Le troisième lien n’aura pas lieu. Pourtant, au cours des dix dernières années, seul Carey Price a obtenu plus d’espace médiatique que ce projet de tunnel entre Lévis et Québec, promis et repromis par la CAQ. Pendant que l’humanité rêve d’aller sur Mars, nous, on rêvait d’aller à Québec en roulant dans notre fourgonnette sous le Saint-Laurent.

La ministre des Transports, Geneviève Guilbault, a fermé la lumière au bout du tunnel, en annonçant la nouvelle orientation de ce qui devait être un chantier pharaonique voué au dieu Vroom Vroom. Ce sera désormais un modeste passage pour le transport collectif, car le gouvernement du Québec veut donner le goût aux gens d’abandonner leur voiture.

Vous avez bien lu. Ce n’est pas Valérie Plante qui a dit ça. Ce n’est pas Greta Thunberg non plus. C’est la ministre des Transports de la CAQ ! Y a pas plus steak-blé d’Inde-patates que la CAQ. Y a pas un parti plus attaché aux valeurs traditionnelles québécoises : le hockey, la job steady, le bon boss et le gros char. Ils viennent de rayer la dernière de la liste.

Automobilistes, notre chien est mort ! Ou plutôt, notre char est mort ! L’abandon d’un lien autoroutier vers la capitale nationale est symptomatique du sort qui attend les véhicules des particuliers, à court et moyen terme. On n’en veut plus. Au dépotoir, les tas de ferraille ! Ce n’est plus seulement une lubie de la gogauche montréalaise à pédales. C’est un objectif étatisé.

L’automobile est la cigarette de la prochaine décennie. On roule partout comme on fumait partout. Ça achève. Dans les villes, il y aura des sections autos, comme il y avait des sections fumeurs. Qui rétréciront jusqu’à disparaître. Pour le bien de tous. Il faut en faire notre deuil.

Ce ne sera pas facile, je sais. Notre char est beaucoup plus que notre char. Notre char, c’est notre liberté. L’endroit qui nous permet d’être partout. D’aller où bon nous semble. Sans attendre après personne. Le prolongement de notre être qui nous permet de dépasser les autres. De partir, d’arriver. De se perdre et de se gagner. 

Depuis un siècle, se déplacer était un droit individuel. Dorénavant, ce sera un droit collectif. C’est fini Lévis-Québec, la musique au fond, la fenêtre ouverte, et le bras à l’air. Dorénavant, on est tous dans le même wagon, avec nos écouteurs, les bras croisés.  

Ne croyez surtout pas que la voiture électrique sera l’équivalent de la voiture à essence, dans la vie d’un gars ou d’une fille de char. Impossible. Une Tesla ne remplacera jamais une Dodge Charger 1970 jackée ou une Ford 150 SVT Lightning 1999. L’auto électrique ne sera jamais un fantasme. L’auto électrique ne fera jamais de show de boucane. L’auto électrique est un transport pratique. Une voiturette de golf pour se rendre à la station de métro ou à l’arrêt d’autobus. À son volant, vous ne serez jamais Vin Diesel dans Rapides et dangereux. À son volant, vous serez toujours Charles Tisseyre dans Écologiques et prudents.

On ne part pas sur un nowhere avec une batterie rechargeable.

Voilà pourquoi le char ne sera plus l’objet de nos désirs. Au contraire. Il sera l’objet de notre raison. Stephen Faulkner a écrit Si j’avais un char, en 1978. En 2023, il écrirait Si j’avais pus d’char :

« Si j’avais pus d’char
Ça changerait ma vie
J’irais me promener du bord
D’la piste cyclable… »

Céline ne chantera plus I drove all night, mais I took the bus all night. Tom Cochrane ne chantera plus Life is a highway, mais Life is a tramway. Et Willie Nelson ne chantera plus On the road again, mais On the rue piétonne again.

C’est la fin du règne de l’automobile. Et c’est bien ainsi. Sinon, ce serait la fin du règne animal. Et ça, ce ne serait pas plaisant. Pour plusieurs, il faudra trouver une autre façon de se définir, de se différencier, de se magnifier. 

En ce samedi, s’il ne pleut pas dans votre coin de pays, profitez-en donc pour laver votre char. Mettez-le beau. Passez un peu de temps de qualité avec lui. Allez à l’Orange Julep, pendant que les services au volant ne sont pas encore interdits. Donnez-lui un p’tit coup de pied sur le pneu pour lui dire je t’aime, mon vieux. Ça va lui faire du bien. Il le sent qu’il a fait son temps. Que bientôt, il ira rejoindre le cendrier, le téléphone à fil, la VHS, le répondeur et le tapis sauve-pantalon au paradis du matériel.

Le char est mort !

Vive la planète !