C’est l’histoire d’un gars qui a choisi d’habiter au cœur de l’île de Montréal, à deux pas de la station Berri-UQAM.

Un jeune professionnel qui a acheté son condo il y a une dizaine d’années, investi une fortune en rénovations et toujours payé ses impôts fonciers rubis sur l’ongle.

Il n’a aucun problème avec les sans-abri toujours plus nombreux dans le quartier. Ni avec les fumeurs de crack qui consomment en public, de jour comme de nuit.

Son souci principal : la malpropreté chronique dans sa rue.

Et en filigrane : cette bureaucratie clownesque, qui l’a puni pour avoir osé dénoncer la situation.

Ce citoyen désenchanté habite dans une rue bloquée depuis des mois par des travaux de voirie. Rien de nouveau sous le soleil montréalais, ici. La Ville s’est engagée à ramasser les ordures selon des horaires fixes pendant le chantier, mais voilà, elle les enlève plutôt de façon aléatoire.

Il a appelé la ligne 311 à plusieurs reprises pour s’en plaindre.

Un inspecteur a fini par passer.

Soulagement, puis surprise : il a retrouvé, épinglé sur la porte de son immeuble, un constat d’infraction de plusieurs pages à son nom, écrit à la mitaine par un fonctionnaire et accompagné d’une abondance de photos incriminantes, pour avoir sorti ses déchets le mauvais jour !

Facture : 280 $.

Je récapitule ici pour souligner l’absurdité de la situation.

Un fonctionnaire a pris la peine de venir sur place, d’éventrer des sacs-poubelle, dans le seul but de trouver un coupable, sans régler d’aucune façon le problème de malpropreté qui persiste à ce jour.

Perte de temps pour le citoyen et dépenses publiques inutiles sont à prévoir pour régler ce dossier ahurissant.

Il s’agit là d’un exemple microscopique de mauvaise gestion, on s’entend. Il y en a malheureusement beaucoup, beaucoup d’autres.

J’ai pondu une chronique récente sur le sujet, et vous avez été des centaines à me fournir des exemples déplorables près de chez vous. À Montréal, en bonne partie, mais aussi aux quatre coins du Québec.

Lisez « Cette désagréable sensation de ne pas en avoir pour son argent »

Voici en rafale quelques cas qui témoignent de l’écœurement collectif envers la gouvernance inintelligente :

Un dos d’âne éphémère

« Août 2023, nous recevons un avis de l’arrondissement de Verdun nous informant que notre rue sera refaite dans les trois prochaines semaines, m’écrit Hélène, de L’Île-des-Sœurs. Pourtant cette même semaine, on vient installer un dos d’âne sur notre rue. Trois semaines plus tard, la Ville le détruit pour réasphalter la rue. Les travaux sont maintenant terminés et le dos d’âne, inexistant. En parlant d’aberration… »

Patcher sous la pluie

« Sur la 10Avenue, coin Bélanger. Il a plu toute la matinée, mais je vois une employée de la Ville boucher à la pelle des trous avec un peu d’asphalte, m’écrit Gisèle, de Rosemont. Le hic, c’est que les trous sont encore pleins d’eau ! À rebord ! Je lui demande pourquoi elle met de l’asphalte quand les trous sont encore pleins d’eau. Elle me répond qu’elle n’est pas payée pour vider les trous, mais pour les remplir. Et elle continue son chemin. »

Aberration estrienne

« Cet été, nous avons vu une aberration : le lignage pour un passage piéton a été fait en juin pour traverser un corridor du sentier village-montagne très fréquenté, et ensuite la semaine d’après, le tout recouvert a été d’asphalte pour colmater les nids-de-poule, m’écrit Charles, de Sutton, en Estrie. Pour la coordination, on repassera. »

Nettoyer pendant le déluge

J’ai vu cet autre exemple sur les réseaux sociaux. Pendant une pluie diluvienne, il y a quelques semaines, un camion de nettoyage balayait tout bonnement la chaussée, alors que plusieurs centimètres d’eau s’étaient déjà accumulés. Un porte-parole de la Ville de Montréal m’a donné cette réponse surprenante : « Les équipes respectent le passage des balais, selon l’horaire en vigueur. Il faut comprendre que la pluie ne remplace pas les équipements motorisés ; les brosses du balai et l’aspiration des déchets étant requis, en plus de l’arrosage. »

PHOTO TIRÉE DE FACEBOOK

Un camion de la Ville de Montréal balaie sous une pluie diluvienne, à l’été 2023.

Cette rue n’aura pas manqué d’hydratation, c’est au moins ça de pris.

La thématique qui ressort de tous les messages que vous m’avez envoyés, c’est que le contrôle de la qualité est trop souvent déficient, voire absent, dans bien des ouvrages publics.

Le travail peut être fait n’importe comment, par des employés ou sous-traitants des villes, sans aucune conséquence. Aux frais des contribuables, bien entendu.

Ka-ching !

Mais dès lors qu’une situation est le moindrement médiatisée, les autorités sortent de leur torpeur.

Deux cas récents, petits, mais révélateurs :

Mon collègue Nicolas Bérubé a révélé la semaine dernière la présence de vieilles traverses en bois datant du XIXe siècle, qui sont réapparues sous le bitume usé dans le sud-ouest de Montréal. Une réparation temporaire avait été faite quelques jours après la publication de son article1.

Le passé ressurgit dans Saint-Henri
  • D’anciennes traverses de chemin de fer du XIXe siècle sont réapparues sous le revêtement usé, dans le quartier Saint-Henri. On les voit ici le 11 septembre 2023.

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

    D’anciennes traverses de chemin de fer du XIXe siècle sont réapparues sous le revêtement usé, dans le quartier Saint-Henri. On les voit ici le 11 septembre 2023.

  • Les traverses ont été retirées et la fondation de la structure de chaussée a été préparée « en vue du pavage temporaire qui sera réalisé vendredi », a indiqué l’arrondissement jeudi.

    PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

    Les traverses ont été retirées et la fondation de la structure de chaussée a été préparée « en vue du pavage temporaire qui sera réalisé vendredi », a indiqué l’arrondissement jeudi.

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Plus tôt en septembre, je vous parlais d’un travail de colmatage bâclé à une intersection de Rosemont, avec du bitume installé par-dessus une bouche d’égout, gondolant jusqu’au trottoir. L’ouvrage a été refait dans les jours suivant cette chronique.

Les vagues de bitume disparaissent
  • L’intersection du boulevard Saint-Michel et de la rue Bélanger, le 31 août 2023

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    L’intersection du boulevard Saint-Michel et de la rue Bélanger, le 31 août 2023

  • La même intersection, le 21 septembre 2023

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    La même intersection, le 21 septembre 2023

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Oui, les villes ont de plus en plus de dossiers chauds à gérer, comme la crise du logement et l’explosion de l’itinérance. Mais elles ne peuvent faire l’économie d’offrir des services de base dignes de ce nom à leurs résidants et leurs commerçants, qui voient leurs comptes d’impôt foncier grimper d’année en année.

Le point de saturation des fidèles contribuables approche.

C’était la deuxième des 50 chroniques que je vous ai promises sur le gaspillage de fonds publics. Je commence tout juste à gratter la surface (du bitume). Les projets menés par Québec et Ottawa me fourniront aussi de l’excellent matériel, à n’en point douter.

J’attends vos courriels pour la suite.

1. Lisez « L’arrondissement du Sud-Ouest a retiré les traverses »

Appel à tous

Vous avez été témoin d’un exemple de gaspillage de fonds sur la voie publique ?

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