Le Parti libéral du Québec voit le pouvoir à l’horizon. Il le voit au loin dans ses jumelles, en format miniature, et depuis le départ de Dominique Anglade, l’image reste toute petite.

Changer de chef ne suffira pas. Mme Anglade ne tirait pas son parti vers le haut, mais elle n’était pas un boulet non plus. La baisse de popularité avait commencé en 2014.

Le problème était plus profond et il demeure.

En voici un exemple.

En juin dernier, le député Marc Tanguay accusait François Legault de n’assembler rien de moins que le « dream team de la séparation ». « Pourquoi priorise-t-il sur le dos des Québécois sa démarche de la séparation du Québec ? », lançait-il.

De l’autre côté de la chambre, les caquistes riaient dans sa face. Ce qui est habituellement mauvais signe, surtout quand vous n’essayiez pas d’être comique.

Quelqu’un – je parle des individus sobres – croit-il sérieusement que M. Legault déclenchera un référendum sur l’indépendance ?

Cette déconnexion avec les francophones et ce refus de sortir du clivage fédéraliste-indépendantiste coulent les libéraux. Leurs anciens châteaux forts de Verdun et de Laporte leur ont échappé. Il ne leur reste que les circonscriptions de Montréal et de Laval où les francophones sont moins nombreux.

Même le siège de Saint-Henri–Sainte-Anne, où une élection partielle sera déclenchée d’ici la fin du printemps à la suite du départ de Mme Anglade, pourrait être perdu.

Signe des temps, de nouveaux députés gazouillent systématiquement en bilingue. À les voir aller, entre le Parti libéral du Canada (PLC) de Justin Trudeau et le Parti libéral du Québec (PLQ), il n’y a qu’une lettre de différence. Cela menace de devenir un cercle vicieux. Plus ils parleront au nom de leurs électeurs anti-nationalistes, plus ils s’aliéneront les autres Québécois.

Mme Anglade avait tenté en 2019 un timide virage nationaliste en promettant de renforcer la loi 101. Elle a reculé sous la pression de ses députés du West Island.

Je ne vois rien dans la nouvelle cohorte pour renverser la tendance.

La première tâche des libéraux sera de nommer un chef ou une cheffe intérimaire. Le manque de choix est un embarras.

Ce poste va habituellement à un vétéran, comme Jean-Marc Fournier en 2012 ou Pierre Arcand en 2018. Mais personne ne répond à ce profil dans l’actuel caucus libéral, dont la moitié des députés sont des recrues.

Le chef intérimaire devra encadrer ces nouveaux venus et renouveler l’entourage. C’est un reproche qui revenait constamment à l’endroit de Mme Anglade. Même sous le couvert de l’anonymat, je n’ai jamais entendu de libéral attaquer sa personnalité. Ses qualités étaient reconnues par tous. Mais son leadership l’était moins. La critique la plus fréquente : elle s’entourait mal et elle n’arbitrait pas assez les conflits autour d’elle.

Si les libéraux souhaitent prouver leur allégeance au Québec, ils pourront faciliter les travaux pour mettre fin au serment. De leur part, on s’attend à un service minimal : ne pas nuire à ceux qui veulent abolir cette sujétion coloniale.

Pour le reste, l’autorité morale du chef intérimaire sera limitée. Il ne pourra pas changer l’orientation idéologique du parti. Mais rien ne l’empêche d’ajuster un peu le style…

Anecdote racontée par trois différentes sources : en réunion peu avant la pandémie, des libéraux suggèrent de se démarquer en mettant de l’avant des solutions constructives. Des députés de la vieille garde s’y opposent. Selon eux, l’opposition sert à s’opposer, pas à proposer. Ils assurent que le gouvernement Legault va « se couler tout seul ». Ils attendent encore.

C’est plutôt le PLQ qui n’en finit plus d’explorer les bas-fonds des sondages.

L’exécutif du parti décide de la date du déclenchement de la course à la direction. Il ne sera pas pressé. Plus il patiente, plus il laisse le temps à des candidats de l’extérieur de s’organiser. Surtout s’ils voient que François Legault baisse dans les sondages et prépare son départ.

Mais auparavant, le parti doit lui-même se reconstruire. La vie militante y est faiblarde et les associations de circonscription sont exsangues. La base est fragile, là où elle existe.

Le PLQ est à la croisée des chemins. Contrairement à l’exercice qui s’était déroulé en 2013, le PLQ ne se choisira pas seulement un chef. Il décidera de ses valeurs. De sa raison d’être.

Comment renouer avec les francophones tout en défendant les valeurs libérales comme les droits des minorités et le fédéralisme ? Au-delà des grands principes, c’est une question de ton. Je donne l’exemple de Régis Labeaume. Je sais, l’ex-maire de Québec n’est pas intéressé par le poste. Mais à tout le moins, il montre qu’un politicien peut défendre des valeurs d’inclusion et de diversité sans perdre contact avec les francophones, et ce, partout au Québec.

Cette perle rare existe-t-elle ? Avec les sondages actuels, elle sera difficile à trouver. Mais plus le PLQ patiente, plus il met les chances de son côté.