La saga de la fillette de Granby vient officiellement de prendre fin, deux ans et demi après sa mort. Sa belle-mère a été condamnée la semaine dernière et elle a connu sa peine vendredi : 13 ans de prison, minimum. Et son père a plaidé coupable, mercredi.

Mais il faut rappeler les mécanismes du système qui ont mené à la mort par négligence de cette fillette, à l’âge de 7 ans, aux mains de deux adultes inaptes et cruels.

Et il faut rappeler que, dans toute cette affaire, c’est la grand-mère qui avait raison.

La petite a pigé le mauvais billet à la grande loterie de la vie quand elle est née, en 2011. Première malchance.

Sa mère, enceinte, se frappait le ventre. Déficiente intellectuelle, atteinte de graves troubles de santé mentale, elle sera déclarée inapte peu après la naissance de sa fille, dont elle perdra la garde.

Le père ?

Le père était de la même engeance. Il a hérité du poupon, quand la mère en a perdu la garde. Toxicomane, il se fichait du bébé, refusait de se lever la nuit pour le nourrir : il disait que le bébé devait « apprendre » que la nuit, c’est fait pour dormir…

Bref, la petite est née de parents qui ne devraient pas avoir d’enfants.

C’est la mère du père – la grand-mère de la petite – qui a fait un signalement pour négligence à la DPJ contre son fils. Elle héritera de la garde de la petite dès 2012, en vertu d’ordonnances temporaires de six mois, renouvelables.

La petite habitera chez sa grand-mère de 2012 à 2015.

J’oublie un fait : après avoir perdu la garde de sa fille, le père aura un autre enfant avec la mère. Un garçon. Pendant la grossesse, le couple se séparera, et la mère se mettra en couple avec le frère du père. Le garçon sera confié à la DPJ à sa naissance. Mais le père réussira à ravoir la garde du garçon, en 2014.

Ce sera le début de la bataille juridique du père, de sa grande séduction faite à la DPJ et aux juges pour ravoir la petite, qui habitait chez sa mère à lui. Le tout sur fond de conflit intrafamilial entre le père, sa mère et ses frères et sœurs.

En 2019, j’ai raconté1 la bataille juridique du père pour ravoir sa fille en lisant des décisions des tribunaux rendues en 2012, 2013, 2014, 2015 et 2017. Ces décisions ont mis la table pour la mort de la petite.

Je résume : le père a rencontré une femme, celle qui deviendra dans les médias « la belle-mère de la fillette de Granby ». Les juges et la DPJ sont impressionnés par cette femme, décrite comme mature et ayant une influence positive dans la vie du père. Le père, lui, impressionne les tribunaux : il participe à des ateliers de parentalité et il a cessé de prendre de la drogue, s’ébahit une juge, depuis… trois semaines.

Je n’invente pas ça : une juge a pensé que le fait de cesser de consommer de la dope pendant trois semaines, c’était un signe encourageant de maturité parentale.

Ce qui ne s’est jamais rendu aux tribunaux, c’est que la belle-mère était aussi cabochonne que son chum. Les deux se battaient, elle l’a mis à la porte en balançant ses affaires dehors, la police est intervenue chez eux, encore de la dope, encore de l’alcool…

Mais le père obtiendra quand même la garde de sa fille, fin 2015. Il y aura appel de la grand-mère, qui va perdre tout accès à sa petite-fille.

Et sur ordre de la Cour, la petite quittera le domicile de sa grand-mère en 2016 pour aller vivre chez son père, elle qui n’avait essentiellement jamais vécu avec lui.

Et en 2017, la police accusera la belle-mère – cette femme si mature aux yeux de la Justice – de voies de fait sur la petite. C’est l’enfant qui s’est rendue elle-même dans un dépanneur pour demander de l’aide. La belle-mère a plaidé coupable.

Et le père, si transformé aux yeux de la Justice, ne coupera bien sûr pas les liens avec sa « formidable » conjointe, même après qu’elle eut violenté sa fille.

On connaît désormais l’histoire de la petite de Granby, mais à l’envers. On la connaît par la fin. Par sa mort.

Je répète ce que j’ai écrit en 2019 : les juges, la DPJ, au cœur de la guérilla juridique du père, ne savent pas comment l’histoire finit. Ils posent des jugements en temps réel. Je ne les excuse pas, j’explique.

