« Non. »

C’est, en gros, ce qu’a répondu jeudi François Legault aux maires des plus grandes villes du Québec, qui cherchent à obtenir plus de revenus et de pouvoirs pour financer leurs services et leurs infrastructures.

« Gérez mieux vos affaires », a essentiellement renchéri la ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest, celle-là même qui devra bientôt négocier un nouveau « pacte fiscal » entre Québec et les villes.

Ce qui s’annonçait comme une négociation compliquée prend déjà les allures d’un bras de fer, voire d’un affrontement.

Les positions sont campées (aux antipodes).

On peut s’attendre à bien du lançage de boue sur la place publique, et encore plus en coulisses, au cours des prochains mois.

Ça commence raide, c’est le moins qu’on puisse dire.

Le pacte fiscal, donc.

C’est un dossier rébarbatif, souvent difficile à suivre même pour les initiés, mais qui est en même temps bien terre à terre.

En gros, il s’agit d’une entente sur plusieurs années conclue entre Québec et les villes, pour établir qui paie quoi et comment sont partagés les revenus fiscaux.

Le pacte actuel se termine à la fin de 2024. Les villes réclament une révision majeure pour affronter toutes les nouvelles responsabilités qui leur sont tombées dessus depuis quelques années.

Un scoop ici : elles ne font pas que chialer pour chialer.

Les villes ont hérité d’une série de nouveaux problèmes à gérer ces dernières années, et pas les plus minces, qui leur coûtent une fortune en ressources humaines et en dollars.

Explosion de l’itinérance, accueil de milliers de migrants, adaptation aux changements climatiques, crise du logement, réparation d’infrastructures vieillissantes, bonification du transport en commun, hausse des coûts de construction… La liste est longue et elle continuera de s’allonger.

Les villes sont en première ligne, sur le terrain, pour régler mille et une situations qui tombent sous le grand parapluie de la « fiscalité ».

On est loin des colonnes de chiffres, ici.

La mairesse de Gatineau, France Bélisle, a raconté de façon poignante comment son conseil municipal avait décidé de débloquer 5 millions de dollars pour ouvrir une ressource destinée aux sans-abri, après qu’une jeune femme avait été contrainte d’accoucher seule, dans un boisé.

Une décision coûteuse pour la Ville, mais incontournable.

« Je le fais parce que moi, quand je rentre chez nous et que je me démaquille, je veux me regarder en pleine face et me sentir bien », a lancé Mme Bélisle avec émotion pendant une rencontre sur la fiscalité organisée jeudi par l’Union des municipalités du Québec.

Voyez le témoignage de France Bélisle

Québec et Ottawa paient déjà une partie de ces nouvelles dépenses, mais les villes se retrouvent avec une part disproportionnée de la facture. Or, leur principale source de revenus – l’impôt foncier – n’a pas une élasticité infinie.

En fait, l’élastique est sur le point de céder.

Les contribuables ont déjà subi des hausses de taxes salées ces dernières années, et il serait périlleux de ponctionner encore davantage leur portefeuille en cette période de forte inflation.

Les villes en sont bien conscientes. C’est pourquoi elles souhaitent revoir le modèle du financement municipal qui se fissure de partout, de leur point de vue. Elles jonglent avec la possibilité de réduire les services à la population ou d’augmenter l’impôt foncier, ou encore de mélanger ces deux solutions, si aucun accord n’est trouvé.

Québec estime pour sa part en avoir déjà fait beaucoup lors de la négociation du dernier pacte fiscal, en 2019. Le gouvernement a permis aux villes de « diversifier » leurs sources de revenus, a rappelé jeudi la ministre Andrée Laforest, en plus de leur verser année après année la croissance des revenus tirés d’un point de TVQ.

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En filigrane de cette renégociation du pacte fiscal se trouve la question du contrôle des dépenses et des salaires dans le monde municipal.

François Legault n’a pas manqué de souligner que les employés municipaux étaient payés en moyenne 30 % de plus que leurs homologues provinciaux, jeudi matin.

Il voit là une raison supplémentaire de demander un « effort » aux villes dans la gestion de leurs budgets.

L’argument de Legault a déplu dans les rangs municipaux, vous vous en doutez bien. Quoi qu’il en soit, il est vrai que plusieurs dépenses, et la prestation médiocre de certains services, soulèvent la colère des citoyens à Montréal, Rimouski, Granby, Alma… Ils ont l’impression de payer toujours plus pour recevoir toujours moins.

J’ai reçu des centaines de courriels de contribuables excédés après la publication d’une chronique sur le sujet plus tôt cette semaine.

Lisez la chronique « Cette désagréable sensation de ne pas en avoir pour son argent »

Les villes défendent leurs budgets, chiffres à l’appui, en disant que leurs dépenses ont beaucoup moins augmenté que celles de Québec et d’Ottawa au cours des dernières années.

Selon une analyse de l’économiste Louis Lévesque, les dépenses des cinq plus grandes villes du Québec ont grimpé de 11 % entre 2018 et 2023, en dollars constants, contre 19 % pour celles du provincial et 24 % pour celles du fédéral.

Ces chiffres risquent d’entraîner d’interminables débats et de prêter à plusieurs interprétations au cours des prochains mois.

La réalité dans la rue est cependant indéniable, quand on voit toutes ces personnes en situation d’itinérance et ces familles à la recherche d’un logement. Elle impose à Québec de trouver un terrain d’entente avec les villes.