Dis, quand reviendras-tu ?

Dis, au moins le sais-tu ?

Que tout le temps qui passe, il ne se passe rien, sans toi.

Tu es partie mercredi. En un coup de vent. Sans un mot. Sans un texto.

Du coup, tout s’est arrêté. Les lumières se sont éteintes. Depuis je gèle, j’ai froid. Je ne fais rien sans toi. 

Je vis dans une maison abandonnée. Je vis dans une maison démaisonnée.

Il n’y a plus de vie. Plus de chaleur, plus d’images, plus de musique. Ce n’est plus une maison. C’est quatre murs. Quatre arrêts. Quatre fins.

Quand tu es là, c’est le plus bel endroit qui soit. Tout s’allume. Tout s’active. Tout bouge. Tout fête. C’est plus qu’une maison. C’est un stade. C’est un cœur. Le début de tout.

Je sais, je sais, j’ai toujours tenu ça pour acquis. Je t’ai toujours tenue pour acquise. J’avais juste à peser sur un bouton pour tout obtenir. Un café, un rayon, les Beatles ou Paris. Tout ça, chez moi. Au bout des doigts. Dans mes mains ou sur un écran.

Maintenant, j’ai beau peser sur les boutons, rien ne fleurit.    

C’est toujours quand on est quitté qu’on réalise l’importance de celle qui nous quitte. 

Je ne t’ai jamais autant appréciée que depuis toutes ces heures inanimées.

Tu étais le soleil de la demeure. Ce n’est pas une figure de style. C’est vrai.

Gloire aux savants qui ont compris ton fonctionnement. Qui ont compris ton énergie. Qui t’ont fait entrer dans nos vies. Ils t’ont nommée Électricité. Chacun ses talents. On aurait dû laisser les poètes te baptiser. Ils t’auraient appelée Magie. Car c’est ce que tu es. La magie. Tu fais tout apparaître. Le jour en pleine nuit. Tu fais tout fonctionner. De ma lampe de chevet aux lumières de la ville.

Et en plus, tu es verte. Et en plus, tu sauves la planète.

Sans toi, nous sommes perdus.

Voilà 50 heures que je le sais.

Dis, quand reviendras-tu ?

Dis, au moins le sais-tu ?

En tout cas, Hydro-Québec ne le sait pas.

Paraît que 80 % des gens devaient te retrouver d’ici minuit. Et si je faisais partie des autres ? Ça en prend toujours pour faire partie des autres.

La vie tient à un fil. À un fil écrasé sous une branche. À un fil débranché à cause des arbres débranchés. Tout s’attache à tout. 

Je sais, tu n’y peux rien. Je sais, t’en fais déjà assez. Il n’y a pas de bouton pour que l’électricité se rebranche toute seule. Ça prend des bras. Ça prend des humains. Ils sont à l’œuvre. Ils travaillent fort. Ça ne sert à rien de se plaindre. Mais bon sang que c’est long. Y a-t-il un moyen, une façon, de solidifier le système ? De le rendre moins vulnérable ? Surtout que le Festival des catastrophes naturelles ne fait que commencer. Commandité par le réchauffement climatique, il est là pour durer. Surtout que mercredi, l’averse de verglas, c’était de la petite bière à côté des grosses brosses qui s’en viennent. Faut planifier, réparer, entretenir, améliorer. Le superministre doit mieux protéger la kryptonite. L’éditorial est écrit. Mais qu’est-ce qui va changer ? Si seulement nous étions aussi efficaces que toi, l’électricité, la magie. 

Quand tu reviendras, c’est certain, je vais crier ! Crier de joie, yeah ! Quand soudainement, tout va repartir, je vais être tout excité. 

Quand je pourrai enlever toutes les pelures que j’ai sur le dos. Quand je pourrai prendre une bonne douche chaude. Quand le réfrigérateur sera froid. Quand le four sera hot. Quand le cinéma maison sera en action. Je vais te remercier. Je vais me dire : c’est quand même fantastique, l’électricité. Je vais t’apprécier tout plein.

Puis les heures vont passer. Puis je vais m’habituer. Puis je vais l’oublier. Ce sera le retour à la normale. 

Pourtant, la normale, c’est quand il y a une panne. Ce que l’électricité nous permet de faire, ce n’est pas normal, c’est incroyable. Il ne faut pas cesser de s’en émerveiller.

Il faut être à la hauteur de nos aïeux qui ont changé le monde en le rendant électrique. Imaginez les efforts déployés. Reste à faire les nôtres pour ne pas en manquer.

Ceci était une lettre d’amour à l’électricité.

Au génie humain quand il rend la vie plus douce, plus grande, plus belle.

Lettre écrite sur un ordinateur de moins en moins chargé.

Dis, quand reviendras-tu ?

Pour Pâques, ce serait bien.

(Que je vous souhaite joyeuses !)