C’est en hésitant, presque à reculons, que Léa Clermont-Dion a porté plainte pour agression sexuelle contre l’ex-journaliste Michel Venne, en 2017. « J’étais complètement désillusionnée. J’avais perdu confiance en l’autorité, au sens large. »

On connaît l’histoire. Michel Venne, son mentor et patron, l’avait agressée à Québec en 2008, alors qu’elle n’avait que 17 ans. Des années plus tard, Lise Payette, une figure d’autorité à ses yeux de militante féministe, avait cherché à la dissuader de porter plainte. Et puis, la jeune femme avait « des préjugés à l’égard des policiers ». Ça remontait à la crise étudiante de 2012 ; le dernier policier auquel elle avait été confrontée avait matraqué son ami dans une manif…

Léa Clermont-Dion était donc « extrêmement méfiante » lorsque l’enquêteur Daniel Raymond, du Service de police de la Ville de Québec (SPVQ), s’est pointé chez elle, à Montréal, pour recueillir sa déposition. Mais, très vite, tout a changé.

L’enquêteur Raymond faisait preuve d’une telle empathie que Léa Clermont-Dion s’est tout de suite sentie en confiance. Au cours du long processus judiciaire qui a suivi, elle s’est attachée à lui. « C’est vraiment quelqu’un qui m’a marquée. »

Elle n’est pas la seule à le dire. Victimes, procureurs, policiers, famille et amis… tout le monde aime Daniel Raymond. Enfin, tout le monde l’aimait.

Je devais l’interviewer ces jours-ci, mais la mort avait d’autres plans. Daniel Raymond s’est éteint jeudi soir, à 49 ans, des suites d’un cancer. Il laisse dans le deuil ses enfants, Thomas et Rachel, ainsi que sa femme, Nancy Godbout.

Il n’y aura donc pas d’entrevue.

Laissez-moi tout de même vous parler de ce policier gentleman, qui a su gagner, par son écoute, son professionnalisme et son extrême gentillesse, la confiance de centaines de victimes, adultes et enfants, au cours de sa carrière au sein du SPVQ.

« On se fait une image du policier en uniforme qui donne des contraventions et qui peut être parfois sévère », dit le procureur Michel Bérubé. L’enquêteur Raymond ne correspondait pas à cette image. En fait, il était tout le contraire. « Chaleureux, humain, attentionné… »

PHOTO FOURNIE PAR LÉA CLERMONT-DION

L’enquêteur Daniel Raymond en compagnie de la mère et du bébé de Léa Clermont-Dion, au procès de Michel Venne

« Le passage dans le système judiciaire est extrêmement stressant. On vient parler des évènements traumatiques qu’on a vécus », ajoute MBérubé. Or, « Daniel était quelqu’un d’apaisant ». À son contact, les victimes reprenaient leur souffle. Et leur courage.

C’est le cas de l’écrivaine Jill Côté, qui a porté plainte contre Michel Brûlé en 2017. L’éditeur a été reconnu coupable d’agression sexuelle quatre ans plus tard. Il est mort dans un accident au Brésil, en mai 2021, avant que sa peine ne soit prononcée.

« Cela a duré quatre ans. Quatre ans à revivre chaque fois l’agression, raconte Jill Côté. Quand M. Brûlé était présent, je tremblais, j’avais peur. Daniel était toujours là et me rassurait. Il était avec moi, toujours parfait dans son attitude. C’était un grand homme qui avait vu trop de choses, je pense. »

C’est que des dossiers impliquant des mineurs atterrissaient régulièrement sur le bureau de Daniel Raymond, raconte Éric Descarreaux, son ancien partenaire aux enquêtes. « Il avait cette grande force de pouvoir recueillir la parole d’un enfant. Il était très bon dans ça, aussi. »

Daniel Raymond savait parfaitement s’adapter à la personne qui lui faisait face. « Chaque victime est différente, dit son ex-coéquipier. Léa, c’était une personne forte qui voulait avancer. D’autres victimes sont très renfermées. Daniel avait cette capacité de pouvoir écouter n’importe qui. »

