Depuis la sortie de la série La diplomate sur Netflix à la fin du mois d’avril, la profession d’ambassadeur vit une heure de gloire. Magnifié au petit écran, ce rôle essentiel est mis en lumière. Enfin.

Bien sûr, la vie de la majorité des diplomates ne ressemble pas à celle de Kate Wyler, l’héroïne surdouée et ébouriffée de la série. Mi-diplomate, mi-experte en renseignements, elle est soudainement propulsée à la tête de l’ambassade des États-Unis à Londres en plein milieu d’une crise internationale. Sa résidence est littéralement un palais.

Plusieurs ambassadeurs des États-Unis se sont dépêchés d’expliquer qu’ils n’ont ni stylistes pour choisir leurs vêtements ni petits-déjeuners gargantuesques préparés par le personnel de l’ambassade tous les matins. Et encore moins un accès direct et sur demande au premier ministre et au ministre des Affaires étrangères d’une grande puissance.

Malgré ses exagérations pour nourrir la fiction, la série nous rappelle qu’en ces temps troubles et de discours guerriers, la diplomatie et sa mission d’apaisement sont plus indispensables que jamais.

C’est donc avec beaucoup de curiosité que j’ai assisté mardi soir dernier à une entrevue devant public de l’ambassadrice d’Ukraine au Canada, Yuliya Kovaliv. Animé par la communicatrice Marie-Josée Gagnon, l’entretien fait partie d’une série intitulée Brave.

Le mot m’a laissée songeuse. Dans le contexte du conflit ukrainien, on peut penser à mille et un exemples classiques de bravoure. Le président Volodymyr Zelensky et toute sa garde rapprochée qui ont décidé de rester en Ukraine au début de la guerre malgré les menaces d’assassinats de la Russie, les combattants et combattantes qui se sont lancés dans un combat que beaucoup pensaient perdu d’avance, la défense civile. Mais dans le rôle de l’ambassadrice d’Ukraine à Ottawa ? Le lien ne se fait pas automatiquement.

Ce serait cependant oublier que dans l’armée nécessaire pour résister à l’envahisseur, il n’y a pas que des soldats.

« Je n’ai pas hésité avant de prendre ce rôle. En temps de guerre, chaque personne doit faire ce qu’elle peut. Être ambassadrice maintenant pour unir nos alliés, c’est à la fois un immense honneur et une grande responsabilité », m’a dit en aparté Mme Kovaliv après l’entretien.

La réponse était prévisible, diplomatique, mais elle n’en est pas moins pertinente.

À Ottawa, Mme Kovaliv a bonne réputation. Son parcours préguerre a eu un impact direct sur son nouveau métier diplomatique. Étoile filante dans l’industrie de l’énergie – elle était directrice financière d’une entreprise de distribution de gaz, Gazeks, à 23 ans –, elle a été active dans le soulèvement de la place Maïdan en 2014. Elle a ensuite répondu à l’appel du gouvernement ukrainien qui a demandé à ses citoyens œuvrant dans le secteur privé de mettre leur talent au service du pays.

Lorsque Volodymyr Zelensky a été élu en 2019, Yuliya Kovaliv a œuvré dans son cabinet tout en intégrant la direction de Naftogaz, la plus grosse entreprise de pétrole et de gaz de l’Ukraine.

Aujourd’hui, elle a toujours ses entrées au bureau du président et de la première dame, ce qui fait d’elle un excellent pont entre Ottawa et Kyiv, où elle se rend régulièrement.

« C’est un emploi sept jours par semaine, 24 heures par jour. J’ai des réunions avec Kyiv à 3 h du matin. Je dois être à l’aise avec les dossiers de justice, mais aussi avec les questions militaires et la terminologie des armes. Parfois, c’est exténuant, mais je me rappelle alors qu’il y a des gens sur la ligne de front. Mon oncle y est et il me dit que les meilleures journées sont celles où ils reçoivent des renforts », expose l’ambassadrice qui n’a pas encore 40 ans.

Au Canada aussi, diplomatie et bravoure ont maintes fois fait bon ménage.

Difficile d’oublier notamment que l’ambassadeur Ken Taylor et le diplomate John Sheardown ont mis leur vie en danger pour cacher dans leur résidence des diplomates américains qui avaient réussi à échapper à la prise d’otages de l’ambassade des États-Unis en Iran en 1979.

Récemment, on peut aussi penser à Robin Wettlaufer, qui lorsqu’elle était l’envoyée spéciale du Canada pour la Syrie, a joué un rôle crucial dans l’exfiltration en 2018 de près de 422 personnes liées aux Casques blancs, un groupe de sauveteurs civils qui étaient ciblés par Bachar al-Assad et son allié russe.

Malheureusement, au cours des deux dernières décennies, la diplomatie canadienne a trop souvent été freinée dans ses élans. Sous Stephen Harper, nos représentants à l’étranger, qui jadis jouaient le rôle d’intellectuels publics, ont été gardés en laisse.

Ce contrôle extrême a laissé des marques, de l’aveu même de la ministre des Affaires étrangères, qui aujourd’hui veut « redonner des ailes » à son corps diplomatique. Pour y arriver, elle a lancé un grand chantier sur la question. Les résultats des consultations devraient être connus bientôt.

Il ne faudrait pas tarder. Alors que les plaques tectoniques de l’ordre mondial bougent à une vitesse folle, nous avons besoin d’une diplomatie à la fois agile et brave.

Dans un rapport publié l’automne dernier, l’ancien ambassadeur du Canada en Irak, Ulric Shannon, a bien résumé en une phrase le potentiel du Canada dans ce domaine.

« Étant donné son avantage unique de pouvoir recruter des talents au sein d’une des populations les plus diversifiées du monde, nous n’avons aucune excuse pour que le service extérieur canadien ne devienne pas un des services diplomatiques les mieux avisés interculturellement, les mieux informés et les mieux réseautés au monde. »