Le métier, les médias, la salle de rédaction de La Presse, et vous

C’est rare, tout de même, qu’un ministre et un média se disputent sur la place publique, comme le font Pierre Fitzgibbon et le Journal de Montréal ces jours-ci.

D’un côté, le superministre a attaqué un reporter sur Facebook en déplorant ses questions agressives et sa mauvaise foi.

Et de l’autre, Le Journal a défendu sa mission journalistique, en rappelant qu’il a pour rôle de surveiller les élus en leur posant les questions qu’il juge pertinentes.

Un bras de fer qui s’est poursuivi hier avec la publication d’une chronique sur le sujet… ainsi que d’une nouvelle salve de M. Fitzgibbon sur Twitter.

Ce qu’il y a d’étonnant ici, c’est l’escalade et le caractère public de la chose, essentiellement. Car en coulisses, soyons honnêtes, de tels accrochages entre deux institutions obligées de travailler ensemble au jour le jour ont lieu chaque semaine.

Dans les derniers jours, par exemple, je me suis moi-même colletaillé avec le bureau de François Legault au sujet du texte portant sur sa réponse à la mort d’une fillette happée par une auto. Et Le Devoir s’est fait reprocher de ramener des nouvelles qui font mal paraître la CAQ en environnement plutôt que se concentrer sur une annonce de 650 millions de dollars pour la biodiversité en marge de la COP15.

Il n’y a rien de bien dramatique dans ces accrochages : chacun tente d’accroître son contrôle et son rapport de force, soit pour passer son message le plus positivement possible, soit pour obtenir plus d’information.

C’est sain, car la vérité émane souvent du choc des points de vue. D’un côté, les médias ont pour mission d’exiger des comptes et de critiquer les élus. Et de l’autre, ces élus ont tout à fait le droit de répondre et de critiquer à leur tour.

Et j’oserais même qualifier ces chocs de souhaitables. Je préfère en effet des discordes à l’absence d’accrochage, car cela dénoterait une proximité et une complaisance entre ceux qui décident et ceux qui surveillent.

Et pourtant, on est ailleurs avec l’affrontement public des derniers jours.

Le ministre Fitzgibbon, le plus influent du gouvernement, a choisi de descendre lui-même dans la ruelle et d’attaquer avec une rare virulence un reporter du Journal de Montréal, en publiant son nom et ses questions sur une plateforme sociale.

Il aurait cherché à humilier ce journaliste qu’il ne s’y serait pas pris autrement.

Si Pierre Fitzgibbon s’était contenté de regretter l’intérêt du Journal pour son don testamentaire de 5 millions de dollars à HEC, honnêtement, j’aurais pu comprendre. Si un reporter m’avait proposé de faire un texte déplorant ce don sous l’angle du « mauvais message » qu’il envoie aux autres universités, je lui aurais probablement répondu de se concentrer sur un sujet plus porteur.

Déjà que la tradition de redonner à son alma mater n’est pas très ancrée chez les francophones, nous n’allons quand même pas consacrer nos ressources à chercher à tout prix à discréditer ceux qui le font.

Mais le ministre ne s’est pas contenté de déplorer ce douteux traitement d’une nouvelle positive. Il a plutôt visé un journaliste sur la place publique.

Il l’a insulté en disant qu’il faisait partie des reporters de mauvaise foi et de moindre envergure. Et il a publié ses questions sur Facebook en évoquant de l’agressivité et un intérêt mal intentionné.

On appelle cela une attaque ad hominem : il a visé l’individu plutôt que ses écrits ou ses opinions.

Or, en cherchant à dissuader un journaliste de faire son devoir, M. Fitzgibbon a ainsi franchi le pas qui sépare la critique de l’intimidation. D’où l’intervention de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, qui exige des excuses.

M. Fitzgibbon a en effet délibérément choisi de jeter un doute sur le travail d’un reporter et de le discréditer en s’attaquant à sa rigueur et à ses intentions.

Il cherche ainsi à faire mal paraître le reporter en se disant agressé par des questions plutôt banales, comme les journalistes en envoient tous les jours dans tous les cabinets.

IMAGE TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE PIERRE FITZGIBBON

Questions envoyées au ministre Fitzgibbon, qu’il a lui-même relayées sur Facebook

On peut certes, je le redis, s’interroger sur la pertinence de publier un article sur le sujet. Mais le journaliste a pleinement le droit de poser en amont toutes les questions qu’il juge nécessaires. Surtout qu’il l’a fait de manière neutre et respectueuse dans ce cas-ci (aurait-il dû ajouter des émojis pour éviter qu’on y voie de l’agressivité ?).

Si le ministre juge qu’il fait l’objet d’acharnement de la part d’un média, qu’il le dise, et qu’il mette de l’avant les sujets sur lesquels il estime être victime de dénigrement systématique plutôt que de tenter de faire taire un reporter.

Demain : lisez le point de vue sur la question de l’ancien maire de Gatineau Maxime Pedneaud-Jobin.