Au péril de sa vie, le Dr Mohamed Helmy, médecin arabe vivant à Berlin durant la Seconde Guerre mondiale, a sauvé une jeune femme juive allemande et sa famille de la déportation.
« Le Dr Helmy a tout fait pour moi de bon cœur et je lui en serai reconnaissante pour l’éternité », a dit Anna Boros au sujet du médecin qui lui a sauvé la vie durant l’Holocauste. Il est devenu, à titre posthume, en 2013, le premier Arabe à recevoir la distinction de « Juste parmi les nations » par Israël.
Né en 1901 au Soudan de parents égyptiens, Mohamed Helmy s’est rendu en Allemagne en 1922 pour y faire ses études en médecine. Il y est ensuite resté pour travailler. Victime de discrimination à cause de ses origines et de son opposition au régime nazi, il a lui-même été arrêté en 1939, envoyé en prison, puis relâché un an plus tard pour des raisons de santé. Cela ne l’a pas empêché de prendre des risques pour défier davantage le régime.
En 1941, avec l’aide d’une amie allemande, il décide de faire tout en son pouvoir pour sauver la vie d’Anna Boros et de sa famille. De mars 1942 jusqu’à la fin de la guerre, il cachera la jeune femme chez lui. Un geste courageux qui n’a jamais été oublié par la famille qui a immigré aux États-Unis après la guerre. Dans les années 1950 et 1960, la famille a envoyé des lettres de gratitude au Sénat de Berlin, afin que le courage du Dr Helmy ne soit pas oublié.
Je ne connaissais pas la fascinante histoire du Dr Helmy avant de m’entretenir avec Ahmed Obaid Al Mansoori, fondateur du musée du Carrefour des civilisations, à Dubaï, lors de son passage récent à Montréal à l’invitation de la Fondation pour l’étude des génocides.
Le musée du Carrefour des civilisations est le premier musée du monde arabe à avoir inauguré, en 2021, une exposition permanente consacrée à la mémoire de l’Holocauste. L’histoire du Dr Helmy est l’une des nombreuses histoires présentées dans ce musée qui raconte non seulement l’horreur de la Shoah, mais aussi des pans méconnus d’une autre histoire peu racontée : l’histoire de l’harmonie entre Juifs et Arabes dans la région, vus aujourd’hui comme des ennemis éternels.
Alors que la solidarité avec les Palestiniens fait de l’Holocauste un sujet tabou dans plusieurs pays arabes, M. Al Mansoori croit que son musée a le pouvoir de défier ce tabou et de ramener au premier plan l’humanité et les valeurs universelles qui nous lient tous.
La politique sépare les gens. Mais au musée, on cherche à accueillir tout le monde et à identifier les similitudes.
Ahmed Obaid Al Mansoori, fondateur du musée du Carrefour des civilisations
Le musée mise sur le respect, meilleur point de départ pour l’éducation, me dit M. Al Mansoori. Respect de l’autre. Respect des faits historiques.
« L’Holocauste est un fait. Dès la 4e année, j’en ai entendu parler. On savait pour l’Holocauste, les nazis et ce qu’ils avaient fait aux Juifs, le génocide, le plan de nettoyage ethnique… Mais on ne savait pas ce qu’ils avaient fait aux gitans, aux homosexuels, aux handicapés. »
Dans un contexte où le déni, les discours haineux, l’ignorance et la désinformation demeurent trop présents, les Émirats arabes unis (EAU), qui ont normalisé leurs relations avec Israël en 2020, enseignent désormais l’histoire de l’Holocauste dans les écoles. Et pour mieux y arriver encore, M. Al Mansoori aimerait que les écoles des EAU, qui ont leurs propres défis en matière de droits de la personne, puissent s’inspirer du guide pédagogique Étudier les génocides lancé au Québec en 2022 grâce à Heidi Berger et à sa Fondation pour l’étude des génocides1.
Cette formidable initiative, première du genre au Canada, aborde neuf génocides reconnus par les Nations unies ou par le gouvernement canadien, dont le génocide des Arméniens, l’Holocauste, le génocide des Premières Nations au Canada et le génocide des Tutsis au Rwanda.
D’abord lancé en français et mis à la disposition des enseignants du secondaire au Québec qui peuvent le consulter gratuitement en ligne, le guide a récemment été publié en version anglaise2.
« On discute maintenant de la possibilité de le faire traduire en arabe ! », me dit Heidi Berger, elle-même fille de survivants de l’Holocauste, qui envisage de présenter son projet dans des écoles de Dubaï.
Ici comme ailleurs, l’objectif de l’étude des génocides est le même. Il s’agit d’éveiller l’esprit critique nécessaire pour comprendre l’origine du racisme et de la haine ayant mené aux pires tragédies de l’histoire.
Il s’agit aussi de comprendre les étapes du processus génocidaire, qui commence avec de simples mots pour d’abord catégoriser, déshumaniser et cliver, pour ensuite organiser, persécuter, mettre à mort et nier.
Il s’agit finalement de savoir que nous ne sommes pas impuissants devant cet engrenage. La haine qui est construite peut (et doit) être déconstruite. Les États ont une responsabilité en ce sens. Les simples citoyens aussi. Comme l’a démontré le courageux Dr Helmy.
1. Lisez la chronique « Retenez les noms des génocides » 2. Consultez le guide pédagogique Étudier les génocides