Le nouveau cours de Culture et citoyenneté québécoise pourrait faire beaucoup de bien.

Le programme n’est pas encore écrit, mais à en juger par les orientations, il est prometteur.

Cela dit, je comprends les gens d’être méfiants. Il y a quelques jours, la vice-première ministre Geneviève Guilbault annonçait que le cours contiendrait une « petite saveur chauvine ». Mais la réforme vise au contraire à développer l’esprit critique. Et je fais confiance aux profs pour ne pas endoctriner la jeunesse aux valeurs caquistes…

Cette badinerie malheureuse ne doit pas faire oublier le problème bien réel et documenté du cours Éthique et culture religieuse (ECR).

Créé en 2008, il remplaçait l’enseignement confessionnel catholique et protestant. Son but : comprendre l’autre et le reconnaître dans sa différence. C’était noble. Mais aussi périlleux.

Peut-on enseigner un dogme religieux comme un fait ? Et comment avoir un recul critique face à une pratique religieuse sans que cela soit perçu comme une attaque contre les croyants ? Comme un refus de les reconnaître ?

Le cours se donne du début du primaire jusqu’à la fin du secondaire. Il est donc difficile d’obtenir un portrait clair. Selon plusieurs témoignages, des professeurs trouvaient le bon ton en classe. Mais on a aussi entendu des parents agacés. Et les critiques d’athées, de nationalistes et de féministes.

Selon eux, le cours valorisait la croyance religieuse, tandis que l’athéisme et l’agnosticisme étaient moins abordés.

Autre reproche, le cours utiliserait souvent l’interprétation la plus rigoriste d’une religion comme point de référence, et normaliserait des pratiques pourtant contestées par certains croyants. Le Conseil du statut de la femme déplorait qu’on crée deux catégories de sexisme : celui qu’on peut dénoncer et celui qu’on doit tolérer, car il découle d’une croyance religieuse sincère.

Le cours ECR insistait sur les croyances particulières qui différenciaient les gens. Il aidait à comprendre les rites, mais risquait de les enfermer dans une case.

Le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, veut plutôt miser sur ce qui unit les gens : leur statut de citoyen.

Il s’inspire plus de l’interculturalisme québécois que du multiculturalisme canadien. Un bon exemple est la campagne de vaccination obligatoire. Au fédéral, les fonctionnaires peuvent demander une exemption pour des raisons religieuses. Pas au Québec. La religion n’y reçoit pas un statut d’exception. La reconnaissance de l’autre peut y être limitée par certains devoirs, comme celui de suivre des règles communes.

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J’ai énormément de respect pour les concepteurs du cours ECR, comme le philosophe et humaniste Georges Leroux. Reste que même les défenseurs du cours reconnaissaient qu’il était mûr pour une mise à jour. C’est pour cela que M. Roberge a lancé une vaste consultation en janvier 2020.

Le résultat a été présenté dimanche. Le nouveau cours contiendra trois thèmes : « culture », « citoyenneté québécoise » ainsi que « dialogue et pensée critique ».

Peu de temps sera réservé à la culture religieuse. Certains s’en plaindront. Je vois les choses différemment.

D’un côté, l’enseignement des croyances était contesté. De l’autre, des sujets importants n’étaient pas assez enseignés. Il me semble donc logique de réorganiser la matière.

Depuis longtemps, des politologues réclament des cours sur la culture civique, comme le fonctionnement de notre système politique et judiciaire. Et plus récemment, le mouvement #moiaussi a rappelé l’importance de réinstaurer les cours d’éducation sexuelle. Le gouvernement Couillard avait rétabli cet enseignement en fin de mandat, sans toutefois inclure la matière dans un cours précis, avec un enseignement désigné. Cette lacune sera corrigée en intégrant cet aspect dans le nouveau cours.

Le racisme et les relations avec les Premières Nations devraient aussi être davantage abordés, tout comme l’utilisation malsaine des réseaux sociaux.

Dans l’ensemble, cela répond aux recommandations de trois rapports : le Groupe d’action sur le racisme, la commission d’enquête Viens sur les Autochtones et enfin la Commission spéciale sur l’exploitation sexuelle des mineurs.

Bien sûr, le dialogue et la pensée critique figuraient déjà dans le cours ECR. Mais les approfondir aiderait à assainir nos débats. Trop souvent, on est incapable de présenter de bonne foi les arguments de chaque camp et d’accepter qu’un désaccord raisonnable subsiste. On perçoit la position adverse comme une attaque illégitime, avec le risque de créer des sujets tabous.

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Le programme sera rédigé dans les prochains mois. Le cours sera donné en projet-pilote l’automne suivant. Il devrait être intégré au cursus pour tous en septembre 2023.

D’ici là, je vois deux risques.

Le premier, c’est de transformer le cours en fourre-tout. Le programme devra s’assurer de mettre de l’ordre dans les nombreux sujets et d’éviter les redondances, par exemple avec le cours d’histoire. Un minimum de culture religieuse devrait aussi être maintenu.

Le second, c’est la tentative caquiste de politiser non pas le cours lui-même, mais la façon de le présenter. François Legault avait raison de dire que la réforme pourrait renforcer la cohésion sociale. Mais pourquoi recourir à des slogans partisans pour vanter l’enseignement de l’esprit critique ? Cela risque de refroidir bien des gens.

Ce serait dommage. Car avec sa réforme, M. Roberge revient au cœur de l’éducation. Avant de préparer des travailleurs, elle devrait servir à former des citoyens. À leur apprendre à réfléchir par eux-mêmes pour gagner leur liberté.