Bernard Drainville vient d’ouvrir ce qu’on appelle un « beau débat ». Beau comme dans : il pourrait ne jamais finir.

Avec sa réforme, le ministre créerait un Institut national d’excellence en éducation. Cette idée ne figurait pas dans la plateforme électorale caquiste et il n’en avait pas parlé non plus en janvier en dévoilant ses priorités. Peut-être parce qu’il anticipait déjà les attaques.

Le vieux débat reprend donc. À l’automne 2017, l’ex-ministre libéral Sébastien Proulx lançait une consultation à ce sujet. Il avait finalement reculé à cause des critiques des syndicats et de certains chercheurs.

Leur méfiance n’a pas diminué. Ils craignent encore plusieurs dérapages. Mais si ces risques existent, ils demeurent évitables.

En éducation, les avis ne manquent pas… Faut-il des dictées ? Des devoirs à la maison ? Moins de bulletins et moins d’élèves par classe ? Et que penser de l’intégration des nouvelles technologies comme la tablette ou des différentes approches pour apprendre à lire ?

Ne répondez pas trop vite. On se fiche des opinions, autant la mienne que celle du ministre. Ça ne sert à rien, une opinion. On veut savoir ce qui fonctionne. Et c’est justement ce à quoi servirait l’Institut : identifier ce qui est validé par la recherche.

Formulée ainsi, l’idée paraît consensuelle. Elle divise pourtant les chercheurs.

Je résume leurs arguments.

Un cours de maths au primaire n’est pas un traitement pharmaceutique. Il est difficile de contrôler toutes les variables, comme le style d’un enseignant, pour isoler l’effet d’une méthode d’apprentissage. Les résultats observés dans une classe pourraient ne pas être reproductibles. De plus, les recherches mènent parfois à des conclusions contradictoires. Enfin, la fixation sur l’efficacité de l’enseignement fait oublier d’autres facteurs déterminants comme les inégalités sociales. Mieux vaudrait donc accorder toute la latitude aux profs pour adapter leur enseignement à chaque cas particulier.

Mais comme le soulignent ceux qui recourent aux données probantes, un vaste échantillonnage aide à identifier des stratégies plus efficaces, peu importe le milieu socioéconomique. Et en recensant l’ensemble des études sur un sujet, on peut dégager des constats assez robustes.

Les universitaires que l’Institut laisse sceptiques réalisent souvent des recherches qualitatives. Ils réfléchissent à ce qui se chiffre mal, et ils craignent que les analyses statistiques mènent à des conclusions réductrices. Or, leurs travaux sont moins considérés par les méta-études.

N’empêche que si l’Institut fait bien son travail, il pourrait les intégrer afin de formuler des recommandations nuancées.

Au-delà de ce débat d’experts, un exemple devrait faire réfléchir tout le monde. Comment expliquer que le centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys diplôme près de 88,8 % de ses jeunes, soit 10 points de mieux que la moyenne québécoise, et réduise à 5 % l’écart garçon-fille, et ce, même si elle compte de nombreux élèves issus de l’immigration et de milieux défavorisés ?

Si quelque chose fonctionne bien là-bas, pourquoi ne pas reproduire le succès ailleurs ?

Les syndicats d’enseignants sont eux aussi méfiants envers l’Institut. Ils craignent qu’on les réduise à un rôle d’exécutant de techniques. Ils y voient une attaque contre leur autonomie.

C’est un scénario possible, mais ce n’est pas le seul. Si on suit la logique des syndicats, elle peut tout autant servir à appuyer l’Institut.

Les syndicats disent se méfier des solutions imposées par le Ministère, comme la réforme socioconstructiviste il y a 20 ans. Or, un institut servirait justement à vérifier si une pratique fonctionne avant de la recommander.

Les syndicats veulent aussi valoriser leur profession. Ils déplorent que des remplaçants non qualifiés enseignent sans avoir réussi le même baccalauréat qu’eux. Mais selon ce raisonnement, l’enseignement est une profession qui s’apprend, avec des approches plus pertinentes que d’autres. Et c’est justement ce que l’Institut veut renforcer.

Même si l’Institut pourrait être utile, son impact ne doit pas être surestimé.

Comme le soulignent avec raison les syndicats, les espoirs reposent en partie sur un préjugé : on présume que les professeurs n’emploient pas les bonnes méthodes.

Le changement pourrait donc être moins grand que prévu. Il sera aussi difficile à implanter.

Que se passe-t-il si une méthode de lecture plus efficace est trouvée ? Elle sera recommandée dans les formations obligatoires. Or, un cours de quelques heures ne suffit pas pour changer son approche. Comme le montre une étude de la TÉLUQ, ces formations fonctionnent surtout si elles durent longtemps et que si les profs y adhèrent1.

Et bien sûr, pour que la formation soit suivie, les profs doivent trouver le temps. Avec la pénurie de main-d’œuvre, c’est loin d’être évident pour eux.

Cela explique pourquoi les syndicats se sont battus il y a deux ans contre l’imposition de 15 h de formation par année (30 h/deux ans). N’empêche qu’en éducation comme dans d’autres disciplines, les connaissances évoluent. Et même si elles ne changeaient pas, un professionnel peut avoir besoin de se faire rafraîchir la mémoire. Par exemple, en soins infirmiers, la formation imposée équivaut à 20 h par année. Et en médecine, à 50 h.

La collaboration des enseignants avec l’Institut sera cruciale. La souplesse et la nuance seront requises des deux côtés.

L’opposition rappelle que d’autres facteurs nuisent à la réussite, comme le système à trois vitesses, la pénurie de main-d’œuvre aggravée par les mauvaises conditions de travail ou encore la vétusté des infrastructures.

Tout cela est vrai. Mais en même temps, c’est un faux dilemme. Si une mesure aide au moins un peu, le Québec ne devrait pas s’en priver. Et si une méthode se révèle inefficace, elle devrait être abandonnée.

Il n’y a rien de mal à s’inspirer des meilleurs.

1. Lisez l’étude de la TÉLUQ sur la formation continue