Elle est née avec la télé, et la télé est née avec elle. Le couronnement de la jeune Élisabeth II, en l’abbaye de Westminster, le 2 juin 1953, fut le premier évènement à rassembler le monde autour du petit écran. Avant l’homme sur la Lune, avant les Jeux olympiques, avant les séries à succès et les spectacles à grand déploiement, la première à faire rêver les gens, dans leur foyer, c’est elle.

Trois cents millions de personnes ont vu l’archevêque de Canterbury déposer la couronne de saint Édouard sur la tête de la reine, pendant que la foule scandait, à trois reprises, God Save the Queen ! . Des scènes comme ça, on en avait vécu seulement au cinéma. Cette fois, ce n’était pas une vue, c’était vrai.

Élisabeth II fut la première vedette de la télé. Avant Elvis, Lucille Ball, Johnny Carson et Michèle Richard. Des millions de familles ont acheté un téléviseur à cause de son couronnement, soit pour le voir, soit après l’avoir vu chez des amis ou dans les vitrines des magasins. L’être humain venait d’expérimenter pour la première fois une nouvelle sensation : être là sans y être. Le monde ne devait plus jamais être le même.

Le premier ministre Winston Churchill ne voulait pas que les caméras entrent dans l’abbaye. C’est la souveraine qui l’a exigé. Elle avait tout compris. Sa fonction avait beau n’être que symbolique, il lui fallait maximiser le seul pouvoir qu’il lui restait, celui de l’image. Un énorme pouvoir.

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La reine Élisabeth II lors de son couronnement, le 2 juin 1953, en l’abbaye de Westminster

Ses prédécesseurs omnipuissants connaissaient bien sa valeur, en reproduisant leurs figures sur les pièces de monnaie, sur les tableaux des grands maîtres, en défilant dans les rues du royaume et en se donnant en spectacle devant la cour. Au XXe siècle, pour que le peuple nous suive, il fallait être dans la TV.

La vie de la famille royale britannique est devenue la première téléréalité de l’Histoire. Leur job, c’est d’exister. Et le plaisir des sujets, c’est de les regarder exister. De son couronnement à l’émission spéciale que vous êtes en train de regarder, en ce moment, toutes les joies et les peines d’Élisabeth et des siens nous ont été retransmises.

La reine d’Angleterre fut une héroïne très particulière. À la fois de son temps et d’un autre temps. Une dame discrète qui s’habillait pourtant comme Elton John. Une milliardaire, qui, malgré le faste des bijoux et des palais, n’a jamais eu l’air bling-bling, au contraire, c’est avec un fichu sur la tête, dans la boue de ses terres de Balmoral, qu’elle était le plus dans son élément. Dans ce médium où l’émotion règne, elle a réussi à nous fasciner, sans jamais laisser transparaître la sienne. Elle était l’image de la retenue, de la contenance. Une présence rassurante, au milieu de tant d’excessifs.

Au fil des ans, sa modération l’a, tout de même, éloignée du peuple. Lady Di est devenue la princesse des Cœurs, et la reine s’est vu attribuer, par plusieurs, le rôle de la méchante belle-mère. Son manque de réaction à la mort de Diana n’a pas aidé sa cause.

Au XXIe siècle, la cote de popularité d’Élisabeth II n’était donc plus à son sommet. Elle était toujours respectée, mais beaucoup moins adulée, pas oubliée, mais beaucoup moins remarquée. La lumière sur elle s’éteignait doucement.

Ce n’est pas Dieu qui a sauvé la reine, c’est la télé. Sa complice de toujours.

La télé dans sa plus récente mise à jour : Netflix. La série The Crown, qui s’est amorcée en 2016, dans nos écrans géants, a redonné le lustre à la couronne posée sur la tête de la reine, 63 ans plus tôt, dans nos vieux téléviseurs noir et blanc. Grâce aux brillantes actrices qui ont interprété son rôle, Élisabeth II a reconquis son auditoire. Son destin romancé nous a permis de découvrir la femme sous le chapeau. Et une nouvelle génération a saisi sa place dans l’Histoire.

La reine a su faire passer la royauté dans la modernité, en se servant de l’invention permettant d’entrer chez les gens. L’éclipse médiatique provoquée par sa disparition en est la plus belle preuve.

La monarchie est dépassée, mais les contes de fées et de princesses ne le seront jamais. Tout le star-system repose sur notre besoin de nous identifier à une version sublimée de nous-mêmes.

Et parmi tous les titres porteurs, Miss Univers, Monsieur Monde, Oscar de l’année, championne des Internationaux des États-Unis, gagnant de Félix, champion poids lourd de la WBC, gagnante d’OD ou de L’amour est dans le pré, le plus inaccessible demeure reine ou roi d’Angleterre. C’est pour ça qu’il est le plus évocateur.

À Charles III de savoir en préserver la marque avec autant d’habileté que sa mère disparue. Révolutionnaires ou pas, la vie et la mort de cette dame nous auront touchés, car elle a réussi le plus éprouvant des exploits : durer.