L’homme accusé du meurtre de Meriem Boundaoui a été arrêté deux ans plus tôt, dans un restaurant bondé, après avoir causé tout un émoi avec une arme cachée

« Je ne quitterai pas sans mon plomb ! » C’est en ces mots sans équivoque que Salim Touaibi, plus tard accusé du meurtre de l’adolescente Meriem Boundaoui, aurait signifié au personnel d’un restaurant où il venait de cacher son arme à feu qu’il ne comptait pas l’abandonner là.

C’était bien avant le meurtre qui lui est reproché. Mais déjà l’homme de 26 ans, surnommé Avatar et bien connu des policiers, se promenait en public avec son arme chargée.

Juin 2019, l’arme retrouvée dans sa sacoche a causé tout un émoi dans un populaire resto-bar de Griffintown.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Façade du restaurant Moretti, à Griffintown

Membres de gang

Un soir d’été comme les autres au restaurant Moretti. Musique festive, ambiance tamisée et discussions animées autour d’une généreuse portion de pâtes aux truffes, l’escouade Éclipse du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) scrute du regard la salle à manger de la pizzeria située au cœur du quartier Griffintown, à Montréal.

Les policiers aguerris repèrent deux sujets d’intérêt assis au bar. Un membre actif de gang de rue alors âgé de 17 ans. Ce rappeur populaire est alors étroitement surveillé par les autorités pour sa promotion du port d’armes, selon nos sources policières. Comme il était mineur au moment des faits, nous ne pouvons l’identifier.

Un colosse, vêtu d’un t-shirt blanc sirote un verre à ses côtés. Il s’agit de Salim Touaibi, surnommé Avatar dans la rue. L’homme de 26 ans sera arrêté en 2022 en lien avec le meurtre de Meriem Boundaoui, adolescente tuée par balles à Saint-Léonard en février 2021. Le jeune homme déjà connu des policiers en matière d’armes à feu a été accusé de meurtre au premier degré et de tentative de meurtre contre quatre autres personnes qui se trouvaient sur place au moment du drame. La date de son procès n’a toujours pas été fixée et il est présumé innocent jusque là.

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

Meriem Boundaoui en 2020

Le 23 juin 2019, lorsque Touaibi se présente au populaire restaurant italien aux alentours de 20 h en compagnie du jeune rappeur, il arbore une sacoche noire autour de son cou. Ce sac dissimule un pistolet Taurus 9 mm chargé avec six balles dans un chargeur prohibé possédant une capacité de quinze projectiles.

Le duo s’attable et entame de chaleureuses discussions avec le personnel du resto branché, alors bondé.

Arme dissimulée

Une heure plus tard, les policiers du SPVM inspectent les lieux. Salim Touaibi est invité à sortir à l’extérieur du restaurant alors que son ami demeure assis au bar.

Nerveux à la vue de cette présence policière, l’homme remet la sacoche à une serveuse qui travaille derrière le bar. Il se dirige ensuite à l’extérieur. La barmaid dépose le sac à ses pieds derrière le bar. La serveuse parle à son collègue, qui récupère l’objet.

Robin Gawn, l’employé en question, place la sacoche dans un sac à dos noir et se dirige vers l’espace situé à l’arrière du restaurant où se trouvent les conteneurs à déchets, en passant par les cuisines.

Touaibi et son ami retournent à l’intérieur du restaurant après le départ des policiers. Ils s’attendent – évidemment – à récupérer le sac caché par l’employé.

Méfait découvert

Rien ne se passe comme prévu pour les malfrats : un cuisinier découvre avec horreur l’arme de poing dans l’espace où se trouvent les conteneurs. II en informe son supérieur. Fébrile, il déplace l’arme à l’aide d’un linge à vaisselle, selon les faits relatés en cour lors de la reconnaissance de culpabilité des accusés.

