(Québec) Après la santé, c’est au tour de l’éducation d’avoir sa réforme. Avec son projet de loi qui sera déposé jeudi, le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, se donnera plus de pouvoirs dans la gestion du réseau scolaire. Et, surprise, il fera un geste réclamé depuis longtemps pour que les décisions en éducation et les méthodes d’enseignement reposent sur des données probantes issues de la recherche : créer un institut national d’excellence en éducation.

Or, les syndicats se sont toujours opposés à cette mesure qui, selon eux, empiéterait sur l’autonomie professionnelle des enseignants. Un affrontement se dessine.

Ce nouvel organisme sera le pendant pour le réseau scolaire de l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS), un organisme dont le rôle important pour les professionnels et tout le réseau de la santé a été davantage connu du grand public avec la pandémie de COVID-19.

Le projet de loi de Bernard Drainville n’aura pas l’ampleur de la vaste réforme de son collègue de la Santé, Christian Dubé, avec ses 300 pages et son millier d’articles. Mais il ébranlera à sa façon les colonnes du temple, comme le télégraphiait le premier ministre François Legault en entrevue avec La Presse en mars.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Bernard Drainville, ministre de l’Éducation du Québec

Bernard Drainville se donnera de nouveaux pouvoirs avec son projet de loi. Il nommera lui-même – ou limogera au besoin – les directeurs généraux des centres de services scolaires et leur demandera de lui rendre des comptes.

Les conseils d’administration des centres de services scolaires – créés dans le premier mandat caquiste pour remplacer les commissaires scolaires – perdront ainsi du pouvoir.

François Legault avait justifié ce changement dans la gouvernance lors de l’entrevue. Dans les centres de services scolaires, soulignait-il, « il y a des choses qui sont faites [par les directeurs généraux] avec l’accord du conseil d’administration qui ne font pas nécessairement notre affaire ».

Dans le secteur de la santé, « avec Christian Dubé et [avant lui] Danielle McCann, on a changé des PDG de CISSS et de CIUSSS à notre demande. On n’a pas ce pouvoir-là sur les directeurs généraux des centres de services », déplorait-il.

Le premier ministre se défendait alors de vouloir « tout centraliser ». « Il faut qu’il y ait des décisions qui restent décentralisées, mais il faut quand même avoir le pouvoir d’agir quand ça ne fonctionne pas. »

Dans le réseau scolaire, à la lumière des déclarations de M. Legault, on se prépare au pire depuis quelques semaines. Les cadres font des recherches sur les dispositions en matière de sécurité d’emploi. On craint que le gouvernement ne mette au ballottage les directeurs généraux actuels pour leur demander ensuite de postuler aux nouveaux postes nommés par le ministre lui-même. C’est ce que Gaétan Barrette avait fait dans le gouvernement Couillard avec les cadres du réseau de la santé. À Québec, il n’y a pas d’indice laissant croire que le gouvernement Legault aille jusque-là. Mais la situation illustre à quel point les intentions de Québec sèment l’émoi dans le réseau.

Mesurer la performance du réseau

L’une des grandes sources de frustration à Québec, c’est l’incapacité d’obtenir des données sur la performance du réseau, l’efficacité des services, voire un portrait précis de la réussite des élèves. De nombreux reportages ont démontré l’absence de statistiques au Ministère sur plusieurs sujets pourtant fondamentaux. Les nouveaux pouvoirs permettront désormais au ministre d’exiger les informations nécessaires de la part des centres de services scolaires.

Bernard Drainville a l’intention d’uniformiser la collecte de données dans le réseau et d’obliger l’envoi des résultats au Ministère.

On constituerait ainsi une sorte de tableau de bord à Québec pour mesurer la performance du réseau et guider le ministre dans ses décisions.

Québec a d’autres visées avec le changement dans la gouvernance. On déplore que des mesures pour accorder plus d’autonomie aux écoles, adoptées en vertu de la réforme Roberge, ne soient pas mises en application à cause de la résistance ou de pratiques de certains centres de services scolaires.

