Pendant que François Legault demandait aux enseignants d’« arrêter la grève », la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) préparait une contre-offre. Elle a été finalisée vendredi en fin de journée, et elle sera présentée ce samedi.

On peut, avec prudence, un peu peut-être si c’est possible, commencer modérément à croire à une entente négociée conclue bientôt. Car il n’y a pas vraiment d’autre option.

Pour un syndicat, une grève générale illimitée est plus difficile à interrompre qu’à entamer. Et pour un gouvernement, il est ardu d’y mettre fin à cause de récentes décisions des tribunaux.

Quand on pose le pied dans cet engrenage, on n’a pas le choix d’aller jusqu’au bout.

La dynamique des négociations a changé le 23 novembre quand la FAE a déclenché une grève générale illimitée. En coulisses, d’autres syndicats s’étonnent de la rapidité avec laquelle la FAE a recouru à cette arme. Elle frappe fort, mais offre peu de souplesse.

Même si Québec semble avoir modifié son ton à la table mardi, le syndicat ne pouvait pas suspendre sa grève puis la réactiver en cas de blocage. Selon la loi, il devait d’abord y mettre fin, solliciter ensuite un nouveau mandat auprès de ses membres, puis donner un préavis de sept jours avant de débrayer à nouveau.

La FAE s’est mise très tôt dans une position où elle devait jouer le tout pour le tout. À ses yeux, c’était nécessaire pour maximiser la pression. D’autant plus que Québec ne peut plus adopter une loi spéciale comme auparavant pour forcer le retour au travail.

Depuis le début des années 2000, la jurisprudence a évolué en faveur des syndicats. Leur droit de négocier a été renforcé.

En 2015, Philippe Couillard avait voté des lois pour interrompre les grèves des employés de la construction et des juristes de l’État. Les deux ont été invalidées par les tribunaux.

On espère tous un règlement négocié qui donnerait aux enseignants un salaire et des conditions de travail à la hauteur de l’importance de leur profession. Je ne plaide évidemment pas pour une loi spéciale. Je ne prétends pas non plus qu’elle soit envisagée – tout indique le contraire.

Mon but est d’expliquer les recours de Québec afin de mieux faire comprendre le rapport de force.

Il y en a trois.

Le premier : une loi spéciale pour forcer le retour en classe et imposer les conditions salariales. Cela requiert d’invoquer la disposition de dérogation afin de violer les chartes des droits et libertés. Le prix politique à payer serait monumental. Les caquistes risqueraient de ne jamais s’en relever.

Le deuxième, plus ratoureux : voter une loi spéciale en sachant que les tribunaux l’invalideront dans les prochains mois, mais en espérant trouver d’ici là une solution négociée. Là encore, ce serait jouer avec de la dynamite.

Le dernier serait d’imposer le retour en classe tout en poursuivant la négociation. C’est ce que le gouvernement Couillard avait fait en 2015 avec les juristes de l’État. La cour avait jugé la manœuvre anticonstitutionnelle. L’erreur libérale était notamment d’avoir prévu que si les discussions échouaient, Québec aurait le dernier mot. La négociation était ainsi biaisée. Le gouvernement caquiste pourrait proposer qu’un arbitre tranche en cas de blocage. Reste qu’on ignore ce que les tribunaux en diraient.

En d’autres mots : la loi spéciale ne fait plus vraiment peur. Voilà pourquoi la FAE a déclenché une grève générale illimitée.

Le gouvernement caquiste aimerait s’entendre avec ces quelque 65 000 enseignantes afin de débloquer les pourparlers avec le Front commun. Bien sûr, il ne veut pas récompenser le recours à la grève générale illimitée. Mais de toute évidence, ce léger inconvénient ne fait pas le poids face au soulagement d’une entente après un automne politique misérable.

Avec sa grève illimitée, la FAE aussi a pris un risque. Car rien n’est encore joué. Ses membres ne se satisferont pas d’un compromis bancal. Vendredi soir, leur présidente Mélanie Hubert a adouci le ton, comme si elle essayait de préparer l’atterrissage. Les gains devront être à la hauteur des sacrifices. Sinon, il restera une impression de mauvais théâtre.

Pour accélérer les négociations avec le Front commun, de multiples suggestions circulent. Celle de dégommer Sonia LeBel est une des pires.

PHOTO KAROLINE BOUCHER, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, au Salon bleu, plus tôt ce mois-ci

La présidente du Conseil du trésor est réputée pour être une des ministres les plus raisonnables. Sa capacité à trouver des consensus lui avait valu le titre de « parlementaire de l’année » en 2021, selon notre sondage mené auprès des députés eux-mêmes.

Et de toute façon, son départ changerait peu l’ambiance aux tables. La négociation ne se fait pas directement entre les chefs syndicaux et elle.

En voici l’organigramme…

Consultez l’organigramme des négociations

Ce n’est pas simple, comme me l’ont expliqué de façon confidentielle diverses sources impliquées dans les négos.

Il y a trois tables principales : celle avec le Front commun (420 000 syndiqués), celle avec la FAE (65 000 professionnels de l’enseignement) et celle avec la FIQ (plus de 80 000 infirmières, infirmières auxiliaires, inhalothérapeutes et perfusionnistes cliniques).

À cela s’ajoutent 81 négociations sectorielles, où se discutent des enjeux spécifiques à certains postes. Plusieurs d’entre elles ont toutefois été regroupées.

Québec a intérêt à exagérer cette complexité pour justifier la lenteur actuelle. N’empêche que ce n’est pas simple.

Particularité cette année : Québec a créé trois tables « prioritaires » pour « l’équipe soins », « l’équipe école » et « l’équipe santé mentale ». Ces sujets, habituellement intégrés dans les tables sectorielles, sont traités à part pour leur accorder plus d’importance.

Mme LeBel est responsable de la stratégie globale. Elle n’est toutefois pas présente à la table. La négociatrice en chef est Édith Lapointe, une haute fonctionnaire qui était également en poste sous les libéraux.

La ministre donne les orientations et supervise la cohérence. Si une table progresse moins vite, elle vérifie pourquoi. Quand il est question d’argent, les négociateurs doivent obtenir son feu vert. Mais pour plusieurs autres dispositions, ils ont de la latitude.

Les rencontres ont habituellement lieu dans les bureaux du Conseil du trésor, le plus souvent à Québec, parfois à Montréal. Quand l’employeur avance une proposition, le syndicat se retire dans l’antichambre, valide sa compréhension et coordonne sa réponse. L’inverse est aussi vrai. La durée des rencontres varie donc.

La règle générale est : pas de nouvelles, bonnes nouvelles. Car lorsque les partis négocient intensément, ils n’ont plus le temps de se critiquer.

Est-ce ce qui se passe en ce moment ? La discrétion de la FAE vendredi permet de croire que ce n’est pas impossible. Mais chose certaine, la tension est vive. Car depuis que la grève est devenue illimitée, les sorties de secours le sont aussi pour le Québec.

Il y en a une seule qui serait inattaquable : une entente négociée.