule L’intelligence collective – Le succès de Sapiens.

Je tenais à vous raconter toutes ces histoires pour rappeler simplement que, contrairement aux grands travaux routiers, l’identité n’est pas coulée dans le béton. Au contraire, elle se métamorphose au fil des rencontres, des échanges et même des chocs de cultures comme ceux qui font rager Donald Trump en ces temps de crise migratoire et climatique.

Loin d’empoisonner les sangs, les brassages génétiques sont porteurs d’une résilience populationnelle face aux maladies. Ils nous gratifient de nouvelles artilleries dans la course aux armements qui nous oppose aux microbes pathogènes. Pour les adeptes de la pureté des sangs, il y a aussi les maladies génétiques dont il faut se méfier. La transmission de l’hémophilie dans la descendance de la reine Victoria et du tsar Nicolas de Russie est un exemple historique pour nous rappeler les conséquences délétères de la consanguinité. Ces gens qui ne voulaient pas que leur sang royal soit empoisonné par des étrangers ont été ironiquement frappés par une maladie du sang qu’on raconte encore aux étudiants dans les cours de génétique mendélienne.