Les directions d’école se plaignent par exemple que les « comités de répartition des ressources » – chargés de redistribuer l’argent en fonction des besoins de chaque école d’un centre de services scolaire – n’existent toujours pas dans certaines régions. Ou encore que dans la moitié des centres de services scolaires, toute l’information sur leurs revenus et leurs dépenses ne soit pas transmise au comité, ce qui l’empêche de prendre des décisions éclairées.

Un institut attendu

Bernard Drainville ira de l’avant avec la création d’un institut national d’excellence en éducation, comme il en existe ailleurs au Canada et en Europe. Cette mesure contribuera à améliorer la réussite des élèves, croit-on au gouvernement. Elle est réclamée depuis longtemps par de nombreux experts – l’un des plus connus est Égide Royer, de l’Université Laval.

En gros, l’institut déterminerait les bonnes pratiques en éducation à partir de la recherche scientifique – en matière d’enseignement et de gouvernance, par exemple –, pour ensuite les recommander au gouvernement et au réseau en vue de les mettre en application.

C’est aussi le mandat de l’INESSS dans le secteur de la santé. Le DLuc Boileau dirigeait cet organisme avant de devenir directeur national de santé publique, l’an dernier.

Ministre de l’Éducation à la fin du règne de Philippe Couillard, Sébastien Proulx avait formé un groupe de travail pour créer un institut national d’excellence en éducation, mais il n’y avait pas eu de suite.

Ce groupe était dirigé par le professeur spécialisé en éducation Martin Maltais – qui fut par la suite chef de cabinet adjoint de Jean-François Roberge –, une enseignante des Laurentides, Hélène Lecavalier, et le directeur général de la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, Dominic Bertrand. Ce dernier est devenu en avril « conseiller stratégique » au ministère de l’Éducation. L’ancien recteur Claude Corbo et le vétéran sociologue Guy Rocher, membre de la commission Parent, avaient contribué aux travaux du comité.

Son rapport avait été rendu public en 2018, année électorale. Le comité insistait pour que l’institut soit « indépendant et autonome ». « Nous proposons également un institut qui n’ait pas le mandat d’uniformiser les pratiques ou de se positionner idéologiquement au regard des multiples approches en éducation ou des modes de gestion des écoles », peut-on lire.

Son mandat doit se faire « dans le respect de l’autonomie professionnelle et de l’intégrité des projets éducatifs déterminés en collaboration avec les parents ».

L’institut devrait avoir trois « objectifs généraux », toujours selon le comité :

– dresser la synthèse la plus exhaustive et objective possible de l’état des connaissances scientifiques disponibles, au Québec et ailleurs, sur toute question concernant la réussite éducative et en assurer la veille scientifique ;

– assurer le transfert des résultats de la recherche scientifique vers le réseau scolaire, les décideurs et le public ;

– contribuer à la formation et à l’accompagnement des intervenants – comme les enseignants – au regard des meilleures pratiques éducatives, et en évaluer les effets.

Les syndicats d’enseignants, la CSQ et la FAE, s’étaient opposés à la création d’un tel institut. Il s’agit d’une « structure superflue » qui nuirait à l’autonomie professionnelle des enseignants et ne répondrait pas aux « problèmes réels vécus » par leurs membres, selon eux.

À Québec, d’autres réflexions en cours risquent de faire grincer des dents dans les rangs syndicaux. On songe à mettre en place une formation continue plus poussée pour les enseignants et à rehausser les critères d’admissibilité dans les facultés d’éducation, notamment quant à la maîtrise du français. Québec veut mettre en place une voie rapide pour obtenir le brevet d’enseignement, destinée aux titulaires d’un baccalauréat dans d’autres disciplines afin qu’ils soient légalement qualifiés pour enseigner.

Pour Bernard Drainville, le dépôt de sa réforme jeudi est aussi une occasion de faire parler de lui pour autre chose que le recul sur la promesse de troisième lien autoroutier entre Québec et Lévis, sa circonscription.

La réforme Drainville en un coup d’œil

  • Nomination par le ministre des directeurs généraux des centres de services scolaires, qui lui rendront des comptes
  • Moins de pouvoir pour les conseils d’administration des centres de services scolaires
  • Collecte de données sur la performance du réseau scolaire
  • Création d’un institut national d’excellence en éducation