Le service d’autobus toutes les « 10 minutes max » est mort de sa belle mort, lundi, à Montréal.

Sans oraison funèbre, dans la plus grande discrétion, la Société de transport de Montréal (STM) a mis fin aux passages à haute fréquence sur les huit dernières lignes qui promettaient encore aux usagers de ne pas végéter trop longtemps aux arrêts de bus.

Cette décision peut sembler anodine à première vue.

Elle témoigne pourtant d’une crise profonde dans le financement du transport collectif. Et des risques qui planent si un sérieux coup de barre n’est pas donné – et vite – par Québec pour remettre de l’ordre dans ce bourbier.

Il devrait même s’agir d’une des priorités de la nouvelle ministre des Transports, Geneviève Guilbault, qui a entamé son mandat en gérant le chantier épouvantablement mal ficelé du tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine.

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Quel est le problème, donc ?

Les sociétés de transport le répètent depuis des années : les fonds sont insuffisants pour maintenir leur offre de services.

L’une de leurs principales sources de financement, la taxe sur les carburants, continuera de s’amenuiser au fur et à mesure que les ventes de véhicules électriques grimperont.

Le constat est connu.

Les pistes de solution, aussi.

Québec s’est doté en 2018 d’une ambitieuse Politique de la mobilité durable, qui fixe des objectifs clairs jusqu’en 2030. Le gouvernement Legault a lancé l’année suivante un grand « chantier » en vue de réformer le financement du transport collectif.

L’exercice, approfondi, a pris en compte les recommandations de 240 experts du milieu.

Oui, la pandémie est depuis venue brouiller les cartes en faisant chuter l’achalandage dans les bus et les métros. Et oui, Québec a répondu « présent » en allongeant des aides d’urgence de 1,4 milliard.

Mais le problème de fond reste entier, comme le démontre la décision récente de la STM.

Le transporteur montréalais est encore à la recherche de 78 millions pour boucler son budget de 2023. Il risque de devoir réduire encore davantage ses services pour arriver à l’équilibre.

À l’échelle provinciale, le trou dépassera le demi-milliard cette année si rien n’est fait.

Nous sommes rendus à un moment charnière. Ces réductions de services pourraient entraîner un cercle vicieux pour les utilisateurs, rebutés par la lenteur du passage des bus et des métros.

Cela me rappelle ce qui s’était produit à la fin des années 1990 dans ma ville de naissance, Québec.

Du jour au lendemain, la Société de transport de la Communauté urbaine de Québec (STCUQ), l’ancêtre du Réseau de transport de la Capitale (RTC), avait aboli plusieurs lignes d’autobus « express » entre les banlieues et le centre-ville. Mon trajet vers le cégep, qui prenait une quinzaine de minutes, avait bondi à plus d’une heure.

J’ai acheté mon premier char.

Il faut à tout prix éviter une répétition de ce scénario. Surtout au moment où le Québec cherche à s’imposer comme un élève exemplaire en matière d’environnement à l’échelle mondiale.

Comment y parvenir ?

Les demandes des sociétés de transport sont simples : que le financement du transport collectif soit « pérenne » et « prévisible ».

Autrement dit, qu’elles sachent à quoi s’attendre année après année, plutôt que de devoir quémander sur la place publique des fonds suffisants pour maintenir leur niveau de services.

Québec a déjà en main les conclusions de sa grande consultation de 2019 sur la réforme du financement1.

Parmi l’arsenal de solutions proposées : une taxe sur la recharge des véhicules électriques et une autre destinée à tous les automobilistes, qui augmenterait selon le nombre de kilomètres parcourus. Plusieurs nouveaux modes de financement ont commencé à faire leurs preuves ailleurs dans le monde.

Québec peut – et doit – emboîter le pas sans tarder.

La ministre Guilbault devra démontrer qu’elle a la volonté politique de faire des gestes que ses prédécesseurs ont refusé de faire. Passage obligé : il lui faudra convaincre son patron François Legault que les transports en commun peuvent être vus comme un investissement pour la société québécoise, et non comme un simple poste de dépense.

C’est là où son influence auprès du premier ministre pourrait être déterminante. Car, rappelons-le, celui-ci écartait encore l’automne dernier toute taxe qui pourrait alourdir d’une quelconque manière le « fardeau fiscal » des automobilistes.

Au cabinet de Geneviève Guilbault, on m’assure qu’elle est très consciente de la nécessité de « faire les choses différemment » en matière de financement. Qu’elle croit à la nécessité de développer le réseau de transport collectif, même si elle s’est davantage illustrée ces dernières années pour sa défense du projet autoroutier de « troisième lien » à Québec.

C’est même elle qui aurait demandé que le nom de son ministère soit modifié pour redevenir celui des Transports et de la Mobilité durable, me dit-on.

Cela est rassurant.

Mais les rapports d’experts (et les bonnes intentions) ont la fâcheuse habitude d’accumuler la poussière sur les tablettes de la colline Parlementaire à Québec. Les prochains mois nous diront si l’ajout des mots « mobilité » et « durable » seront davantage qu’un exercice de relations publiques.

1 Consultez le rapport du « Chantier sur le financement de la mobilité durable »