L’équipe antiterroriste de l’Agence du revenu du Canada affirme avoir découvert des liens « troublants » entre un réseau de soutien du Hamas et des dirigeants de l’Association musulmane du Canada (MAC), un groupe islamiste qui a reçu des millions de dollars en fonds publics ces dernières années.

« L’implication des administrateurs/employés dans un réseau apparent de soutien au Hamas est troublante », affirme Julianne Myska, une employée du fisc chargée de l’audit des finances de la MAC, dans une déclaration sous serment datée de décembre 2022 et déposée devant la Cour supérieure de l’Ontario.

Le Hamas est inscrit comme un groupe terroriste interdit au Canada depuis 2002. Quiconque contribue directement ou non à ses activités risque 10 ans de pénitencier.

Plus généralement, « les résultats préliminaires de l’audit semblent suggérer que [la MAC] est liée à des individus ou des groupes associés à l’extrémisme, la violence et/ou le terrorisme », précise l’Agence dans une lettre rédigée en 2021 et déposée en cour.

La MAC, qui gère une dizaine d’établissements au Québec et plus d’une cinquantaine au Canada, nie vigoureusement tout lien avec le terrorisme ou l’extrémisme. Elle affirme que « dès son début, l’audit a été teinté par les biais systémiques et l’islamophobie » (voir autre texte). Elle assure faire la promotion d’un islam « modéré, balancé et constructif ».

Les autorités fiscales n’en semblent pas convaincues.

En 2015, l’équipe de l’Agence du revenu chargée d’appliquer la Loi antiterroriste a déclenché un audit de l’association : les fonctionnaires ont fait 30 visites dans les locaux de la MAC, mené 27 entrevues, analysé 1 million de transactions financières et passé au peigne fin 416 000 courriels. Le processus est censé être confidentiel, mais la MAC en a dévoilé l’existence dans le cadre d’une démarche pour contester sa validité, car il violerait la Charte des droits et libertés, selon elle.

La contestation a échoué jusqu’à maintenant, mais elle a permis à La Presse d’avoir exceptionnellement accès à des milliers de pages de la preuve déposée au palais de justice de Toronto par l’Agence du revenu afin de justifier sa démarche. Sur la base de cette preuve, le fisc menace de retirer à la MAC son statut d’organisme de bienfaisance, qui lui permet de remettre à ses donateurs des reçus pour fins d’impôt. Pour l’instant, la preuve n’a pas été testée devant les tribunaux. La MAC dispose d’un délai pour contester les conclusions de l’audit. Elle croit que le verdict final des autorités, qui n’est toujours pas public, démontrera qu’elle a réussi à déboulonner toutes leurs allégations.

Le bras de fer se déroule alors que l’organisation reçoit des millions de dollars en fonds publics chaque année, notamment du gouvernement fédéral, dans le cadre de programmes pour lutter contre les crimes haineux, rénover certaines installations et organiser des activités sportives, éducatives ou culturelles.

Le gouvernement de l’Ontario a aussi accordé un financement de 225 000 $ à la MAC l’an dernier pour produire des capsules vidéo contre l’islamophobie. L’une des capsules citait la « loi sur la laïcité au Québec » comme un exemple de législation islamophobe. L’affaire avait irrité le gouvernement du Québec.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Le fisc reproche aussi à la MAC d’avoir appuyé pendant des années un organisme de bienfaisance canadien dont le statut avait été révoqué parce qu’il servait de cellule de financement pour le Hamas.

Issus de groupes paravents du Hamas

Les documents de l’audit révèlent que les fonctionnaires se sont alarmés de découvrir qu’une dizaine de dirigeants ayant occupé des postes importants à la MAC étaient d’anciens membres ou collaborateurs de groupes paravents du Hamas qui avaient fermé boutique sous la pression des autorités.

Selon la preuve déposée, la MAC aurait déjà logé à la même adresse que le Middle East Information Center, un groupe aujourd’hui disparu qui était considéré par le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) comme une façade légale pour le Hamas au pays. Un ex-dirigeant de cette façade aurait d’ailleurs été brièvement président de la MAC.

L’audit a aussi révélé qu’une école de la MAC à Montréal avait autrefois parmi ses administrateurs un certain Mohamed Zrig, qui est aujourd’hui député d’un parti islamiste au Parlement tunisien. Au début des années 2000, M. Zrig s’est vu refuser le statut de réfugié au Canada en raison de sa complicité dans une série de crimes en Tunisie, notamment des attentats à la bombe, des incendies criminels, des jets d’acide au visage de citoyens et des projets d’assassinats politiques.

Le fisc reproche aussi à la MAC d’avoir appuyé pendant des années un organisme de bienfaisance canadien dont le statut avait été révoqué parce qu’il servait de cellule de financement pour le Hamas.

Cet organisme, baptisé International Relief for the Afflicted and Needy (IRFAN), a reçu environ 300 000 $ directement de la MAC avant d’être sanctionné par les autorités. En 2011, il a perdu ses privilèges d’organisme de bienfaisance parce qu’un audit avait révélé qu’il avait transféré 14,6 millions de dollars au Hamas. Malgré tout, au cours des années suivantes, la MAC aurait continué à aider IRFAN à amasser des fonds. La relation avec IRFAN s’est poursuivie « bien après la révocation de son statut pour, notamment, avoir [soutenu] l’entité terroriste inscrite Hamas », affirme l’Agence du revenu.

