(Québec) La « quasi-totalité » des actions financées par le Fonds d’électrification et de changements climatiques (FECC) « n’ont pas d’indicateurs ni de cibles adéquates ». Et la politique énergétique du gouvernement comporte tellement de lacunes qu’elle risque de « compromettre la transition énergétique du Québec », dénonce la commissaire au développement durable.

« Le ministère ne détient pas une information de gestion uniforme et suffisante des actions financées. Il n’est donc pas en mesure de suivre leur performance, notamment parce que la quasi-totalité de ces actions n’ont pas d’indicateurs ni de cibles adéquates », rapporte Janique Lambert, dans son rapport déposé mercredi.

« Lorsqu’on met une action en place dans un plan, on doit s’assurer d’avoir un indicateur qui va mesurer l’effet de cette action-là, une cible. Donc, avoir une cible, puis, par la suite, faire le suivi. C’est ça, la gestion 101 », a ajouté Mme Lambert en conférence de presse.

Le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, se targue depuis longtemps d’avoir un plan chiffré et fiable pour atteindre la cible climatique de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 37,5 % d’ici 2030, tout en écorchant l’ancien gouvernement libéral pour les lacunes du Fonds vert.

Mais peu de choses ont changé, souligne la commissaire.

En fait, 80 % des dépenses prévues, soit 5,4 milliards sur 6,7 milliards, proviennent du Plan d’action 2013-2020 sur les changements climatiques (PACC 2013-2020). On les a reconduites « sans avoir préalablement évalué leur performance ».

Vieille recette

« L’évaluation de la performance des actions est d’autant plus importante que le PACC 2013-2020 était la pièce maîtresse devant contribuer à atteindre la cible de réduction de 20 % sous le niveau de 1990 », et que le Québec a plutôt complètement raté la cible. Le gouvernement Legault utilise maintenant la même recette, et espère tout de même atteindre la cible de 2030.

Le ministre Benoit Charette a rétorqué en minimisant la portée du rapport et en affirmant que sa récente mise à jour avait réglé plusieurs problèmes.

C’est une photo qui date du 1er avril 2021. C’est un portrait qui n’est plus exact aujourd’hui.

Benoit Charette, ministre de l’Environnement

La commissaire a immédiatement répliqué que certains de ces constats sont très actuels et datent plutôt de février 2022.

Mais la commissaire ne s’arrête pas là. Pour certaines actions, le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques a tout simplement choisi de reconduire « sans ajustement » des programmes qui échouaient pourtant à atteindre leurs objectifs.

Elle cite par exemple les programmes ÉcoPerformance (efficacité énergétique et conversion vers des énergies moins émettrices de GES), Technoclimat — Bioénergies et Chauffez vert, qui ont tous raté leurs cibles par le passé, et qui ont vu leur budget reconduit.

Plus le ministère tarde à les réviser, plus des montants sont engagés sur plusieurs années sans pouvoir bénéficier des ajustements requis.

Janique Lambert, commissaire au développement durable

Elle critique aussi la lenteur du ministère, qui « a transmis tardivement aux partenaires les directives concernant la quantification des GES ». « En février 2022, il n’était pas possible d’évaluer la performance de près de 90 % des 78 actions en cours financées par le FECC puisqu’elles n’avaient pas d’indicateur ou qu’elles avaient des indicateurs inadéquats », explique Janique Lambert.

Le ministre de l’Énergie critiqué

Dans son rapport, Mme Lambert écorche également le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, Jonatan Julien, et sa Politique énergétique 2030. Adoptée en 2016, elle accumule les retards. « Même si plus de six ans se sont écoulés depuis l’adoption de la politique, le [ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles] n’a toujours pas entrepris tout ce qui était nécessaire pour assurer l’atteinte des cibles et n’évalue pas les progrès réalisés en vue de leur atteinte en 2030 », dit-elle.

PHOTO ERICK LABBÉ, LE SOLEIL

Jonatan Julien, ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles

À son avis, « les lacunes que nous avons relevées risquent de compromettre la transition énergétique du Québec ». Au Parti québécois, le député Sylvain Gaudreault est catastrophé.

Ça ne vient pas calmer mon écoanxiété. C’est dévastateur pour l’atteinte des cibles, pour la gouvernance. Le système dont se vante le ministre, elle dit que ça ne marche pas. Ça prend un coup de barre.

Sylvain Gaudreau, député du Parti québécois

Il demande d’ailleurs l’adoption rapide par le gouvernement de son projet de budget carbone.

Et selon la députée de Québec solidaire Émilise Lessard-Therrien, ce rapport vient confirmer qu’elle avait raison de demander la démission du ministre Benoit Charette : « Ce qu’on a constaté ce matin, c’est ce que Québec solidaire dit depuis des mois : pour la CAQ, la lutte aux changements climatiques, c’est un échec », a-t-elle affirmé mercredi.