PHOTO ERICK LABBÉ, ARCHIVES LE SOLEIL

Jill Côté avec l’enquêteur Daniel Raymond (de dos), lors du procès de Michel Brûlé, au palais de justice de Québec

Sans le savoir, Daniel Raymond a contribué à changer les perceptions de Jill Côté. « Être accompagnée par un homme comme ça, moi qui avais peur des hommes, ça m’a un peu réconciliée avec les hommes en général. Il y avait quelque chose en lui qui donnait confiance. Je l’aimais beaucoup. Vraiment. »

Daniel Raymond l’a accompagnée pendant le procès de Michel Brûlé, au palais de justice de Québec. « J’y allais toujours seule, parce que je ne voulais pas que ma famille ou mes amis soient filmés. Je me fiais sur sa présence, et il était toujours là. Quand M. Brûlé me regardait [ce qui lui était interdit], Daniel le faisait arrêter sur-le-champ, avec les menottes et tout. »

Je me sentais vraiment protégée avec lui.

Jill Côté, au sujet de l’enquêteur Daniel Raymond

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Léa Clermont-Dion

Le procès de Michel Venne, lui, s’est étiré sur trois jours. Pendant les pauses, dans une salle éclairée aux néons, Daniel Raymond prodiguait des conseils à Léa Clermont-Dion. « Laisse les coups venir », lui répétait-il. « Reste calme. Respire. » Il s’occupait même de son bébé, déambulant avec sa poussette dans les corridors du palais de justice. Reconnu coupable, Michel Venne a porté sa cause en appel.

Une autre victime, qui préfère ne pas être identifiée, souligne elle aussi le soutien indéfectible de l’enquêteur Raymond, affecté à son dossier. Il lui avait fallu rassembler tout son courage pour dénoncer les abus sexuels que son père lui avait fait subir au cours de son enfance.

En plein procès, son père a demandé à lui parler. Le juge a alors ordonné un temps d’arrêt, pour lui permettre de réfléchir à cette proposition incongrue. « Je suis allée dans un local » avec la procureure, une intervenante et Daniel Raymond, raconte la victime. La procureure et l’intervenante ont tenté de la dissuader ; son père voulait la manipuler, comme il l’avait toujours fait.

Mais la victime hésitait. Et si son père voulait enfin s’excuser ? Dans le local, Daniel Raymond a finalement pris la parole : « On le voit quand les accusés sont sincères. Lui, on sent qu’il ne l’est pas. Il veut juste essayer de s’en sortir. »

Cela a été suffisant pour convaincre la victime. « Le fait que ce soit un homme qui me confirme que [mon père] n’avait aucun remords et ne s’excuserait pas, cela a eu un impact. Aussi, voir que ça existe, des hommes bienveillants, ça m’a aidée à travers le processus. »

Dans le documentaire T’as juste à porter plainte, Léa Clermont-Dion donne la parole à des femmes qui gardent un souvenir amer de leur expérience avec la police. « Je n’ai pas senti que je faisais une déposition cette journée-là, j’ai senti que je me faisais interroger et presque accuser de ce qui s’était passé », raconte l’une d’elles. L’enquêteur lui posait des questions brutales et déplacées, du genre : Le trouvais-tu attirant ? As-tu retiré du plaisir de l’acte sexuel ? As-tu été payée ?

Peut-être cette femme avait-elle tiré le mauvais numéro. N’empêche : on a beaucoup dénoncé, ces dernières années, le mythe de la parfaite victime et les obstacles que doivent surmonter les plaignantes à travers leur parcours judiciaire. « C’est sûr que des préjugés persistent, estime Léa Clermont-Dion. Ce sont des milieux traditionnellement masculins, avec des dynamiques particulières… »

Alors, Daniel Raymond était-il une exception ? « Je ne le sais pas. Mais il était exceptionnel. »