Dimanche, notre chroniqueur Patrick Lagacé a raconté le choc d’une mère qui a découvert en 2019 que son mari, le père de ses enfants, les agressait sexuellement. Même si le père a reconnu les faits et fait de la prison, il s’est battu pour conserver son autorité parentale. La mère veut que ça change. Voici la conclusion de son histoire.

Hier, je vous ai raconté comment Isabelle1* a vécu le cauchemar de découvrir que son mari, le père de ses enfants, avait agressé sexuellement leur fils et leur fille, en 2018 et 2019. 

Martin* a plaidé coupable. En juillet 2020, condamné à trois ans de prison, il a pris le chemin des cellules. 

Parallèlement, pendant l’automne 2019, Isabelle pataugeait dans les procédures de divorce. Martin ne s’est jamais opposé aux demandes de la mère de ses enfants, qui voulait couper le maximum de liens avec leur père.

Mais pour Isabelle, ce n’était pas suffisant. 

Si je meurs, a-t-elle pensé, il va se passer quoi ? 

Martin pourrait alors tenter – sans garantie de succès – de ravir la garde des trois enfants à sa sœur, à qui les enfants seraient confiés advenant son décès. 

Cette toute petite possibilité effrayait Isabelle. Ça, et la possibilité qu’après sa sortie de prison, Martin, en plaidant avoir suivi des thérapies, revienne pour revendiquer une place – si petite soit-elle – dans la vie de leurs enfants… 

C’est alors qu’Isabelle est tombée sur ce concept de déchéance de l’autorité parentale, qui prive un parent de ses droits (mais pas de ses responsabilités, comme une pension alimentaire). 

Il est codifié dans l’article 606 du Code civil du Québec : La déchéance de l’autorité parentale peut être prononcée par le tribunal, à la demande de tout intéressé, à l’égard des père et mère ou des parents, de l’un d’eux ou du tiers à qui elle aurait été attribuée, si des motifs graves et l’intérêt de l’enfant justifient une telle mesure, notamment en raison de la présence de violence familiale, y compris conjugale.

Elle a demandé à l’avocat qui pilotait son divorce s’il connaissait le principe. L’avocat s’est montré assez peu ouvert à se lancer dans cette procédure. Isabelle a appelé des cabinets d’avocats, pour tâter le terrain. La réponse a été moins qu’enthousiaste : trop long, peu de chances de succès…

Isabelle ne comprenait pas : mon ex a agressé sexuellement mes enfants, il a plaidé coupable, il est en prison… 

Et je dois prouver qu’il doit perdre son autorité parentale ?

Partout où elle posait des questions – aux avocats, à la DPJ, à la police, aux thérapeutes de la Fondation Marie-Vincent –, on lui répondait : Oui, c’est ça, Madame : vous devez entreprendre le processus vous-même...

Même à l’hôpital Sainte-Justine, où sa fille a commencé une thérapie avant d’être admise à la Fondation Marie-Vincent, on l’a informée que normalement, le père doit donner son consentement pour que l’enfant suive une thérapie… Heureusement, ils n’ont pas montré de résistance à faire une demande d’exception pour court-circuiter l’approbation du père. 

Et quand Isabelle faisait remarquer que cela était aussi absurde que cruel, on lui répondait : « C’est vrai, mais c’est le système, Madame. »

Puis, en faisant des recherches, Isabelle est tombée sur Me Marie-Laurence Brunet. 

Me Brunet a été scandalisée par ce qu’elle a entendu, ce jour-là, au téléphone : « Ce qui m’a intéressée dans cette cause ? Deux choses. Isabelle, d’abord. Vous l’avez vue, c’est une femme posée, raisonnée, qui a les valeurs à la bonne place. Et la cause des enfants victimes d’inceste. Et malheureusement, ça prenait un jugement de la Cour supérieure pour qu’Isabelle obtienne la déchéance parentale de son ex-mari… »

En mai 2020, Me Marie-Laurence Brunet a donc lancé au nom d’Isabelle le processus judiciaire pour déchoir Martin de son autorité parentale, auprès de la Cour supérieure. 

Surprise : le père s’est opposé. 

A alors commencé un long processus, où Isabelle et son avocate ont dû monter un dossier pour prouver à la Cour supérieure que Martin était un mauvais père qui méritait de perdre son autorité parentale. Le père, bien sûr, a pu plaider sa cause. 

En novembre 2021 – 18 mois après le début des procédures –, Isabelle a appris que sa cause ferait l’objet de deux jours et demi de débats le mois suivant. 

Pendant deux jours et demi, devant le juge Gregory Moore, les avocates des deux parties ont donc présenté leurs arguments dans la cause de déchéance de l’autorité parentale de Martin.

