La confusion était grande, lundi soir dernier, au moment où nous parvenaient au compte-gouttes les détails de la fusillade qui a coûté la vie à six personnes dans une école de Nashville.

Si vous avez suivi les évènements en temps réel, vous avez probablement remarqué que la police a d’abord attribué l’attaque à une « jeune femme ». Et qu’elle s’est amendée quelques minutes plus tard en évoquant le geste d’une « personne transgenre ».

Or, cette confusion a plongé les salles de rédaction dans d’intenses questionnements sur l’identité du tueur, sur la façon de le présenter et sur le choix des mots à employer. Un questionnement auquel, il est intéressant de le noter, les médias ont répondu différemment.

Ainsi, près d’une semaine après le drame, la question se pose toujours : doit-on écrire que l’auteur de la fusillade était une femme ?

Lorsque survient un drame, je vous l’avoue, les médias travaillent intensément pour couvrir l’évènement… avec un œil sur les autres médias.

Partout dans les salles de rédaction, il y a des moniteurs et téléviseurs qui diffusent les nouvelles de la concurrence, car on veut s’assurer d’avoir tous les détails nécessaires pour comprendre ce qui se passe.

Normal, une couverture en temps réel, c’est une couverture en perpétuelle évolution.

À ce titre, la fusillade de Nashville est un bon exemple, en raison de l’identité imprécise du tueur.

Lorsque la police a parlé d’une femme, certains médias ont aussitôt analysé les données des tueries passées, presque exclusivement perpétrées par des hommes cis, pour faire ressortir le caractère exceptionnel de l’évènement.

Puis aussitôt qu’il a été question d’une personne transgenre, ces textes ont disparu aussi vite qu’ils avaient été écrits, et la confusion s’est installée… ce qui a incité les médias à regarder avec attention ce que faisaient les autres médias.

PHOTO AUSTIN ANTHONY, REUTERS

Le chef de la police de Nashville faisant un point de presse le lendemain de la fusillade.

Toute la soirée, le directeur principal de l’information, Jean-François Bégin, et moi, on s’est posé mille questions en suivant d’heure en heure l’évolution des expressions privilégiées.

L’AFP évoquait un transgenre. NBC parlait en ouverture de bulletin d’une « femme transgenre », donc née homme, mais qui s’identifie comme femme. Alors que le journal local parlait d’un « homme transgenre », né femme, mais s’identifiant à un homme.

À Radio-Canada, c’était simplement un individu. Au Journal de Montréal, on parlait d’une femme. Et à La Presse, on a d’abord choisi de dire que c’était une personne qui s’identifiait comme transgenre, pour finalement évoquer un homme transgenre, c’est-à-dire une personne née femme dont l’identité de genre est masculine.

Mais donc, c’est une femme qui a tué, ou pas ?

La question est évidemment délicate en cette ère de polarisation croissante, alors que les États-Unis sont secoués par une guerre culturelle entourant les transgenres, les drags et les thérapies de conversion.

D’où la nécessité d’être prudents avec cet évènement qui a bien sûr déchaîné les républicains les plus radicaux, comme Marjorie Taylor Greene, dont le compte Twitter a été suspendu à la suite d’un statut évoquant le « Jour trans de la vengeance »…

La première question qui se posait donc : est-ce même d’intérêt public de préciser dans la couverture médiatique qu’Audrey Hale était une personne transgenre ?

Oui, certainement, car on doit avoir tous les détails pour comprendre ce qui s’est passé.

Les médias n’ont pas pour rôle de taire ou de censurer des détails sous prétexte qu’ils peuvent être détournés, et ils ne doivent pas le faire.

Et pour se convaincre de la pertinence de préciser qu’il s’agissait d’une personne transgenre, il suffisait d’écouter le lendemain de la tuerie le psychiatre Gilles Chamberland sur les ondes du 98,5 évoquer la possibilité d’une prise de testostérone comme « facteur de risque ».

Deuxième question : si Audrey Hale s’identifiait comme homme sur les réseaux sociaux et utilisait des pronoms masculins sur son profil LinkedIn, peut-on dire que le tueur était un homme ?

Pas vraiment. Surtout pas en l’absence de détails sur le tueur et sur l’évolution de son identité de genre.

Et dernière question, donc : peut-on simplement conclure que la tuerie est l’œuvre d’une femme ?

Il n’y a pas unanimité ni réponse définitive.

Certains médias ont répondu par l’affirmative, comme Le Journal de Montréal, qui parle d’une « suspecte » et d’une « tireuse », et le 98,5 FM, qui évoque « une femme responsable d’une tuerie de masse ».

D’autres ont choisi d’utiliser des mots épicènes, c’est-à-dire des mots qui désignent à la fois un homme et une femme, sans se mouiller davantage. Le Devoir écrit que c’est « un transgenre », sans en dire plus dans son texte initial. Radio-Canada évoque une « personne » et un « individu » en ajoutant que la police a évoqué « une personne transgenre », sans précision sur l’identité de genre.

À La Presse, une fois que la police a corrigé l’information initiale*, nous avons choisi une position mitoyenne, en quelque sorte. Nous précisions que l’assaillant était un homme transgenre, donc né femme, mais qui s’identifiait comme homme au moment du drame.

Meilleure façon à notre avis d’informer les lecteurs, de façon impartiale, et de leur permettre de comprendre ce qui est survenu lors de cette soirée haute en confusion.

* Le premier titre de notre texte en format « dernière heure » évoquait « Trois enfants et trois adultes tués par une jeune femme ». Nous l’avons rapidement changé pour un titre plus neutre.

Écrivez à François Cardinal