Le taux de natalité continue à chuter au Québec. Depuis le début de 2023, le nombre de naissances a reculé de 4 %. La baisse est particulièrement marquée chez les couples formés de personnes nées au Canada, chez qui les naissances ont diminué de 9 % en 2022. « Ça devrait nous donner un petit choc », dit Sophie Mathieu, spécialiste principale des programmes à l’Institut Vanier de la famille et autrice du nouveau livre Égalité, fécondité et maternité : le soutien aux familles au Québec. La Presse lui a parlé.

Le taux de natalité est encore en chute au Canada et au Québec. Est-ce que cela vous surprend ?

Non, je ne suis pas surprise. La décision d’avoir un enfant ou non, en grande partie, se prend dans un contexte social et économique. Au Canada, on a atteint un taux de natalité de 1,3, alors qu’il est autour de 1,5 au Québec. Ça demeure très bas.

Le contexte de ce qui est offert aux parents sur le plan des politiques gouvernementales et de l’économie, ce n’est pas favorable. Les conditions pour avoir des familles nombreuses ne sont pas réunies.

Qu’est-ce qui peut expliquer la baisse ?

Historiquement, depuis les années 1980, quand les femmes des pays développés ont le choix entre avoir une carrière et avoir beaucoup d’enfants, elles optent pour la carrière. Même en Italie et en Grèce, des pays traditionnellement associés à de grosses familles, la fécondité a chuté, car les femmes ne sont pas capables de tout concilier.

Dans d’autres pays, avoir un enfant n’est pas la fin de la carrière, et la fécondité ne chute pas autant. Je pense à la France, à la Suède, et aussi au Québec, qui s’en tire mieux que le reste du Canada. Mais la tendance est vers le bas aussi, car les gens voient qu’il manque de places dans les centres de la petite enfance (CPE), que souvent il faut aller en garderie privée… C’est important d’avoir cela, car les femmes ne se sentent plus autant appelées par l’idée d’être mère à temps plein.

C’est encore plus visible dans le reste du Canada, car avec la pandémie, ils n’avaient pas de services de garde comme nous, pas de réseaux coordonnés. Donc le taux de fécondité a planté en 2020. Les parents n’ont plus de façons de tout concilier.

Aussi, on remarque un écart entre ce que les couples disent qu’ils veulent dans les sondages et ce qu’ils finissent par faire dans la réalité. Dans les sondages, ils disent qu’ils voudraient deux ou trois enfants. Mais quand ils en ont un, ils réalisent que c’est difficile, que leur employeur n’est peut-être pas aussi flexible ou compréhensif qu’ils le pensaient, alors ils oublient ça. Si on s’attaquait à ça, on pourrait permettre aux couples d’avoir plus d’enfants. Les couples ne réalisent pas leurs projets, car ils n’ont pas les conditions pour le faire.

Comment renverser la tendance ?

On a de bonnes bases au Québec, mais on n’arrive pas à faire ce qu’on voudrait faire. On a une excellente politique familiale, mais on ne l’applique pas. Ça prend plus de CPE, plus d’éducatrices adéquatement formées et adéquatement payées, avec des conditions de travail favorables, et c’est difficile, car la profession n’est pas valorisée.

Le Québec, on fait l’envie du Canada, mais on n’est pas excellents. On a d’excellents congés parentaux, on est parmi les meilleurs au monde. Cependant, il faudrait que les hommes prennent des prestations plus longtemps. Plus de 70 % des pères les prennent, alors que ce taux est en bas de 20 % ailleurs au Canada. Mais les mères partent un an en moyenne, alors que les pères, c’est 5 à 10 semaines. Ce n’est pas assez.

Il ne faut pas oublier qu’en 1988, on avait un taux de natalité encore plus bas qu’aujourd’hui au Québec. Le gouvernement a voulu renverser la tendance et a créé l’allocation à la naissance, soit les fameux « bébé-bonus » du gouvernement de Robert Bourassa. Les parents recevaient 500 $ au premier enfant, 500 $ au deuxième et jusqu’à 8000 $ au troisième, en 1992 [cela représente 15 000 $ en dollars de 2023]. Ça a fonctionné, les naissances ont monté d’un coup, mais ça n’a pas duré. La fécondité a baissé ensuite, car les gens ont seulement précipité leur décision d’avoir un enfant pour toucher l’argent.

Ensuite, en 1997, Lucien Bouchard et Pauline Marois ont mis en place des services de garde pour aider les familles et offert des congés parentaux plus généreux. L’idée était de donner de meilleures conditions aux mères, mais l’un des effets est que la fécondité a augmenté. On est en train d’effriter cette politique-là, alors qu’il faudrait la renforcer.

La baisse de la fécondité, ça devrait nous donner un petit choc. Plus les politiques permettent aux femmes de poursuivre leur carrière tout en étant mères, plus elles sont prêtes à avoir d’autres enfants.

Égalité, fécondité et maternité

Égalité, fécondité et maternité

Les Presses de l’Université de Montréal