La MAC aurait par exemple utilisé ses listes de diffusion pour aider IRFAN à solliciter des dons, en plus de l’accueillir dans ses évènements pour collecter de l’argent.

Les documents judiciaires soulignent par ailleurs qu’un ancien dirigeant d’IRFAN a déjà été président de la MAC pendant quelques années. « L’implication des administrateurs/employés [de la MAC] dans un réseau apparent de soutien au Hamas […] pourrait indiquer la raison pour laquelle certaines activités, comme le soutien continu à IRFAN-Canada, ont été entreprises par l’organisation », avancent les fonctionnaires.

Des liens entre les deux groupes ont été documentés jusqu’en 2014. En mars de cette année-là, un policier de la GRC qui épiait un collecteur de fonds d’IRFAN a observé l’homme qui entrait dans un établissement montréalais de la MAC, pour en ressortir en tenant une grosse enveloppe, qu’il soupçonnait être remplie d’argent, selon une déclaration sous serment déposée en cour. Un agent d’infiltration est aussi entré au siège social d’IRFAN et y a aperçu une plaque de reconnaissance de la MAC. Le mois suivant, Ottawa a ajouté IRFAN à la liste des entités terroristes interdites, ce qui a sonné la fin de ses activités.

Des relations dérangeantes

Il y a quelques années, la MAC se réclamait ouvertement de la mouvance des Frères musulmans, un mouvement islamiste créé en Égypte en 1928 pour promouvoir l’instauration de gouvernements basés sur la charia dans le monde arabe. Le Hamas se réclamait aussi de cette mouvance jusqu’en 2017. Aujourd’hui, sur son site web, la MAC dit simplement suivre la pensée d’Hassan al-Banna, fondateur des Frères musulmans à qui elle attribue « l’articulation de l’islamisme ». Elle n’évoque plus le groupe lui-même.

Lors de discussions avec l’Agence du revenu, les dirigeants de la MAC ont expliqué qu’ils adhéraient seulement à une école de pensée, pas à un groupe politique comme tel. Mais la lecture des correspondances internes du groupe a convaincu le fisc du contraire.

« L’Agence du revenu du Canada considère les déclarations de l’organisation comme étant contradictoires et non représentatives de ce qui est inscrit dans ses propres livres et sa documentation », lit-on dans les documents judiciaires. Selon le fisc, la MAC travaille au bénéfice de l’organisation des Frères musulmans, un mouvement politique qui n’est pas une œuvre de bienfaisance au sens de la loi.

Les fonctionnaires constatent qu’en parallèle de ses fonctions au Canada, un dirigeant de la MAC a été conseiller personnel de Mohamed Morsi, un leader des Frères musulmans élu président de l’Égypte en 2012 et renversé par l’armée en 2013. Les dirigeants internationaux des Frères musulmans auraient même consulté le président de la MAC pour obtenir son avis sur certaines nominations, selon l’Agence.

Autre lien international qui préoccupe les fonctionnaires : la MAC a reçu 2,5 millions de dollars d’un organisme de charité du Qatar qui fait partie de « l’Union du Bien », une alliance qui aurait été « créée par la direction du Hamas pour transférer des fonds à l’organisation terroriste », selon le gouvernement américain. D’autres sources de financement dans le golfe Persique faisaient aussi tiquer les fonctionnaires.

« L’Agence du revenu du Canada n’a pas trouvé de preuve suggérant que l’organisation est directement influencée par ses donateurs étrangers, mais le fait que certains de ces donateurs soient connus pour promouvoir une idéologie extrémiste ou s’associer avec des groupes terroristes est une préoccupation », précisent les documents judiciaires.

Propos préoccupants

Le fisc s’est aussi penché sur le message véhiculé par les dirigeants de la MAC.

« Certaines déclarations publiques d’individus impliqués dans la MAC […] semblaient glorifier ou encourager la violence, incluant le meurtre, ou saper les droits des femmes », précise la preuve déposée en cour.

Les fonctionnaires citent un discours lors d’une assemblée qui parlait de forcer les femmes à offrir des relations sexuelles sur demande à leur mari, sans quoi elles seraient damnées. Dans une autre déclaration, il était question de « tuer des sionistes ». Le fisc a aussi noté qu’un dirigeant de la MAC en Ontario avait retweeté 34 fois les publications du Hamas sur son compte Twitter.

Les fonctionnaires reviennent aussi sur une controverse de 2011, année où la MAC avait invité à Montréal un conférencier britannique qui encourageait la lapidation des homosexuels. Ils notent qu’avant son discours, la MAC a préparé avec une firme de relations publiques une déclaration précisant qu’elle ne faisait pas de vérifications sur les antécédents de ses conférenciers.

Généralement les fonctionnaires avancent que la documentation interne examinée laisse croire que dans ses déclarations publiques, la MAC « n’a pas été franche avec le public, les médias, et l’Agence du revenu du Canada à propos de ses activités et comment elle les entreprend ».