Il avait été puni par là où il avait péché.

En 2012, Bernard Drainville recevait un cadeau empoisonné : le poste de ministre responsable des Institutions démocratiques. Et, donc, du projet de charte de la laïcité. Après avoir réfléchi à voix haute à la mort de son parti et à l’urgence de faire de la politique autrement, il se voit offrir cette mission périlleuse. Le message : bonne chance, Bernard, on te regarde…

Cette fois, il hérite d’un mandat casse-gueule pour des raisons très différentes. Si François Legault le nomme à l’Éducation, sa « priorité », c’est parce qu’il lui fait confiance. Mais à en juger par les langues qui se délient déjà, cette opinion n’est pas partagée par tous. Quelques heures après sa nomination, des gens du milieu de l’éducation relayaient des déclarations controversées de l’ex-animateur de radio sur la notation des élèves et la ventilation.

J’ai parlé à des gens qui ont côtoyé M. Drainville ainsi que d’autres qui ont connu son nouveau poste de près.

La première tâche qui l’attend, c’est d’apprivoiser son ministère. Il l’a d’ailleurs reconnu lui-même jeudi après sa nomination : « C’est une grosse machine, il ne faut pas se faire avaler. »

Une certaine incertitude agite l’édifice du Complexe G, à Québec, où se trouve le ministère. Pour le comprendre, on n’a qu’à comparer le mandat de M. Drainville à celui de Christian Dubé.

Le ministre de la Santé a déposé en mai un plan de réforme qui s’appuie sur les consensus de précédents rapports. Ce document, bien reçu par le milieu, a ensuite été soumis à la population en campagne électorale. Le ministre, un gestionnaire de métier, est prêt à agir.

À l’Éducation, c’est en 2018 que la CAQ avait présenté ses grandes réformes comme la maternelle 4 ans et la conversion des commissions scolaires en centres de services. Cette fois, même si M. Legault promettait quelques mesures concrètes, elles ne différaient pas immensément de celles de ses adversaires. Et personne ne s’attend à des miracles. Car on connaît mieux les problèmes que la façon de les régler…

C’est dans ce contexte qu’arrive M. Drainville. En fait, il forme un trio.

Il sera épaulé par une nouvelle sous-ministre réputée efficace, Carole Arav, qui était auparavant au ministère du Travail. Et son chef de cabinet est Robert Dupras. C’est un message fort. Il a un accès direct à M. Legault. Il travaille avec lui depuis la création de la CAQ et il le conseillait aussi au début des années 2000 aux ministères de l’Éducation et de la Santé.

Mais l’arrivée de sang neuf pourrait inquiéter ce ministère réputé pour sa lourdeur.

Le plus gros piège pour M. Drainville serait de jouer au Joe Connaissant, me confie une source. Avant de proposer des solutions, il faut prouver sa maîtrise des dossiers. Sinon, la machine pourrait se transformer en nuisance. Par exemple, en prenant tout son temps pour rédiger ses rapports ou en faisant fuiter des informations aux médias…

Il devra être méthodique et rigoureux. Et habile aussi. Car même si la haute fonction publique ne ment pas à son ministre, elle ne lui dit pas forcément toute la vérité. C’est à lui de poser les bonnes questions.

Son expérience comme ministre l’aidera. Mais il devra rester humble.

Son prédécesseur Jean-François Roberge relativisait les problèmes de la ventilation et de la pénurie de professeurs pour éviter d’être lui-même critiqué. L’orgueil est un piège. Mais inversement, mieux vaut ne pas inutilement embarrasser son équipe. Ce qui est dit devant les caméras doit d’abord être partagé à l’interne. Et le message ne doit pas changer.

M. Drainville a reçu un épais cahier de breffage de cinq pouces qu’il commencera à lire cette fin de semaine.

Je vois quatre chantiers : la réussite scolaire et l’inégalité des chances, la pénurie de main-d’œuvre et les conditions de travail, la rénovation et la construction d’écoles, et enfin la bureaucratie et la centralisation qui demeurent.

Se retrouvera-t-il malgré lui au cœur de querelles idéologiques ? Moins que ses prédécesseurs, me dit-on. On n’est plus à l’époque du débat sur les compétences transversales. Mais il y a un angle mort au Ministère. Les statistiques disponibles sont sous-utilisées et gardées inutilement confidentielles. Les exploiter davantage aiderait à identifier les méthodes efficaces.

M. Drainville promet de visiter les écoles et de rencontrer le personnel. C’est une nécessité pour documenter les problèmes et trouver des solutions rassembleuses. Autres conseils qui reviennent : se méfier de la bureaucratie des centres de services scolaires et ne pas aggraver lui-même la centralisation.

Pour chaque incident dans une classe, l’opposition le blâmera. Le danger est de perdre trop de temps à gérer cette joute partisane et d’y réagir à chaud. Avec des remèdes conçus très loin du terrain.

François Legault a nommé quelqu’un qui lui ressemble. M. Drainville vient lui aussi d’un milieu populaire. Aîné d’une famille de six enfants, il a grandi dans une ferme laitière à La Visitation-de-l’Île-Dupas, près de Berthierville. Ce village de 400 habitants comptait surtout des ouvriers et des cultivateurs. À l’exception d’un oncle, Bernard sera le premier de sa famille à se rendre à l’université.

Plusieurs de ses amis d’enfance font des métiers manuels. En interview avec d’autres médias, il a dit vouloir valoriser davantage les formations techniques.

Ses trois enfants ont fréquenté à la fois l’école publique et l’école privée — la famille a souvent déménagé quand le père journaliste changeait d’affectation.

Un de ses enfants aurait été démotivé par les effets de la pénurie de main-d’œuvre. Son enseignant a changé trois fois dans la même année, et les élèves en difficulté accaparaient une bonne partie de son attention.

Si cela ne convainc pas M. Drainville de l’urgence d’améliorer les conditions de travail des profs, il pourra en parler avec ses deux sœurs qui exercent ce métier.

Et s’il se choque devant de telles injustices, ce ne serait pas mauvais. Ni surprenant. Comme le chef caquiste, M. Drainville est instinctif, émotif, travaillant et impatient. Lui non plus n’a pas la langue de bois, pour le meilleur et pour le pire. On se souvient de son « Lâchez-moi avec les GES » en campagne électorale pour défendre le troisième lien Québec-Lévis. Ses proches plaident que c’était dans le contexte plus partisan de la campagne électorale.

Quand je faisais de la radio avec lui au 98,5, j’ai découvert son énergie nerveuse. Il soulignait, annotait et raturait ses notes jusqu’à la dernière minute. Le griffonnage paraissait incompréhensible. Mais derrière ce chaos, il y a une méthode, assure un de ses proches. « Dans sa tête, Bernard sait toujours où il s’en va. »

À partir de maintenant, il avance dans un des plus lourds paquebots du gouvernement, en portant les espoirs des parents et de leur progéniture. Dans leur cas, c’est sans ironie qu’ils lui diront : « bonne chance ».