Salim Touaibi et le serveur Robin Gawn se dirigent à grands pas vers les poubelles. Le tout attire l’attention des employés dans les cuisines. Surpris, ils vont suivre les deux hommes jusque dans l’espace où se trouvent les conteneurs.

PHOTO DÉPOSÉE EN COUR

Salim Touaibi (en blanc) s’adresse à un employé pour retrouver son arme perdue.

La situation est tendue. Le jeune bandit et Touaibi commencent à se disputer avec certains membres du personnel. Les vidéos des caméras de surveillance visionnées par La Presse montrent l’homme de 26 ans affolé. Il lève les bras en l’air à plusieurs reprises et se montre agressif envers certains employés.

Nerveux, les employés du restaurant-bar composent le 911. « Un conflit vient d’éclater entre deux hommes. Une arme à feu a été repérée », peut-on lire dans les documents de cour.

Tout aussi paniqués, Touaibi et le serveur retournent vers l’avant du restaurant. Ils retrouvent la sacoche vide. Le pistolet s’est envolé.

Les deux criminels se déplacent dans le restaurant en quête du pistolet. « Ces derniers sont agités. Ils entrent à quelques reprises dans les cuisines et tentent de rejoindre l’espace où se trouvent les conteneurs, mais certains employés du restaurant les en empêchent », explique-t-on dans le résumé des faits consulté par La Presse.

« Je ne quitterai pas sans mon plomb », s’impatiente Salim Touaibi, faisant référence à son arme.

À la suite de l’appel au 911, les agents se mettent à plusieurs pour arrêter Avatar sur place ainsi que son jeune acolyte quelques minutes plus tard sous les regards ébahis des groupes d’amis et des familles attablés.

L’arme de poing au numéro de série oblitéré est retrouvée sous un conteneur à déchets à l’arrière du restaurant. L’ADN de Touaibi est détecté sur le pistolet.

PHOTO DÉPOSÉE EN COUR

Il a été déclaré coupable de divers chefs d’accusation liés aux armes à feu et condamné à plusieurs mois de prison. Robin Gawn, le serveur, a été accusé d’avoir transporté une arme de manière négligente, puisqu’il a caché l’arme au lieu d’alerter la police. Il a obtenu une absolution conditionnelle. Le serveur n’est pas connu des policiers et n’a aucun lien avec des groupes criminels. « M. Gawn, sur le moment, a pensé à la sécurité des employés et voulait éloigner l’arme du bar le plus vite possible. Il a eu peur pour tout le monde, a paniqué et a caché l’arme », explique son avocat de l’époque, Me Éric Coulombe.

La Presse a joint le restaurant Moretti afin d’avoir plus de détails sur la situation. Le propriétaire et le gérant ont préféré ne pas réagir, laissant MCoulombe expliquer la situation.

« Depuis cet évènement, le personnel n’est plus autorisé à prendre les effets personnels des clients », a-t-il répondu.

Popularité des armes à feu

Cet épisode est survenu bien avant que la hausse du nombre de fusillades fasse les manchettes, mais la glorification du port d’armes à feu chez les jeunes criminels était déjà implantée.

Le besoin de se promener avec une arme en tout temps montre l’intensité des conflits entre cliques qui débutent de plus en plus tôt dans la vie des jeunes criminels, estime une source policière non autorisée à parler aux médias. « Il y a le sentiment d’impunité, mais aussi l’imprudence. Demander à un citoyen de transporter une arme chargée dans un restaurant populaire au vu et au su des clients et du personnel. »

La culture des armes à feu est bien ancrée chez les jeunes membres de gangs et les bandits « de bas niveau » depuis les quatre dernières années, explique une source du milieu criminel à La Presse. L’accessibilité grandissante aux armes à feu et les règlements de comptes qui peuvent survenir à tout moment de la journée expliquent cette attitude. « Tout peut se passer n’importe quand, indique cette dernière. Je ne connais pas de jeunes dans la rue impliqués dans des [disputes] en ce moment qui iraient au restaurant sans leur jouet [pistolet]. »