Au Québec, notre forfait de catastrophes naturelles incluait les tempêtes de neige, les inondations, quelques tornades, quelques affaissements de terrain et, bien sûr, des crises de verglas. Voilà qu’une nouvelle s’ajoute : les incendies de forêt. Nos forêts brûlaient, bien sûr, mais elles brûlaient à feu doux, au loin, sans faire les nouvelles, sans déranger nos barbecues.

Depuis cette semaine, les feux de forêt québécois causent des évacuations, des fermetures de route, des problèmes respiratoires, et vont même jusqu’à faire annuler les matchs des Yankees de New York. Les vents seraient-ils des fans des Expos voulant se venger ? Vents, fans, c’est quand même lié.

Le problème avec les incendies de forêt, c’est qu’on n’est jamais certain de ce qui les cause. On comprend que le réchauffement de la planète provoque la trop grande sécheresse, mais on ignore d’où vient l’étincelle qui met le feu au bois. La foudre ? L’activité humaine ? Selon le très avisé Maxime Bernier, ce sont des terroristes verts qui mettent volontairement le feu aux forêts pour donner un coup de pouce à leur campagne sur les changements climatiques.

Si un arbre peut cacher la forêt, un homme peut cacher la vérité.

Maxime n’a pu appuyer ses dires d’une vidéo grâce à une caméra de surveillance accrochée aux arbres. La forêt restant le seul endroit sur terre à l’abri des regards extérieurs. Il est plus facile d’observer l’activité céleste que l’activité forestière. La forêt est vraiment un monde à part.

C’est même la fin du monde. Là où notre monde finit. Là où il n’y a plus de monde. La forêt dense commence là où l’Homo contractus a cessé de bâtir, a cessé de s’établir.

Plus de la moitié du Québec est forêt ; 54 % de son territoire, pour être précis. Ce qui veut dire que plus de la moitié du Québec ne compte pas de Québécois. Bon, d’accord, il y a bien quelques chasseurs et pêcheurs qui s’y aventurent dans quelques pourvoiries dispersées ici et là, mais la majorité des 905 792 km2 de forêts québécoises n’a jamais été foulée par un pied québécois. Si on organisait un Survivor en forêt, les candidats seraient éliminés pour vrai.

Le seul rapport qu’on a avec elle, c’est celui du conquérant. On rentre dedans, parfois, pour l’exploiter, pour la couper, pour la déforester. Pour faire de la forêt enchantée la forêt en chantier. La forêt mal aimée.

On a réussi à donner de jolis petits noms aux fleuves, aux rivières, aux lacs, aux montagnes, aux plaines, mais pas aux immenses forêts. Que des noms génériques : la forêt laurentienne, la forêt boréale. Ou des noms descriptifs : la forêt abitibienne, la forêt de la Côte-Nord. Pour qu’un lieu devienne Saint-Machin ou Sainte-Chose, il faut l’avoir apprivoisé, il faut l’avoir marché, il faut l’avoir appris, il faut l’avoir connu. La forêt, on ne la connaît pas. On n’a jamais pris le temps pour ça. Alors on l’oublie. Alors on l’ignore.

Il fallait que la forêt s’immole pour qu’on la remarque enfin. Il fallait qu’elle se fasse sentir jusque sur le Plateau pour qu’on se rappelle qu’elle existe. Pour qu’on se demande comment la protéger. Même si au fond la véritable question, c’est : « Comment nous protéger ? »

Tout le dilemme des changements climatiques est là. Tant qu’on cherche des solutions pour que les glaciers cessent de fondre, pour que les degrés cessent de monter, pour que des espèces cessent de disparaître, on discute, on négocie, on est pour, on est contre, on brette, on tète. Mais quand le feu est aux portes de nos maisons, on agit !

Forêt forever.

Les avertissements des dangers climatiques vont devenir de plus en plus convaincants. Les humains vont donc devenir de plus en plus entreprenants pour les combattre. Mais sera-t-il trop tard ? Mais est-il trop tard ?

« Sauvez la planète » n’était pas le bon slogan. La forêt va repousser.

Sauvez les gens sur la planète, c’est ça, le défi. Parce que les gens, on a beau les enterrer, ils ne repoussent pas.