Quelques feux jaunes devraient s’allumer en réaction à un scénario avec lequel François Legault jonglerait : faire de Pierre Fitzgibbon un superministre responsable à la fois de l’Économie et de l’Énergie.

Selon mes collègues Tommy Chouinard et Denis Lessard, cette hypothèse serait sérieusement envisagée. M. Legault scinderait ainsi en deux l’actuel ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles. Et il pourrait faire la même chose avec celui de l’Environnement afin qu’une division de ce ministère ait un rôle économique axé sur la transition énergétique — ce portefeuille serait confié à une autre personne.

M. Fitzgibbon est un homme de confiance du premier ministre. Son parcours dans le privé en fait un négociateur aguerri. Le développement économique, c’est sa vie. Il est réputé infatigable pour conclure des deals, comme il le dit lui-même.

Afin d’attirer des investisseurs, M. Fitzgibbon miserait sur les fonds publics et l’énergie propre et peu chère du Québec. En ce sens, il est bien placé pour exécuter la vision caquiste de la transition énergétique. Et c’est justement tout le danger…

Pour la CAQ, le virage vert est avant tout une opportunité économique. Son but : électrifier les transports et les industries sans changer notre façon de produire, de consommer, de nous déplacer et d’occuper le territoire.

Or, notre électricité n’est pas illimitée. Les surplus disparaîtront bientôt. Et le prix relativement faible entraîne des problèmes environnementaux — c’est une incitation au gaspillage. Mais cela ne préoccupait pas beaucoup le gouvernement caquiste. La sobriété et l’efficacité énergétiques arrivaient très loin dans ses priorités. C’était moins vendeur pour lui que de couper un ruban dans une usine.

En campagne électorale, M. Legault parlait même de construire de nouvelles centrales hydroélectriques. Et ce, avant d’en avoir évalué le besoin avec des experts.

Hydro-Québec a dû trouver l’idée un peu prématurée. Chose certaine, les tensions avec la société d’État sont réelles. Vendredi, mon collègue Francis Vailles écrivait que la PDG d’Hydro-Québec songerait à démissionner à cause de la multiplication des projets énergivores défendus par le gouvernement⁠1.

En janvier, Le Journal de Montréal rapportait aussi que la société d’État avait prévenu près de 30 entreprises que l’énergie pourrait manquer pour leurs projets. Mme Brochu avait été aussi loin qu’elle le pouvait. En vertu de la loi, Hydro-Québec ne peut pas refuser de distribuer de l’électricité à un client. Sa patronne réfléchissait à un encadrement de la vente en fonction de lignes directrices. De quoi plaire à ceux qui déplorent par exemple que des centres de données ouvrent sans qu’on utilise la chaleur qu’ils dégagent pour alimenter d’autres projets, comme une serre. Mais pour ajouter de telles conditions, il faudrait modifier la loi.

Le Parti québécois avait réclamé en vain une commission parlementaire. Avec son mandat encore plus fort, le nouveau gouvernement caquiste ne donne aucun signe de vouloir écouter.

L’idée de rassembler les dossiers énergétiques et économiques est prometteuse, à condition que cela se fasse en fonction du bon objectif. Car l’électrification n’est pas une fin. C’est un moyen. Le but est de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES).

L’Allemagne a un ministre de l’Économie et du Climat, Robert Habeck, issu du Parti vert.

Le Royaume-Uni a aussi créé un ministère des Affaires, de l’Énergie et de la Stratégie industrielle. Une agence indépendante examine annuellement les émissions de GES qui relèvent de chaque ministère. Un plan d’action doit être soumis. Les experts vérifient si les cibles sont atteintes, recommandent des corrections et mènent des études au besoin. Cette reddition de comptes est une obligation légale.

Cette agence est un excellent modèle à imiter, m’explique Johanne Whitmore, chercheuse principale à la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal. Mais pour l’instant, M. Legault en reste très loin.

Dans son premier mandat, le gouvernement caquiste a fait exactement le contraire. Il a aboli le Conseil de gestion du Fonds vert qui examinait notre bilan environnemental et rendait des comptes à l’Assemblée nationale.

Cet organisme indépendant a été remplacé par un simple conseil consultatif que le gouvernement peut ignorer. D’ailleurs, c’est justement ce que les caquistes ont fait. Ils ont refusé la recommandation d’adopter un budget carbone — un plafond de GES par secteurs à ne pas dépasser.

Il reste les rapports annuels du Vérificateur général. Or, les années passent et ses critiques se succèdent sans que le gouvernement y réagisse. Le constat est toujours le même : Québec investit sa cagnotte verte dans des projets sans savoir s’ils offrent un bon rendement environnemental en termes de diminution de GES par dollar.

Pire, le gouvernement caquiste se vante du contraire. Il se félicite d’avoir déposé le premier plan climat — rebaptisé plan d’économie verte — qui chiffrerait les réductions. La preuve de l’efficacité de ce plan n’a toutefois pas encore été faite, comme l’ont démontré les chercheurs de HEC Montréal⁠2 ainsi que la commissaire au développement durable⁠3.

Beaucoup d’optimisme est requis pour croire que cela s’améliorera sans reddition de comptes, et en confiant plus de pouvoirs à un ministre qui a été blâmé à répétition par la commissaire à l’éthique sans que cela trouble sa conscience.

L’idée de créer un superministre de l’Énergie n’est pas mauvaise. À condition d’accepter que ce pouvoir se fasse au service d’une vision claire. Et avec la transparence et la reddition de comptes que le sujet mérite.

1. Lisez la chronique de Francis Vailles ⁠2 Lisez le rapport de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal ⁠3. Lisez Notre résumé du rapport de la commissaire au développement durable