Ce n’est pas le rapport de force qui était annoncé.

Peu avant les dernières élections, François Legault sollicitait un mandat fort pour rapatrier des pouvoirs du fédéral.

En principe, il ne pouvait demander mieux. Sa majorité de 90 députés est écrasante, il est le premier ministre le plus populaire au pays⁠1 et il affronte au fédéral un gouvernement libéral minoritaire et usé.

Et pourtant, peu de choses ont changé.

Quand on examine de près les différents dossiers, un constat revient : c’est M. Legault qui a besoin de Justin Trudeau, et non le contraire. C’était flagrant lors de leur rencontre mardi dans un café du Vieux-Montréal.

Dans le passé, M. Legault a montré qu’il était contournable. En 2021, malgré son appel à bloquer les libéraux et les néo-démocrates, M. Trudeau a gagné et il gouverne désormais avec l’appui de Jagmeet Singh.

Les conservateurs ont pris des notes. Leur nouveau chef, Pierre Poilievre, ne semble pas vouloir reprendre le « contrat avec les Québécois » de son prédécesseur Erin O’Toole. Sa stratégie ressemble plus à celle de Jason Kenney qui, en 2011, avait courtisé les communautés culturelles en leur expliquant que les conservateurs défendaient leurs valeurs de responsabilité individuelle et de respect des traditions. De toute façon, M. Poilievre a plus d’affinités avec Éric Duhaime, farouche rival des caquistes.

Quant au Bloc québécois, il reste le parti frère du Parti québécois et, malgré ce qui transparaissait lors de la campagne de 2019, il relaye plus les consensus de l’Assemblée nationale que les positions du gouvernement caquiste.

Bref, M. Legault manque d’amis. Que ça lui plaise ou non, Justin Trudeau et lui sont condamnés à s’aimer.

En santé, comme d’habitude, les négociations s’éternisent. Au moins, on sait comment elles finiront : face aux provinces suppliantes, le fédéral décidera.

En immigration, le Québec paraît aussi impuissant. Au printemps dernier, M. Legault voulait que le fédéral lui confie le programme de réunification familiale pour bloquer ceux qui ne parlent pas français. Sans surprise, Ottawa a refusé de déchirer des familles, d’autant que l’effet sur la langue aurait été minime.

M. Legault a depuis recentré ses demandes.

Il déplore que le poids du Québec au pays diminue encore plus à cause du projet de M. Trudeau d’augmenter la population de 260 % d’ici la fin du siècle. Cette révolution démographique a été décidée sans consultation publique, sans souci pour le français et sans réflexion critique des néo-démocrates et des conservateurs face aux défis notamment en matière de logement.

Québec se retrouve aussi avec la facture du chemin Roxham. À cause d’un accident géographique, la vaste majorité des immigrants irréguliers y transite désormais. Et à cause des délais bureaucratiques, les demandeurs d’asile attendent plus d’une année pour obtenir leur permis de travail, puis une autre année au moins avant de savoir s’ils seront acceptés à titre de réfugiés. Pour eux, c’est cruel. Et pour le Québec, c’est coûteux – il se retrouve avec l’essentiel de la facture pour l’aide sociale et les divers services sociaux. Chaque année, il doit négocier un remboursement auprès du fédéral.

Pour le français, M. Legault est aussi relégué au rôle de demandeur. Sa nouvelle réforme exige que les entreprises de compétence fédérale (banques, transport maritime et aérien) soient assujetties à la loi 101. Parmi les 400 sociétés visées, environ 30 ne s’y conforment pas encore. À leur décharge, elles sont dans une position délicate – elles doivent respecter deux lois qui se contredisent. C’est au gouvernement Trudeau de dissiper ce flou. Même si tous les partis le lui demandent à la Chambre des communes, le chef libéral hésite à cause de ses députés hostiles à toute protection additionnelle du français.

D’autres dossiers paraissent moins compliqués.

L’immigration temporaire sera plus facile à réformer. M. Legault pourrait recourir à l’entente actuelle Canada-Québec pour enfin prioriser les étudiants et universités francophones.

Pour les infrastructures, le fédéral apporte déjà sa contribution. M. Trudeau vient d’accepter de maintenir son pourcentage du financement lors des dépassements de coûts.

Avant de demander plus d’argent, le Québec devrait utiliser toute l’enveloppe fédérale pour le transport collectif. Près de 2,7 des 7,3 milliards offerts n’ont pas été dépensés ! L’échéancier : avril 2023. Si Québec n’accélère pas l’approbation de ses projets, il aura ainsi gaspillé près de 3 milliards.

M. Trudeau se montre fort poli dans d’autres dossiers. Il évite de parler du marché du carbone Québec-Californie. Autrefois avant-gardiste, ce système est devenu laxiste à cause de son trop faible prix sur la pollution. Et il évite de critiquer de façon trop frontale le troisième lien, même si tout indique que le projet n’est pas admissible aux fonds fédéraux actuels, sans parler de l’étude environnementale qui pourrait le menacer.

M. Trudeau a appris à connaître M. Legault. Quand il lui parle d’économie, le courant passe. Les ententes se concluent rondement, comme on l’a vu pour l’aéronautique et l’internet en région.

Leurs relations ne sont donc pas trop mauvaises. C’est juste qu’elles n’ont rien à voir avec ce que M. Legault espérait lors de la dernière campagne électorale.

La dynamique n’est pas tellement déterminée par la personnalité ou la popularité des personnages. Ce qui est à l’œuvre, c’est l’habituel rapport de force de la fédération. Et il tire toujours dans le même sens.

⁠1 Selon un sondage Angus Reid réalisé début décembre*, M. Legault obtient un taux de satisfaction de 57 %, le meilleur résultat au pays, à égalité statistique avec Scott Moe, premier ministre de la Saskatchewan (56 %).

*Consultez le sondage (en anglais)