Le juge Moore a rendu sa décision sur le banc, au terme des audiences. 

Et il a varlopé Martin, ne retenant aucun de ses arguments. 

Je résume les mots très, très durs du juge : un bon père n’agresse pas ses enfants et rien ne prouve que vous êtes différent de l’époque où vous les avez agressés… Si vous deviez réapparaître dans la vie des enfants, cela risquerait de faire remonter les traumatismes que vous leur avez infligés. 

Et le juge a eu ces mots : « Comment Monsieur peut-il penser exercer l’autorité parentale conjointement avec la personne qu’il a trahie dans le cadre d’une relation des plus intimes ? La personne qui doit, depuis deux ans, se sacrifier afin de protéger seule les enfants et leur permettre de commencer à passer au travers de cette saga ? » 

Décision : Martin a été déchu de son autorité parentale, et le juge a accepté une autre demande d’Isabelle : que les enfants ne portent plus le nom de famille de leur père. 

Isabelle : « Quand j’ai lu la décision du juge, c’était comme un cadeau de Noël. »

Autre motif de réconfort pour Isabelle : le juge disait haut et fort, sans ménagement, que Martin avait été un mauvais père. C’était une des premières fois depuis juin 2019 que quelqu’un en position d’autorité disait les choses si crûment. 

Et cela a apaisé Isabelle. 

Le juge a aussi souligné comment, en plus des enfants, le drame a eu un impact sur Isabelle : « Pour réparer les torts causés par Monsieur, elle met ses aspirations sur pause. Elle cherche et trouve un emploi avec horaire fixe afin d’être disponible pour ses enfants plutôt que de poursuivre sa carrière d’architecte. Elle se prive d’une vie amoureuse parce qu’introduire un nouvel homme dans sa vie risque d’ébranler les enfants… »

Isabelle trouve absurde que la société ait placé sur ses épaules le fardeau de prouver que le violeur de ses enfants méritait d’être déchu de son autorité parentale. 

Et elle trouve choquant d’avoir eu à payer très exactement 13 500 $ d’honoraires juridiques pour obtenir ladite déchéance, en se battant pendant près de deux ans. 

C’est ce qu’elle veut dénoncer en confiant son histoire à La Presse

Une refonte du droit de la famille est en cours à Québec. Isabelle espère que le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, pourra éviter à d’autres parents d’avoir à se taper le douloureux et coûteux processus de déchéance de l’autorité parentale, quand il s’agit d’un parent qui a agressé sexuellement sa progéniture. 

Je cite Me Marie-Laurence Brunet, l’avocate d’Isabelle : « Le message, c’est qu’une réflexion doit avoir lieu : quand un enfant mineur est victime d’un acte criminel aux mains d’un parent, ce parent doit-il pouvoir continuer à exercer son autorité parentale ? Faut-il vraiment un procès, avec le stress et les coûts, pour obtenir cette déchéance ? »

Isabelle me souligne une dernière absurdité : elle a lancé la procédure de déchéance de l’autorité parentale de son ex en mai 2020. Le jugement a été rendu en décembre 2021. 

Il aura donc fallu 19 mois pour obtenir cette déchéance. 

Séjour en prison de Martin : huit mois. 

Pendant la durée de la procédure de déchéance parentale, Martin a donc eu le temps de rentrer en prison et d’en sortir, en mars 2021 : « Il a purgé moins de temps en prison que ça m’a pris pour obtenir sa déchéance parentale », se désole Isabelle. 

L’entrevue tire à sa fin. Je demande à Isabelle : 

— Tu t’en es voulu ?

– Oui. C’est pas de ma faute. Mais…

Elle cherche ses mots. 

— Mais je ne me suis doutée de rien. Quand tu fondes une famille avec quelqu’un, c’est acquis que tu lui fais confiance. Si j’avais su, j’aurais fait de quoi. 

— Mais dès que tu as su, tu as agi, Isabelle…

— Je sais. Mais quand tu as des enfants, tu veux tellement les protéger. Ça me déchire le cœur de ne pas avoir pu le faire. Mais je dois penser au présent. Et au futur. 

— Comment vont les enfants, Isabelle ?

— Ils vont bien. Ma fille va de mieux en mieux. C’est elle qui a subi le plus d’impacts. Mon deuxième, à 3 ans, il a peu connu son père. Ils vont bien, oui. 

Et c’est la seule fois, dans l’entrevue, où Isabelle sourira. 

1. Lisez la chronique publiée dimanche à ce sujet

* Les prénoms ont été modifiés pour préserver l’identité des enfants.