La fille du nouveau chef de la police de Montréal, Fady Dagher, a donc posé avec un fusil-jouet, l’automne dernier. Le Journal de Montréal a publié ces photos avec cette manchette : « Des photos d’Halloween embarrassantes pour le chef de la police de Montréal Fady Dagher ». 

J’ajoute : il s’agit de la fille adulte de M. Dagher, elle a 22 ans. 

Je relaie souvent et avec plaisir des nouvelles – enquêtes et scoops – du JdeM. Je concède que la décision de publier une nouvelle, dans un média, n’est pas une science exacte. Ce qui est une nouvelle pour un journaliste ne l’est pas forcément pour sa collègue. Idem pour les médias : ce que le média A va juger pertinent peut ne pas l’être dans le média B. Très bien. 

Mais dans le cas du costume de la fille de Fady Dagher, là, je suis perplexe : où est la nouvelle ? 

Le prétexte de cette révélation du Journal de Montréal, ici, c’est que la grande région de Montréal est aux prises avec une hausse indéniable de la violence par armes à feu. Le Service de police de la Ville de Montréal est au centre des efforts pour juguler cette violence armée. On sait tous les ravages de ce fléau. 

D’où la décision du Journal de publier les photos de la fille du chef de la police du SPVM posant encagoulée pour l’Halloween 2022 avec une arme-jouet : car elle est, justement, la fille du chef de la police de Montréal (chef de la police de Longueuil, au moment des faits). 

Mais j’ai beau chercher, je ne vois pas le lien entre cette photo et la violence par armes à feu. 

Est-ce du grand génie de poser avec une arme-jouet en 2022 ? Ça se discute, mais n’oublions pas le contexte : celui de l’Halloween, fête où des gens… se déguisent. 

(Sachez-le, tout de même : la police peut vous réveiller brutalement au petit matin en cherchant l’arme-jouet avec laquelle vous avez posé, car les flics ne savent pas si l’arme est un jouet, si la photo fait l’objet d’une plainte. Ce n’est pas automatique, mais c’est une possibilité.) 

Que ces photos de la jeune Dagher soient devenues une nouvelle place le chef de la police de Montréal dans une situation délicate, oui… Mais uniquement d’un point de vue de l’image, des relations publiques. Concrètement, je ne vois pas comment ça peut même soulever un doute sur sa capacité à mener le SPVM. 

Si Fady Dagher lui-même avait posé avec une arme-jouet, même en blague, l’histoire serait complètement différente. La nouvelle serait parfaitement justifiable. Ce serait même un manque de jugement justifiant sa démission. 

Autre exemple : si la fille de Fady Dagher avait posé avec une vraie arme, si elle avait des liens avec de vrais bandits, l’histoire serait encore une fois complètement différente. On peut difficilement être le père d’une jeune femme associée à du banditisme ET être chef de police. 

Mais plus largement, au-delà de la nouvelle du JdeM, permettez que je jazze un peu sur deux choses… 

Primo, à 22 ans, en 1994, si j’avais posé avec une arme-jouet, cette photo n’aurait jamais vu la lumière du jour. Pas parce que j’avais plus de jugement que la fille de Fady Dagher, mais tout simplement parce que je n’avais nulle part où la publier ! Facebook, Twitter, TikTok, Instagram et les blogues : rien de tout cela n’existait. Nous vivons à une époque où la connerie ordinaire est de plus en plus immortalisée en pixels. Vaste programme, si chaque connerie vaut une nouvelle. 

Deuzio, jusqu’à quel point les personnages publics sont-ils responsables des conneries de leurs enfants ? Pour la connerie criminelle, je comprends : si le fils de la ministre X fait un délit de fuite, si la fille de la mairesse Z importe un kilo de coke : ce sera à la une du journal. Ça fait partie de la game publique. 

Mais pour la connerie ordinaire des enfants de personnalités publiques, où est la limite, pour ce qui constitue une nouvelle ou pas ?

Je pose sincèrement la question. Je sais juste que si on s’y met, on peut sans doute remplir tout un journal avec ce qu’on va trouver sur les réseaux sociaux des enfants de nos maires, ministres, échevins, joueurs de hockey, dirigeantes de société d’État, présidents de syndicats, PDG de fleurons de Québec inc., journalistes, comédiennes, chanteurs ou préfets de MRC…

Et il ne faut pas être maire, ministre, échevin, joueur de hockey, dirigeante de société d’État, président de syndicat, PDG d’un fleuron de Québec inc., journaliste, comédienne, chanteur ou préfet de MRC, bref, il ne faut pas être une personnalité publique pour savoir ceci : on les élève, on les aime, on les outille, mais malgré tous nos efforts, des fois, nos enfants – ados ou adultes – vont quand même faire des bêtises, grandes ou petites.  

C’est d’autant plus vrai pour les jeunes femmes qui célèbrent l’Halloween comme on peut le faire à 22 ans et dont le seul « délit » est d’avoir oublié que papa est un policier en vue.