Il s’en est passé, des choses, en trois semaines. Le 20 juin, Hockey Canada disait avoir tout fait comme il faut pour enquêter sur un viol collectif qui aurait été commis par huit joueurs de hockey junior – les moins de 20 ans.

Jeudi 14 juillet, Hockey Canada, présidée par le même Scott Smith, nous dit qu’ils ont fait ça tout croche. S’excuse et se réexcuse.

Hockey Canada a « entendu la population ». L’enquête indépendante sur les évènements de 2018 sera donc reprise au complet. Et cette fois, les joueurs seront « forcés » d’y participer, sous peine d’être bannis des activités de Hockey Canada. Les résultats de cette enquête seront ensuite soumis à une formation de juges et d’anciens juges, qui décideront des sanctions disciplinaires appropriées, pouvant aller jusqu’à l’exclusion à vie des activités de Hockey Canada.

Ça semble fort. Ça ne l’est pas vraiment.

Mais en effet, pour un revirement, c’en est tout un. Que s’est-il donc passé entre le 20 juin et le 14 juillet ? L’argent, beaucoup d’argent a commencé à fuir. Le gouvernement fédéral puis des commanditaires majeurs ont suspendu leurs versements après le témoignage désastreux du président de Hockey Canada, Scott Smith.

C’est ainsi que la voix du peuple s’est rendue au cerveau de l’organisation. « Nous entendons votre colère et votre déception », dit la lettre ouverte de jeudi.

Il est parfois trop tard pour bien faire, mais bon, quatre ans plus tard, Hockey Canada nous dit qu’on ira au fond de cette affaire, qu’il y aura des conséquences.

Quelles conséquences ?

Hockey Canada n’est pas la police, encore moins une cour de justice. Tout ce qu’il peut faire, c’est bannir des gens de ses activités.

Pour un joueur devenu professionnel, cela veut dire les tournois internationaux et les Jeux olympiques, donc des évènements rares dont la vaste majorité sont exclus de toute manière, faute d’intérêt ou de talent.

Ça va changer quoi, à la fin ?

Permettez que je soumette quelques questions…

Rappelons pour commencer ce que le journaliste de TSN, Rick Westhead, a révélé le 26 mai.

Au mois d’avril 2022, une entente à l’amiable est intervenue pour régler une poursuite de 3,55 millions intentée par une femme disant avoir été agressée sexuellement à répétition par huit joueurs de hockey. Elle avait déposé sa poursuite civile en Cour supérieure de l’Ontario contre Hockey Canada, la Ligue canadienne de hockey (qui regroupe les ligues juniors au pays) et huit joueurs non identifiés.

Selon ce qu’elle déclare dans sa poursuite, les évènements se sont déroulés en juin 2018 après un banquet en l’honneur des vainqueurs de l’équipe junior canadienne au Championnat du monde. Elle serait montée dans une chambre, très éméchée, avec un des huit joueurs. Elle aurait eu des relations sexuelles non consentantes avec lui, puisqu’elle avait les facultés affaiblies, après quoi sept autres joueurs sont venus l’agresser pendant des heures, alors qu’elle était en état d’ébriété très avancé.

D’après Hockey Canada, dès que les allégations ont été connues en 2018, une enquête « indépendante » a été commandée à un bureau d’avocats de Toronto. La police de London, où les évènements ont eu lieu, a été alertée. Mais la plaignante n’a pas voulu faire de déclaration à la police.

L’avocat de la plaignante, âgée de 20 ans en 2018, a déclaré à TSN qu’elle était satisfaite du règlement et n’avait pas eu l’intention d’identifier publiquement ses agresseurs dans la poursuite.

Que la femme ne porte pas plainte à la police, qu’elle se dise satisfaite d’une entente, c’est une chose.

Mais ça n’empêche pas Hockey Canada de prendre des mesures disciplinaires contre les agresseurs.

Il n’y en a eu aucune.

L’enquête interne du bureau de criminalistes torontois Henein Hutchison en 2018 n’a mené à aucun rapport, semble-t-il. Plusieurs témoins ont refusé de collaborer – y compris la plaignante.

Comment reprendre cette enquête quatre ans plus tard en la rendant prétendument « obligatoire » ?

En réalité, personne n’est obligé de collaborer à une enquête, même une enquête de police. Pour les mêmes raisons que dans l’enquête de 2018, les joueurs impliqués, ou qui craignent une accusation, ou toute espèce de risque, se feront conseiller par leur avocat de ne pas parler. Est-ce que les juges leur imposeront un bannissement de Hockey Canada sans avoir leur version ? Possible. Seront-ils identifiés publiquement ? J’en doute fort, car cela reviendrait à les déclarer coupables sans les faire entendre et ouvrirait la porte à d’autres recours.

L’avocat de la plaignante a fait savoir que cette fois-ci, elle participera à l’enquête indépendante. Mais encore là : quelle portion du rapport sera publiée ? Pourra-t-on revenir sur l’entente de confidentialité, qui accompagne inévitablement ce genre d’arrangement ? En principe, pas du tout.

Au fait, dans quelles circonstances cette entente a-t-elle été conclue ? C’est un crime au Canada de « composer avec un acte criminel ». C’est-à-dire d’exiger qu’une personne ne dénonce pas un crime en échange d’argent ou, à l’inverse, de menacer de dénoncer quelqu’un si on ne verse pas une somme d’argent. Quel genre de pression a-t-on exercé ? À moins de démontrer qu’il y a eu manœuvres illégales, on ne reviendra pas sur cette entente pécuniaire confidentielle.

Que reste-t-il ?

En tout état de cause, aucun contrat ne peut empêcher une victime de porter plainte à la police pour agression sexuelle. Se peut-il qu’une plainte soit finalement déposée et qu’une enquête soit ouverte ? C’est possible, oui. Voilà la vraie crainte des huit joueurs visés, bien plus que le bannissement des tournois internationaux et des Jeux olympiques, une sanction qui pourrait passer sous le radar durant toute leur carrière.

Pour l’instant, rien n’indique que la plaignante veuille aller voir la police. En dehors de très hypothétiques accusations criminelles, après la signature de cette entente de confidentialité qui « satisfait » la plaignante, il ne faut pas s’attendre à ce que les faits soient soudainement exposés publiquement et les athlètes identifiés.

Une enquête interne « obligatoire », aussi bien intentionnée soit-elle, n’a aucun pouvoir de contrainte des témoins et ne peut pas annuler un règlement entériné par la Cour. Ce n’est pas une commission d’enquête publique.

Alors bravo pour le revirement de position, la prise de conscience et les bonnes intentions, bonne chance aux enquêteurs, mais pour les grandes révélations et les noms des délinquants, je doute que quoi que ce soit arrive sans accusation criminelle.

À moins que la LNH se mette le nez là-dedans…