Le gouvernement caquiste est accusé de diviser la population avec son projet de loi 96, mais certains leaders anglophones font eux-mêmes un excellent travail.

Le Quebec Community Groups Network (QCGN) accusait en février François Legault d’avoir trouvé la « formule parfaite » pour « éradiquer » la communauté anglophone. Sa présidente Marlene Jennings a fait un lien entre la protection du français et l’agression russe en Ukraine – elle a jugé ironique que le premier ministre critique Vladimir Poutine tout en promettant de renforcer la loi 101.

Le nouveau Parti canadien du Québec, fondé par des libéraux déçus, veut défaire la loi 101 en rétablissant le libre choix en éducation. Il veut abolir la disposition de dérogation et faire du Québec une province bilingue comme le Nouveau-Brunswick.

Et enfin, Balarama Holness, politicien néophyte et marginal qui jouit d’une étonnante couverture médiatique, promettait aux dernières élections municipales d’éliminer le statut français de Montréal. Il lance maintenant un parti provincial. Dans une vidéo promotionnelle, on voit une pancarte de la manif de samedi où le projet de loi 96 est qualifié de « fasciste ».

L’escalade fut rapide…

Il y a à peine un an, le débat était différent. L’importance de protéger le français réunissait d’improbables alliés.

À Ottawa, le gouvernement Trudeau déposait un projet de loi qui reconnaissait que le français est vulnérable et requiert une protection particulière.

À Québec, les libéraux (PLQ) déposaient un plan de 27 mesures qui touchaient à la justice, au travail, à l’enseignement supérieur, à la francisation des immigrants et au devoir d’exemplarité de l’État quand il communique avec les citoyens.

Et tous les anciens premiers ministres vivants du Québec réclamaient que la loi 101 s’applique aux entreprises et institutions qui relèvent du fédéral.

Quand le ministre Simon Jolin-Barrette a déposé en mai 2021 son projet de loi, il profitait de cet élan. Ce mouvement s’est poursuivi durant l’étude. À la fin de février, le PLQ a même suggéré d’imposer trois cours obligatoires en français dans les cégeps anglophones.

La grogne est arrivée en retard, mais elle fut vive. Au début du printemps, les libéraux ont demandé de retirer leur propre amendement. Un compromis a été trouvé : les élèves anglophones auront trois cours de « français langue seconde », tandis que les allophones et francophones recevront trois cours en français – par exemple, la psychologie dans la langue de Ferland.

Voilà une des propositions qui indignaient les manifestants samedi.

Ce n’est pas sans ironie.

En 2019, le libéral Greg Kelley déposait un projet de loi privé pour offrir des cours de français gratuits. Le député du West Island racontait avoir dû suivre des cours de français à l’université. Un aveu que le réseau anglophone faisait mal ce travail.

Certes, la mesure caquiste-libérale paraît improvisée. Cela ferait cinq cours de français en quatre sessions. Et le cégep n’est pas forcément le meilleur endroit pour agir. Peut-être serait-ce préférable d’améliorer plutôt l’enseignement au secondaire.

Mais est-ce si insultant d’offrir à un cégépien d’apprendre à se débrouiller dans la langue officielle du Québec ? En lui offrant au besoin un cours pour débutant de niveau 1 ?

On ne voit pas beaucoup de parents anglophones se battre pour que leur enfant reçoive plus de cours de français. Le contraire se produit toutefois : des francophones et allophones insistent pour étudier au cégep en anglais.

L’anglais est la langue du commerce, de la technologie et du divertissement. Son pouvoir d’attraction est immense.

Dawson est désormais le cégep le plus fréquenté et le plus prestigieux. Les allophones et francophones y sont majoritaires et ils tendront à fréquenter ensuite l’université en anglais.

McGill et Concordia en profitent. Depuis 2018, ces établissements s’enrichissent aussi grâce à la nouvelle formule de financement qui leur permet de garder les recettes de leurs étudiants étrangers. Les universités francophones souffrent de cette compétition. Par exemple, elles n’ont pas autant d’argent pour attirer des chercheurs vedettes.

Les anglophones jouissent ainsi d’institutions plus fortes que ne le justifie leur poids démographique, et leur langue ne sera jamais menacée. Il y a un privilège anglo qui s’ignore.

Les caquistes n’ont pas rétabli la péréquation entre universités ni élargi la loi 101 aux cégeps. Ils ont opté pour un compromis : plafonner le nombre d’élèves francophones et allophones. Cela déplaît à presque tout le monde en même temps.

Difficile d’évaluer l’impact de cette mesure sur le français. Mais sur le plan des principes, le débat est plus simple. Le Québec paye pour éduquer une partie de son élite en anglais. Il transforme la préférence individuelle pour l’anglais en obligation collective. Pendant ce temps, les cégeps francophones perdent des élèves et des profs y manquent de travail. Ce n’est pas normal.

Cela dit, les caquistes méritent une partie de la colère des manifestants.

Aucune mesure prise isolément n’aura un effet majeur sur le français. La réforme de la loi 101 mise donc sur l’addition de petits gestes. Elle ratisse très large. Et elle a été écrite en ignorant les avertissements de nombreux experts.

Le résultat : de l’inhumanité et du picossage administratif. On force les demandeurs d’asile à apprendre le français en seulement six mois. On s’immisce dans la gestion des tribunaux. On menace de créer une bureaucratie lourdaude et de la paperasse aux petites entreprises. Et on n’accommode pas les Premières Nations pour qui le français est une troisième langue.

La Coalition avenir Québec (CAQ) est heureuse d’être critiquée à la fois par le Parti québécois et le Parti libéral. Elle paraît ainsi avoir trouvé l’équilibre. Mais cela trahit surtout son travail parfois brouillon.

Malgré ses failles, le projet de loi répond à un besoin : protéger le français.

À l’automne 2020, l’Assemblée nationale adoptait une motion unanime pour reconnaître que « la cohésion de la nation québécoise passe avant tout par la vitalité de notre langue commune ». Elle avait même été soutenue par Jean Charest et Philippe Couillard.

La légitimité de cette cause historique est maintenant remise en question. Aux yeux de certains leaders anglophones, ce serait une forme d’intolérance. De « l’ethno-nationalisme » antidémocratique, selon le directeur des affaires publiques du QCGN.

Lisez le tweet du directeur des affaires publiques du Quebec Community Groups Network (en anglais)

Notez le double standard. Si un allophone s’intègre en anglais, c’est de la diversité. Tandis que s’il doit le faire en français, c’est de l’intolérance. Et silence radio sur le fait que la CAQ payera mieux les nouveaux arrivants pour les inciter à suivre des cours de francisation.

Malgré ses critiques, Québec solidaire prévoit de voter en faveur de la loi. Serait-il lui aussi rendu ethniciste ?

Yvon Deschamps blaguait que les Québécois veulent « un Québec fort dans un Canada uni ». Un nouveau courant émerge maintenant : ceux qui disent vouloir un Québec français, mais dans une province bilingue.