Sur le cours d’Éthique et de culture religieuse (ECR), je loge à la même enseigne que Paul Journet (1). Attendons de voir le nouveau cours de Culture et citoyenneté québécoise. Le cours ECR était dans le viseur de trop de voix depuis trop longtemps pour survivre.

Du reste, il n’y a rien de fondamentalement « mal » à vouloir consacrer un cours qui enseigne la québécité à de jeunes citoyens québécois. Qu’on leur enseigne aussi pourquoi le nationalisme a été utile pour le Québec.

Le diable – oups, métaphore religieuse – sera dans les détails. Je dis cela sans tomber dans le délire des antireligieux, comme Daniel Baril, du Mouvement laïque québécois, qui, lundi, a affirmé que le cours ECR était un vecteur de wokisme (2). Juste ça…

Pour les croisés du laïcisme – je n’ai pas dit laïcité – qui voient dans le moindre hijab un signe certain de la charia à venir, le cours ECR était un moyen d’embrigader les élèves québécois dans l’enfer multiculturaliste. Perso, je me méfie de ceux qui pensent que l’école lave les cerveaux. On leur enseigne pendant 12 ans les règles du français et une masse critique termine quand même sa 5secondaire en écrivant « Je suis alleR à l’école »…

J’aimerais qu’ils soient moins nombreux à écrire au son, après 12 ans de scolarité, aussi : me semble que ça aussi, c’est important pour la citoyenneté. Mais je m’égare.

Je veux juste noter au procès-verbal que le gouvernement pèse très, très, très fort sur les pitons du marketing politique depuis quelques jours, autour de son ministre le plus chancelant, Jean-François Roberge. Ce n’est pas innocent.

Le ministre Roberge, quand il est entré en poste, était porteur d’un immense espoir : lui-même ancien prof au primaire, critique en éducation, voilà qu’on le faisait ministre. Le moins qu’on puisse dire, trois ans plus tard, c’est qu’il a déçu. Évidemment, le milieu de l’éducation est un champ de mines : il est rarement satisfait de ses ministres. Soit.

Mais la pandémie a montré un ministre Roberge à la remorque des évènements. Sur la ventilation des classes, il a non seulement donné l’impression que c’était une préoccupation périphérique, mais il a aussi induit le public en erreur en faisant dire à la Santé publique des affirmations qu’elle n’avait jamais faites (3). Ça s’appelle un mensonge, si on veut rester dans le spectre de la pensée critique.

Donc, depuis une semaine, Jean-François Roberge a bénéficié de deux actions gouvernementales qui lui permettent de changer au rabais les perceptions quant à sa personne.

Primo, ce cours de Culture et citoyenneté québécoise : le ministre torpille publiquement un cours qui ne faisait pas l’unanimité, ce qui lui permet subtilement de se poser en gardien des sceaux de l’Identité québécoise.

Deuzio, ce partenariat des ministères de l’Éducation du Québec et de la France pour combattre la « culture de l’annulation », nouveau front de la guerre à l’épouvantail du wokisme.

Je précise ici que les mouvements qui visent à faire taire existent, je le sais bien. Mais ils ont toujours existé. Ils peuvent être inquiétants, j’en conviens (4). Dans de nombreux cas décrits comme de l’« annulation », les institutions auraient juste dû se découvrir une colonne vertébrale et dire un mot qui existe tant dans l’Hexagone que dans son ancienne colonie du nord de l’Amérique : « Non. »

Jean-François Roberge et son homologue français Jean-Michel Blanquer ont donc signé la semaine dernière une déclaration commune (5) contre la culture de l’annulation.

Je cite : « Le bannissement de personnalités, de spectacles et de conférences, le harcèlement sur les médias sociaux, la censure, l’assujettissement de la science à l’idéologie, l’effacement de l’Histoire jusqu’à l’autodafé de livres constituent autant d’assauts portés contre la liberté d’expression et le sens civique, qui nous ramènent aux temps les plus obscurantistes de nos sociétés occidentales… »

Jean-François Roberge est particulièrement mal placé pour signer une lettre qui contient les mots Le bannissement de personnalités, de spectacles et de conférences […] constitue autant d’assauts portés contre la liberté d’expression et le sens civique, qui nous ramènent aux temps les plus obscurantistes de nos sociétés occidentales…

Deux mots, Monsieur le Ministre : Daniel Weinstock.

Jean-François Roberge a « annulé » le professeur de l’Université McGill, sur la base mensongère d’une chronique entièrement fausse de Richard Martineau.

C’était en février 2020. Le chroniqueur du Journal de Montréal avait alors fait dire au professeur de philosophie qu’il était en faveur de l’excision « symbolique » de jeunes filles.

Seul hic : c’était complètement faux (6).

Weinstock avait évoqué dans une conférence l’histoire de médecins américains aux prises avec un dilemme éthique, dilemme dans lequel l’excision « symbolique » était prise en compte. Mais la conférence, dans le contexte, lorsqu’écoutée de bonne foi, ne laissait aucun doute : Weinstock est contre toute forme d’excision des jeunes filles.

Bref, Martineau a fait dire à Weinstock le contraire de ce qu’il a dit, affublant en plus le professeur du qualificatif d’« inquiétant ».

Or, le jour même de la publication de la chronique à classer dans le registre « fake news », le ministère de l’Éducation annulait la présence de Daniel Weinstock dans un colloque portant sur…

(Roulements de tambour, ici !)

… la réforme du cours d’Éthique et de culture religieuse !

Toute est dans toute, comme a dit Platon, ou peut-être était-ce son cousin Sophisme.

Dans ce débat, Daniel Weinstock n’est pas en symbiose avec le consensus québécois sur les enjeux identitaires, que ce soit sur la place des accommodements raisonnables, la loi 21 ou la menace réelle que fait planer le religieux dans la société, en ce début de siècle. J’ajoute : il n’est pas en symbiose avec la vision caquiste des choses sur ces enjeux.

Que représente le bannissement de Daniel Weinstock par le ministère de Jean-François Roberge en février 2020 ?

Je dirais : Le refus de questionner ses croyances et ses certitudes, d’être confronté ou même seulement exposé à des points de vue opposés, ce qui témoigne d’un recul inquiétant de l’esprit démocratique.

J’ai mis les mots du paragraphe ci-dessus en italiques, car ils ne sont pas miens : ils sont tirés de la lettre des ministres français et québécois de l’Éducation qui s’indignent de la culture du bannissement. Le ministre Roberge a signé ce passage.

C’est, hum, comment dire, quel est le mot…

Ah, oui, c’est ça : ironique.

Les « annuleurs » ne sont pas tous des « wokes », loin de là.

1. Lisez la chronique de Paul Journet 2. Lisez la lettre de Daniel Baril, du Mouvement laïque québécois 3. Lisez « Santé publique ou Santé politique ? » 4. Lisez un article de The Atlantic 5. Lisez la lettre ouverte des ministres Roberge et Blanquer 6. Lisez « Le lynchage du prof Weinstock », d’Yves Boisvert