C’est l’histoire d’une héroïne qui préférerait ne pas en être une et se demande comment une chef de famille monoparentale qui fait un retour aux études peut joindre les deux bouts sans tomber au combat.

C’est l’histoire de Rosalie Lavoie, mère célibataire et étudiante de 46 ans, qui, durant la pandémie, a senti le besoin de changer radicalement de vie.

Après avoir étudié en littérature, écrit des livres et travaillé dans le monde de l’édition, notamment comme directrice éditrice de la revue Liberté, Rosalie a décidé de retourner aux études à temps plein pour devenir paramédicale.

En faisant ce grand virage, elle voulait d’abord et avant tout se sentir plus utile.

« Je n’en pouvais plus d’être devant mon ordinateur. J’avais besoin de m’inscrire dans le monde de façon plus concrète. »

Difficile de trouver plus concret que le fait de monter à bord d’une ambulance pour prodiguer des soins d’urgence à des citoyens en détresse.

Ce qui est malheureusement tout aussi concret pour la mère qui étudie à temps plein et travaille à temps partiel, c’est la grande précarité dans laquelle la plonge son retour sur les bancs du cégep – un retour qui, ironiquement, visait aussi à la sortir de la précarité.

L’aide financière qu’elle reçoit comme étudiante n’est que de 3300 $ en prêt et 120 $ en bourse. Alors que son loyer à Montréal gruge à lui seul la moitié de ses revenus, elle peine à arriver et vit un stress financier chronique. Pour joindre les deux bouts, elle a cumulé deux jobs cet été et continue à travailler à temps partiel dans un restaurant durant l’année scolaire. Sans les allocations familiales, ce serait carrément mission impossible.

Comme elle étudie dans un domaine de la santé en pénurie de main-d’œuvre, elle aurait pu par ailleurs s’attendre à bénéficier du programme de bourses Perspective Québec, visant notamment à augmenter le nombre de personnes qualifiées dans des services publics essentiels. Mais étrangement, même s’il n’y a pas plus essentiel qu’un technicien ambulancier paramédical, les soins préhospitaliers d’urgence ne font pas partie de la liste des programmes admissibles.

Ajoutez à cela le fait que la formation de Rosalie comprend un stage de 300 heures (avec un minimum de 30 heures par semaine), qui demeure non rémunéré, bien qu’il s’agisse d’un vrai travail très exigeant qui vient soulager un réseau de la santé surmené.

Alors qu’elle en est à la dernière année d’une formation technique de trois ans très stressante, Rosalie se sent épuisée. Il ne se passe pas un jour sans qu’elle se demande si elle va y arriver.

Dans ces conditions, il faut plus que vouloir devenir paramédical. Je commence à me dire qu’il faut peut-être, en fait, être fou pour faire ce que je suis en train de faire…

Rosalie Lavoie

La difficulté d’accès aux études des mères qui sont chefs de famille monoparentale n’est pas exactement un nouveau phénomène. Des Rosalie à bout de souffle, Sylvie Lévesque en a vu beaucoup avec les années. Directrice générale de la Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec, elle se bat depuis 30 ans pour une véritable égalité d’accès aux études pour les parents étudiants.

Certains combats ont été gagnés après de longues années de lutte. Mais d’autres demeurent plus que jamais d’actualité.

En 2003, Sylvie Lévesque dénonçait le fait que le programme de prêts et bourses, conçu a priori pour les jeunes en formation initiale, soit peu adapté à la réalité des parents étudiants. « Dans certains cas, l’aide accordée ne suffit pas à couvrir leurs dépenses réelles, s’avérant parfois même inférieure aux montants accordés par la sécurité du revenu (aide sociale) », observait-elle.

C’est malheureusement encore vrai aujourd’hui.

Il y a eu quelques améliorations. Mais c’est nettement insuffisant. Surtout aujourd’hui, avec la crise du logement, l’inflation, le coût des aliments, le manque de garderies… Avec tout ça dans le décor, il faut vraiment être une héroïne pour passer au travers de son programme d’études lorsque l’on est monoparentale.

Sylvie Lévesque, directrice générale de la Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec

À l’UQAM, Annie Noël de Tilly, coordonnatrice du Comité de soutien aux parents étudiants, voit cogner à sa porte de ces parents héroïques et endettés qui ont de plus en plus de mal à subvenir à leurs besoins. « La demande pour l’aide alimentaire et les autres services que l’on offre est vraiment en augmentation. »

Pour réduire l’endettement des parents étudiants et prévenir les abandons, il va de soi qu’un meilleur soutien de l’État s’impose. Québec s’est engagé lors du dernier budget à investir 140 millions de dollars par année pour mieux soutenir financièrement les étudiants, notamment ceux qui ont des enfants à charge. Mais pour bien des mères comme Rosalie, qui étudient pourtant dans des domaines où les besoins sont criants, cela ne suffit pas.

Comment se fait-il que le travail de futurs paramédicaux ne soit pas considéré comme assez « essentiel » pour donner droit aux bourses Perspective Québec ?

Au cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, on m’explique que le critère de la pénurie de main-d’œuvre n’est pas le seul que l’on considère pour dresser la liste des programmes admissibles. Le déficit de recrutement dans certains programmes fait aussi partie des critères d’évaluation, dit Simon Savignac, attaché de presse de la ministre.

« Va-t-on ajouter certains programmes ? Il est trop tôt pour le dire. »

Quant à la rémunération des stagiaires dans le secteur public, la ministre Pascale Déry s’est engagée à donner suite aux revendications des étudiants en éducation et en santé qui se battent depuis 2016 pour une réelle rétribution pour leur travail dans des domaines à nette prédominance féminine1.

Quand ? On ne le sait pas encore.

Les stagiaires en soins préhospitaliers d’urgence feront-ils partie du lot ? On ne le sait pas non plus. On en est encore à « analyser différents scénarios ».

En espérant que le scénario retenu ne confine plus les mères étudiantes dans un rôle d’éternelles héroïnes dont elles ne veulent pas.

1. Lisez l’article « Le combat pour des stages rémunérés n’est pas terminé »