Quand Justin Trudeau est invité dans les sommets environnementaux, il ne se fait plus applaudir. La semaine dernière, le premier ministre a subi une entrevue corsée lors de la conférence de l’Institut climatique du Canada.

Ses discours optimistes ont passé leur date d’expiration. L’heure est aux bilans, et le sien est décevant. Depuis l’Accord de Paris en 2015, le Canada est le cancre du G7 en matière de réduction de gaz à effet de serre (GES). Il occupe aussi le deuxième rang pour le pire taux par habitant du G20, tout juste derrière l’Arabie saoudite. Et sa province qui pollue le plus, l’Alberta, continue sa fuite vers l’avant.

Pour racheter sa crédibilité, M. Trudeau compte sur une personne : Steven Guilbeault.

Vendredi, cela fera une année que l’ex-militant écologiste a été nommé ministre de l’Environnement. Pour l’instant, il passe sous les projecteurs. On se demande ce qu’il fait.

La réponse courte : beaucoup de choses.

Il pilote déjà plus de six réformes. Mais aucune n’a encore abouti, et la route devant lui est remplie de dangers.

Il veut plafonner les émissions de GES du gaz et du pétrole. Les consultations viennent de se terminer. Le cadre devrait être déposé dans les prochains mois. On saura à partir de quand le plafond s’appliquera, à quel rythme les émissions diminueront et si des exceptions seront prévues. Mais déjà, l’Alberta menace de contester devant les tribunaux.

Deuxième mesure, créer une norme canadienne sur l’électricité propre. L’objectif : la carboneutralité d’ici 2035. Cela implique des changements majeurs, notamment en Ontario et en Alberta, provinces qui dépendent encore beaucoup du gaz. Et aussi en Nouvelle-Écosse et en Saskatchewan, où le charbon est parfois utilisé.

Mais comme pour le plafond des émissions, il s’agit d’une compétence partagée avec les provinces, et leur collaboration est loin d’être acquise… Par exemple, peu après sa première élection, Doug Ford avait retiré l’Ontario du marché du carbone et avait annulé des projets éoliens et solaires.

Les autres mesures prévues ne seront pas simples non plus.

M. Guilbeault veut forcer les constructeurs à offrir un seuil minimal de véhicules électriques. Le règlement laxiste du Québec, qui aura peu d’effet avant 2029, constitue l’exemple à ne pas imiter.

Il veut aussi réduire les émissions de méthane pour l’agriculture et pour les déchets. Et il renforcerait le règlement en vigueur pour le secteur pétrolier et gazier. Après la baisse prévue de – 40 % en 2025, on passerait à - 75 % en 2030.

À cela s’ajoutent trois autres morceaux.

Il y a le dépôt attendu d’un projet de loi sur la transition juste. En agissant dans leurs mandats précédents, les libéraux auraient pu rassurer les travailleurs. Mais aux Ressources naturelles, le simple terme de « transition énergétique » est tabou.

M. Guilbeault promet aussi d’éliminer graduellement les subventions aux énergies fossiles. Reste à voir quelles exceptions seront prévues pour financer la capture du carbone, une technologie qui n’a pas fait ses preuves et qui sert pour l’instant de prétexte à l’industrie pour continuer d’augmenter sa production.

Et enfin, il y a la mise à jour du marché du carbone. Les provinces qui le tarifient déjà devaient soumettre leur plan à Ottawa pour la période 2023-2030.

On vérifiera si leurs systèmes se conforment aux exigences fédérales. Ce sera un test pour le Québec, qui est passé de pionnier à élève très moyen à cause de son prix modeste sur la pollution.

M. Guilbeault doit commencer à se sentir un peu seul.

Le 11 octobre, à Washington, la vice-première ministre Chrystia Freeland a esquissé ce qui ressemble à la nouvelle stratégie géopolitique du Canada. Les démocraties alliées doivent se serrer les coudes, a-t-elle plaidé dans un discours. Pour Ottawa, cela passerait par une hausse des exportations de ressources naturelles afin de remplacer la Russie.

En parallèle, le lobby pétrolier s’active. Dans les rues du centre-ville d’Ottawa, une affiche proclame que « le monde aura besoin de pétrole et de gaz pour les prochaines décennies à venir ». Un unifolié flotte bravement dans un ciel bleu pur. Puis on pose la question : « D’où [cette énergie] devrait-elle venir ? » On omet toutefois de rappeler que, selon les climatologues, les émissions mondiales doivent commencer à diminuer dès 2025 pour éviter le pire. Je répète : en 2025. Demain matin.

C’est dans ce contexte que certaines provinces veulent bloquer le fédéral. L’Alberta conteste même devant les tribunaux le projet libéral de restreindre les emballages en plastique. Tout comme des multinationales comme Dow et Imperial Oil, elle allègue que la toxicité du plastique n’est pas prouvée.

Certes, l’obstruction de certaines provinces n’explique pas toutes les hésitations et tous les reculs du gouvernement Trudeau.

Une belle preuve : le récent feu vert accordé au projet pétrolier de Bay du Nord. Et le gouvernement Trudeau n’a que lui-même à blâmer s’il a tant attendu avant de lancer ces nouvelles réformes.

D’autant plus que le pire pourrait être à venir. Les libéraux doivent prier pour que Danielle Smith, nouvelle première ministre de l’Alberta issue de la droite pure et dure, perde ses élections en mai prochain.

Et si les libéraux reportent leurs annonces de quelques mois pour ne pas donner de munitions à Mme Smith en campagne électorale, ils prendraient un pari énorme. Car leur mandat à Ottawa est minoritaire, et Pierre Poilievre les a rattrapés dans les sondages.

Voilà le contexte dans lequel M. Guilbeault travaille. Pour lui comme pour le climat, l’année à venir sera périlleuse.