Le nombre de taxis « illégaux » a explosé à l’aéroport Montréal-Trudeau au cours des derniers mois. Chauffeurs harcelants, au moins une tentative d’extorsion, stationnement chaotique : près de 400 infractions ont été répertoriées depuis janvier. L’autorité aéroportuaire s’inquiète pour la sécurité des passagers et demande à Québec de revoir de toute urgence sa réglementation.

Je garde un souvenir très approximatif de mon premier voyage au Mexique.

Tournant du millénaire. Acapulco. Billet d’avion à 200 $ acheté à la dernière minute. Auberge à 12 $ la nuit trouvée dans un guide touristique froissé. Trop de soleil, trop de cerveza.

La seule chose dont je me souviens comme si c’était hier, c’est le trajet en « taxi » entre l’aéroport et le cœur de la ville. Je revois la horde de chauffeurs insistants à la sortie du terminal. La vieille Coccinelle défoncée dans laquelle je me suis engouffré. Et ce parcours tétanisant à 100 km/h, à flanc de montagne, sans aucun doute le plus stressant de toute ma vie.

Quiconque a déjà visité une destination exotique a vécu un scénario similaire.

Vous atterrissez, ramassez vos valises, et avant même d’avoir mis le pied dehors, vous êtes assailli par des chauffeurs de taxi plus ou moins louches. Souvent difficile de déterminer à qui faire confiance, surtout lorsqu’on a l’esprit un peu embrumé après un long vol.

Eh bien, le même phénomène s’observe maintenant à l’aéroport Montréal-Trudeau.

Le nombre de taxis « illégaux » a explosé au cours des derniers mois, ai-je appris. Les plaintes se multiplient, et de nombreux passagers ont vécu des situations où ils se sentaient en danger.

Aéroports de Montréal (ADM), l’autorité aéroportuaire, est très inquiète de la tournure des évènements.

C’est de mauvais augure pour l’image et la réputation de la métropole.

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J’ai longuement parlé avec des responsables d’ADM ces derniers jours. Un incident en particulier m’a laissé stupéfait.

Une personne fraîchement arrivée à Montréal-Trudeau est montée dans ce qu’elle croyait être un taxi légitime. Une fois rendu sur l’autoroute Métropolitaine, à quelques kilomètres de l’aéroport, le chauffeur a exigé un paiement de 150 $, au comptant, « faute de quoi il menaçait de l’abandonner sur l’autoroute ».

PHOTO DENIS GERMAIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Voyageurs à l’aéroport Montréal-Trudeau

Une tentative d’extorsion pure et simple.

Comment Montréal a-t-il pu en arriver là ?

Jusqu’à récemment, les chauffeurs de taxi dûment accrédités par ADM attendaient sagement les passagers au niveau des arrivées, bien assis dans leurs véhicules. Les chauffeurs du service Uber, pour leur part, se cantonnaient à une porte bien identifiée, un étage plus haut.

Tout se passait à peu près dans l’ordre.

Les choses se sont dégradées après un changement réglementaire à Québec. Le gouvernement Legault a adopté en 2019 la Loi concernant le transport rémunéré de personnes par automobile, qui a entraîné dans son sillage la disparition (très discrète) du Bureau du taxi de la ville de Montréal, en décembre dernier.

Cette loi vise des objectifs louables, mais elle a aussi causé l’apparition de plusieurs angles morts et zones grises. Les problèmes sont devenus aigus avec la forte reprise du trafic aérien des derniers mois.

Montréal-Trudeau est en quelque sorte le ground zero de ce nouvel environnement réglementaire.

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En gros, tout le monde et son prochain peut s’improviser chauffeur et aller cueillir des passagers à l’aéroport. ADM observe depuis plusieurs mois des particuliers qui vont proposer leurs services de conducteur, avec leur voiture personnelle, en offrant parfois de casser les prix pour faire concurrence à Uber. ADM les qualifie de « taxis illégaux ».

Il y a aussi la catégorie des vrais chauffeurs de taxi, qui sont de plus en plus nombreux à aller chercher des clients à Montréal-Trudeau sans être titulaire d’un permis aéroportuaire et sans suivre les règles très strictes d’ADM. Ils vont souvent grappiller des clients à la va-vite, n’importe où, surtout dans la zone réservée à Uber.

