Depuis près d’un mois, des manifestants propalestiniens campent sur le terrain de l’Université McGill. En quoi consistent leurs revendications ? Explications.

Que demandent les étudiants ?

Dès le premier jour du campement, les manifestants ont formulé deux principales demandes : que l’Université coupe tout lien universitaire et financier avec Israël. McGill entretient des liens de recherche et d’enseignement avec plusieurs universités israéliennes. Les manifestants demandent que la direction abolisse ces partenariats, ce qui inclurait, par exemple, son programme d’échange étudiant avec l’Université de Tel-Aviv. De plus, ils réclament qu’elle retire ses investissements de « toutes les entreprises complices de l’occupation israélienne et du génocide du peuple palestinien ». Il semble que ce soit cette seconde demande qui constitue le nerf de la guerre – et suscite le plus de questions.

De quelles entreprises parle-t-on ?

Comme la plupart des universités, McGill possède des placements détenus dans des comptes distincts et des fonds communs de placement. Les manifestants ont identifié une dizaine d’entreprises liées selon eux au régime israélien dans lesquelles l’Université détient des actions. La liste est basée sur des informations accessibles sur le site de l’Université. On y retrouve notamment le constructeur d’armes Lockheed Martin, qui a fourni des avions de combat à l’armée israélienne. En date du 31 mars, l’Université détenait plus de 535 000 $ en actions dans l’entreprise américaine, en plus de 1,5 million dans le groupe industriel français Safran, qui annonçait en 2021 un projet de système de capteurs avec l’entreprise de technologies militaires israélienne Rafael. La multinationale Thales, dans laquelle l’Université détient plus de 1,6 million en actions, est également citée par les manifestants. Spécialisé dans l’aérospatiale et la défense, le groupe a travaillé par le passé avec le fabricant d’armes israéliens Elbit Systems.

L’Université se montre-t-elle ouverte à désinvestir ?

Le recteur de l’université, Deep Saini, s’est dit prêt mercredi à « étudier la possibilité de désinvestir » dans des entreprises « dont les revenus proviennent en grande partie du marché des armes, conformément à nos politiques en vigueur, et de manière accélérée ». Ce n’est pas suffisant aux yeux des manifestants, qui demandent un échéancier concret. Le cas échéant, ce ne serait pas la première fois que l’Université retirerait des investissements dans un secteur précis. Elle s’est engagée en décembre dernier à abandonner toute participation directe dans des entreprises de combustibles fossiles figurant à la liste Carbon Underground 200 d’ici 2025.

Pourquoi l’Université tient-elle à conserver les actions visées par les manifestants si elles ne représentent qu’une infime partie de son portefeuille ?

« On veut probablement respecter certains objectifs de placement, comme une certaine diversification », avance François Dauphin, président-directeur général de l’Institut sur la gouvernance. Les placements de l’Université McGill totalisent actuellement plus de 932 millions. « Comme la plupart des institutions, on engage des gestionnaires de portefeuilles qui eux-mêmes investissent dans différentes entreprises », avait récemment expliqué le vice-recteur aux études, Fabrice Labeau, à La Presse. Il avait souligné qu’un processus était en place pour les membres de la communauté qui auraient des préoccupations concernant ces investissements, mais que les manifestants n’y avaient pas eu recours.

Les revendications de désinvestissement sont-elles fréquentes ?

De plus en plus. Il y a deux ans, des étudiants ont occupé le hall du pavillon Roger-Gaudry de l’Université de Montréal afin de faire pression sur la direction pour qu’elle retire ses investissements dans les énergies fossiles. Après cinq jours d’occupation, les manifestants ont obtenu gain de cause : un engagement de la part du recteur Daniel Jutras de présenter un scénario de désinvestissement total avant la fin de 2025. L’établissement emboîte le pas à l’Université du Québec à Montréal et à l’Université Concordia, qui s’étaient toutes deux engagées à sortir du pétrole. Selon François Dauphin, ces préoccupations ont pris beaucoup d’ampleur dans les dernières années. « On voit de plus en plus de fonds dédiés à des questions environnementales », remarque-t-il.

Le désinvestissement de McGill pourrait avoir un impact sur le conflit ?

« Oui, il y a un enjeu de réputation, un enjeu d’image. Il y a un effet symbolique », estime François Dauphin. Ce désinvestissement ne serait pas nécessairement lié à une perte de revenus pour les entreprises touchées, nuance-t-il. « Si McGill vend ses actions Lockheed Martin demain matin, quelqu’un d’autre va les acheter. Ça va peut causer une petite fluctuation sur le titre, mais les actions continuent d’être négociées », illustre-t-il. Pour avoir un réel impact sur le conflit, il faudrait que le désinvestissement des entreprises liées au régime israélien devienne un mouvement global, comme ç’a été le cas avec les énergies fossiles. « Ça a changé quelque chose », dit-il.