Je lis les décisions des tribunaux et je trouve que des individus – intervenantes, juges – ont fort mal évalué les individus qui se disputaient la garde de la fillette, soit le père et sa mère.

Je résume la grille d’analyse du système : le père, pour s’être trouvé une blonde présentable, pour avoir assisté à des ateliers de parentalité et pour avoir cessé de consommer pendant trois semaines, s’est mis à recevoir des notes de 10 sur 10 dans son bulletin, aux yeux de la DPJ et des juges au dossier.

La grand-mère, elle, a paniqué. Elle connaissait son fils. Elle savait que c’était un salaud, un manipulateur. Alors, elle l’a noirci. Elle en a trop mis. Et là, pour la DPJ et pour les juges, la grand-mère est devenue une hérétique. Je cite une décision du tribunal : « Faisant état des allégations de la grand-mère paternelle, [l’intervenante] parle d’une femme qui a un système d’alarme défaillant, qui voit des dangers partout. »

Des dangers partout… Tu parles.

Alors, oui, des humains ont fait des erreurs d’appréciation. Des intervenantes, des juges ont été bernés par deux crapules. Personne n’est parfait.

Mon bogue est ailleurs, dans cette saga. Je reviens au système. Je reviens à une phrase écrite plus haut dans cette chronique : « La petite habitera chez sa grand-mère de 2012 à 2015. »

La petite habitera chez sa grand-mère de 2012 à 2015. Et elle y fut heureuse. Bien nourrie, bien encadrée. Elle ne fuguait pas dans le quartier. Elle avait un lit dans sa chambre. Personne n’attachait la petite avec du tape.

Elle n’avait pas de problème de comportement.

Elle allait à la garderie, y avait des amis.

Elle était aimée.

Sans doute guidés par la Loi sur la protection de la jeunesse, qui affirme la primauté des liens du sang, les humains du système ont décidé que sortir une enfant du cocon où elle était aimée depuis trois ans pour la remettre à un père qu’elle ne connaissait pas autrement que dans le cadre de visites supervisées… c’était une bonne idée.

C’est la deuxième malchance de la petite : ce système de merde qui ne comprend pas que le fait de donner des chances à l’infini à des parents inaptes, ça bousille la capacité d’attachement des enfants…

Cette deuxième malchance a tué la petite.

Je crois encore que c’est le système qui l’a tuée. Mais quand même, j’espère que certains individus ont dû prendre des somnifères, depuis sa mort…

Je pense à un juge en particulier. Celui qui a mis fin aux droits de visite de la grand-mère en 2017, celui qui a dit ces mots d’une outrecuidance carabinée : « Imposer des visites avec les grands-parents pourrait perturber l’équilibre de cette nouvelle cellule familiale et comme le Tribunal a décidé d’investir dans celle-ci, il n’est pas dans l’intérêt de l’enfant de la fragiliser. Le Tribunal considère qu’il y a un risque, à long ou à moyen terme, que l’enfant soit exposée à un conflit de loyauté, ce qui pourrait compromettre son lien d’attachement avec son père. »

Ah, ça, Votre Honneur, y a pas à douter : il l’a attachée, le père, pis solide à part ça !

Mais pour l’« intérêt de l’enfant », vous repasserez.

Personne n’a pensé à l’intérêt de la petite, à la violence d’arracher une enfant d’un milieu où elle s’épanouissait depuis trois ans… Personne sauf deux avocates (celle de la petite et celle de la mère de la petite) qui ont toutes deux posé la question essentielle, la question vitale : pourquoi va-t-on la déraciner, déjà, si elle va bien ?

Et la grand-mère, bien sûr. C’est elle, la grand-mère, qui avait raison. De A à Z.

Le père et la belle-mère iront en prison.

Le système, lui, est en cours de réforme. La commission Laurent recommande de remplacer la primauté du lien parent-enfant pour mettre l’intérêt de l’enfant au-dessus de toute considération2, dans la loi…

C’est fou, quand on y pense : ça aura pris la mort d’une enfant de 7 ans pour comprendre cette évidence.

1. Lisez la chronique « Des dangers partout » 2. Lisez l’article « Loi sur la protection de la jeunesse : “L’intérêt de l’enfant” primera, promet Québec »