Je l’ai expérimenté il y a tout juste deux semaines, au retour d’un voyage en Europe.

Je marchais dans le terminal avec ma grosse valise quand un homme a surgi de nulle part pour m’offrir ses services. Un chauffeur d’une petite entreprise de taxi, qui m’a avoué aller chercher des clients à YUL dans ses temps libres, pour arrondir ses fins de mois. J’ai accepté son offre et fait le trajet jusque chez moi sans anicroche.

Certains ont été moins chanceux.

On me rapporte plusieurs cas de passagers qui se sont fait agripper leurs valises par des chauffeurs très entreprenants. D’autres qui se sont fait solliciter de façon moins brutale, mais tout aussi dérangeante, ou même extorquer.

ADM se dit impuissante devant la situation, puisque le Bureau du taxi, qui exerçait auparavant une surveillance serrée, a cessé d’exister il y a quatre mois.

La seule chose que les autorités aéroportuaires peuvent faire est de remorquer les véhicules garés illégalement au niveau des arrivées.

Pas de quoi faire peur à sa mère.

Des vérifications ponctuelles sont effectuées par des agents de Contrôle routier Québec, agence affiliée à la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), qui a hérité du mandat de surveiller l’aéroport dans la foulée de la nouvelle loi provinciale.

Mais ceux-ci peuvent seulement agir s’ils constatent une transaction entre un passager et un chauffeur, donc un échange d’argent. Ils ne peuvent rien faire pour freiner la sollicitation, qui est au cœur de la crise actuelle.

Autre problème : ces contrôleurs provinciaux ne sont pas présents en tout temps à Montréal-Trudeau, puisqu’ils doivent aussi inspecter les poids lourds sur les autoroutes, vérifier les émissions polluantes des camions, etc.

Ce n’est pas très sérieux.

« Notre plus grande préoccupation concerne la sécurité des chauffeurs autorisés, mais surtout, celle des passagers, qui peuvent se trouver dans de très fâcheuses positions », m’a expliqué Anne-Sophie Hamel, directrice des communications de l’aéroport.

ADM dit avoir enregistré 374 « infractions » depuis le 1er janvier dernier, comme de la sollicitation, des vols de clients et des stationnements interdits de faux taxis. Et ce n’est sans doute que la pointe de l’iceberg, puisque les pouvoirs de surveillance et d’intervention de l’organisation sont limités.

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ADM a lancé une campagne d’affichage pour contrer le phénomène des taxis « illégaux ».

Pour tenter de calmer le jeu à court terme, ADM a lancé une campagne d’affichage à l’intérieur de l’aérogare. Elle rappelle aux voyageurs de toujours utiliser les taxis et Uber bien identifiés, qui, eux, continuent de travailler de façon légitime (et d’accumuler les frustrations par rapport à leurs nouveaux concurrents).

Les craintes d’ADM sont partagées par la Ville et par Tourisme Montréal. Au-delà des enjeux de sécurité, ils redoutent aussi que l’image de la métropole soit entachée par ce bordel digne d’un pays en développement.

Le chaos actuel est d’autant plus incompréhensible que le ministère des Transports a été averti il y a des années, dès 2017 en fait, au moment de l’élaboration de la nouvelle loi, que cette situation de Far West risquait de se produire à l’aéroport.

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ADM a trois demandes précises pour le gouvernement. Que l’interdiction de sollicitation qui existait auparavant soit réintroduite, qu’elle puisse de nouveau exiger que les chauffeurs de taxi qui travaillent à l’aéroport soient tous accrédités, et que les contrôleurs routiers puissent agir dès le moment où ils observent de la sollicitation, et pas juste une transaction.

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Près de 400 infractions concernant des taxis « illégaux » ont été répertoriées depuis janvier à l’aéroport Montréal-Trudeau.

Une réunion est prévue bientôt avec le cabinet de la ministre des Transports Geneviève Guilbault pour discuter du dossier. Son cabinet dit avoir été informé « récemment » de la situation des taxis « illégaux », et avoir décidé de rencontrer ADM « rapidement ».

Pour assurer la sécurité des voyageurs et préserver l’image déjà écorchée de Montréal, on ne peut qu’espérer que Québec réponde sans tarder à l’appel.

Appel à tous

Vous avez été sollicité par un chauffeur de taxi « illégal » à votre sortie de l’aéroport Montréal-Trudeau ?

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