Même si ça « achale un petit peu » François Legault, il est normal que son injection massive de fonds publics dans la filière batterie suscite des questions.

Le chef caquiste ne se gênait pas lui-même pour critiquer le sauvetage de Bombardier par le gouvernement Couillard. Certes, ces dossiers sont très différents. Mais ils obéissent à la même règle de base : plus l’investissement est grand, plus il mérite d’être scruté à la loupe.

L’offensive de Québec pour implanter une chaîne de création de batteries pour véhicules électriques sera-t-elle rentable ? Personne ne peut le dire avec certitude. M. Legault lui-même ne peut pas chiffrer précisément les retombées économiques. Comme les autres mortels, il ne connaît pas l’avenir.

M. Legault a réagi émotivement aux critiques parce que ce dossier incarne la raison même de son retour en politique : le nationalisme économique.

Le dossier le passionne, assez pour avoir publié un livre sur le sujet et pour avoir fait des détours pour visiter des entreprises lors de voyages personnels.

Dans la dernière année, Québec a annoncé des subventions conditionnelles, des prêts ou des prises de participation dans plusieurs projets (Volta, Ford, GM, BASF, Recyclage Lithion, Vale, Lion, Taiga). Le plus gros est à venir, avec un projet d’environ 7 milliards qui devrait bientôt être confirmé pour le fabricant de cellules Northvolt. Chaque composante de la chaîne de création d’une batterie serait ainsi présente au Québec.

Avec la transition énergétique, les voitures à essence finiront par disparaître. La technologie de la batterie se développe vite. C’est maintenant que les investissements à long terme se font. Le pari caquiste : sortir le chéquier pour les attirer au Québec et créer un nouveau secteur structurant pour l’économie comme les alumineries ou l’aéronautique.

Chaque annonce vient avec un montage financier distinct. Pour Ford (usine de cathodes), l’aide de Québec consiste principalement en une subvention conditionnelle. Pour Recyclage Lithion, il s’agit majoritairement d’une participation dans le capital-actions. Et pour Volta (feuilles de cuivre pour fabriquer des anodes), l’essentiel de l’aide prend la forme d’un prêt qui devra être remboursé.

Québec croit que les retombées économiques en valent la peine.

Elles sont calculées par l’impôt que payeront les employés et les entreprises – en ce sens, il est pertinent de savoir que Volta est domiciliée au Luxembourg.

Ces retombées proviennent aussi de la création de valeur dans la chaîne d’approvisionnement. En amont, par exemple, l’activité minière sera stimulée. Et en aval, des fournisseurs locaux obtiendront de nouveaux contrats. Québec mise sur le long terme. L’espoir : que les bénéfices durent pendant des décennies.

En contrepartie, il faut analyser le coût d’option. Qu’aurait-on pu faire en investissant cet argent ailleurs ? Et sans ces annonces, les travailleurs auraient-ils contribué à d’autres entreprises ?

Avec la pénurie de main-d’œuvre, la création d’emploi n’est plus un argument convaincant. Ces postes doivent être plus payants que la moyenne.

La filière batterie réussira seulement avec un plan de requalification des travailleurs pour les former vers ces emplois mieux rémunérés. Investissement Québec y œuvre en collaboration avec les cégeps pour implanter de nouveaux programmes.

En avril, la ministre des Finances du Canada, Chrystia Freeland, s’inquiétait de la « course vers le fond » lancée par les États-Unis. Avec son Inflation Reduction Act, le président Joe Biden a fait pleuvoir les milliards pour rapatrier et consolider la production de biens stratégiques, surtout pour l’énergie propre et l’informatique.

Mme Freeland n’est pas seule. Le président français, Emmanuel Macron, a résumé les choses ainsi : « Vous allez peut-être régler votre problème, mais vous allez aggraver le mien. »

C’est la même logique de concurrence qui incite des États à baisser les impôts des entreprises, ce qui finit par réduire les revenus de tous les pays.

Malgré la crainte de Mme Freeland, le Canada participe à cette surenchère. Il offre une subvention de 700 millions pour construire en Ontario une usine de Volkswagen, en plus d’une aide proportionnelle à la production qui suivra. L’investissement pourrait s’élever à 13 milliards, et la majorité serait payée par le fédéral.

Des économistes sont sceptiques⁠1. Ils soutiennent que cela ne corrigera pas nos problèmes de fond : la faible productivité, le sous-investissement des entreprises et le manque de fonds en recherche et développement.

Pour le Québec, cette critique doit être nuancée.

D’abord, les sommes ne sont pas les mêmes. Les subventions conditionnelles provinciales totalisent moins de 300 millions dans les projets dont on connaît le montage financier.

Ensuite, il y a l’angle nationaliste. En injectant de l’argent, M. Legault a incité le fédéral à participer. Ne rien faire aurait équivalu à laisser cette somme profiter au reste du Canada.

Enfin, l’industrie part ici de zéro. L’effort requis est plus grand. M. Legault s’inspire de Bernard Landry qui avait créé une nouvelle filière économique avec le jeu vidéo. Deux décennies plus tard, la vision du chef péquiste est saluée, mais des experts jugent que l’aide n’est plus requise⁠2 et qu’elle nuit même aux entreprises locales qui se battent pour la main-d’œuvre.

Avec l’électrification des transports, on ne parle plus de divertissement. C’est l’avenir des déplacements motorisés qui est en cause. Que l’on soit d’accord ou non avec MM. Legault et Fitzgibbon, on ne peut les accuser de manquer d’ambition.

Dans un monde idéal, les pays ne se livreraient pas à cette concurrence mutuellement désavantageuse. L’opposition n’a pas tort de trouver que cela fait beaucoup d’argent, surtout si cette aide se maintient à long terme. Reste que la question difficile demeure pour les autres partis : auriez-vous laissé passer cette occasion ? Sinon, comment auriez-vous négocié ces ententes ?

La CAQ prend un risque. Mais de son point de vue, ne rien faire serait un risque encore plus grand, celui de ne pas participer à la transition énergétique.

1. Lisez une analyse de l’économiste Jack Mintz, de la School of Public Policy de l’Université de Calgary (en anglais) 2. Lisez un rapport du CIRANO publié en 2017