Un mot sur le fouillis des passeports, en commençant par une anecdote personnelle. Ce printemps, mon fils devait aller rejoindre sa mère à l’étranger où elle séjournait pour le travail.

Le billet d’avion était acheté… 

J’ouvre le passeport de l’héritier quelques jours avant le départ pour y vérifier quelque chose et là, BOUM, la date d’expiration m’a sauté aux yeux comme du moisi à la surface d’un pot de yogourt périmé.

Décembre 2020.

Ledit passeport n’ayant pas été utilisé depuis fin 2019, sa date de péremption nous avait échappé, père et mère indignes que nous sommes. C’était en avril. Je me suis donc pointé au Complexe Guy-Favreau à 6 h 30 un matin (ayant eu vent de files d’attente importantes), pour essayer de le renouveler. Impossible : il me manquait trop de documents. Mon fils n’a pas pu rejoindre sa mère.

Je ne blâme personne d’autre que moi. La pandémie a suspendu une partie de nos vies, dont les voyages. En temps normal, nous aurions remarqué que le passeport de notre fils approchait de son échéance. Nous aurions agi.

J’ai soumis une nouvelle demande de passeport pour mon fils en mai, en personne dans un bureau de Service Canada. Heureusement que j’y suis allé en personne, car j’avais fait des erreurs dans la paperasse. On m’a aidé avec patience et gentillesse. Date de livraison estimée : 30 juin… Sans promesse. À l’époque, la rumeur d’un goulot d’étranglement dans les demandes de passeport commençait à enfler.

Je comprends que la pandémie a bouleversé bien des choses, que bien des gens — comme moi — ont raté la date de renouvellement d’un passeport, à cause de la pandémie. Mais William Thériault, de La Presse, a révélé récemment qu’avant la pandémie, Service Canada gérait plus de demandes de passeport… avec moins d’employés1 !

Deux choses m’irritent au plus haut point, en marge des problèmes de traitement des demandes.

Un, ce manque de sentiment d’urgence de la ministre responsable, Karina Gould : elle a l’air d’un robot endormi au Xanax, elle qui lit ses lignes de presse sur le pilote automatique2. On savait depuis la fin de l’hiver qu’un goulot d’étranglement s’en venait dans la machine.

Deux, le manque d’organisation total aux abords des bureaux de Service Canada. Les gens qui campent, qui se font fermer les portes au nez sans explication, qui ne peuvent même pas trouver un humain pour répondre à des questions de base… Et cette solution « miraculeuse » découverte récemment par la machine fédérale : distribuer des billets numérotés en papier, comme quand on attend pour commander des escalopes de veau chez le boucher !

Cerise sur le gâteau : de valeureux agents Pinkerton ont reçu l’ordre de repousser les journalistes aux abords du Complexe Guy-Favreau, cette semaine. Cachez ce fouillis que l’on ne saurait voir… 

Ce manque d’organisation digne d’un mauvais bal de fin d’études organisé par des ados est affligeant. C’est un bête manque de leadership politique, c’est une machine administrative — des sous-ministres, des chefs de département régionaux — qui ne se fait pas suffisamment pousser dans le cul par sa ministre.

Et c’est typiquement fédéral !

Le gouvernement provincial n’est pas parfait, on sait qu’il ne l’est pas. Je l’ai déjà écrit3 : qu’importe où on se trouve au Canada, Ottawa, c’est… loin. Le fédéral, je veux dire.

Au fédéral, les députés et ministres volent en première classe à 10 000 mètres au-dessus de la tête du monde, loin des enjeux concrets de la vie des citoyens. Les députés provinciaux, eux, roulent en quatre-roues sur le terrain. Le contact avec le réel, ils le sentent dans leur colonne vertébrale. Pas les députés fédéraux : le bruit du réel prend une éternité avant d’atteindre leurs tympans. Ça donne des ministres-zombies comme Mme Gould.

Prenez Justin Trudeau : pas un mot sur le bordel des passeports cautionné par sa ministre, silence radio, le PM s’en va au Rwanda… 

Attention, je ne dis pas que les relations bilatérales avec le Rwanda ne sont pas importantes. Je dis que l’algorithme de la machine fédérale est conçu pour être plus efficace quant à son ambassade à Kigali que pour gérer un bordel logistique très terre à terre dans son bureau des passeports de Laval.

Que fait-on dans ce pays quand les administrations sont dépassées, genre par une tempête de neige à Toronto, une inondation printanière ou une pénurie de personnel en CHSLD au Québec ?

On se tourne vers le fédéral pour demander l’aide de l’armée…

Est-ce que nos soldats peuvent estampiller des demandes de passeport ?

Je déconne, bien sûr.

Mais contrairement à Karina Gould, je sais, moi, que je déconne.

1. Lisez « Moins de demandes de passeport, plus d’attente » 2. Écoutez « La ministre fédérale Karina Gould et la crise des passeports » sur le site du 98,5 FM 3. Lisez « C’est loin, des fois, Ottawa »