Le cap des 20 jours de grève est franchi depuis lundi et Nathan Veilleux, âgé de 7 ans, se rapproche de la surdose d’écrans : les jeux vidéo, les écrans, tout ça, il en a assez. « Surtout le soir. Le soir, je suis vraiment tanné. »
Son livre de Pokémon est fini depuis longtemps et il attend les vacances avec impatience. « Parce que les vacances, ça dure moins de jours que la grève. »
Nathan, comme tant d’autres enfants, ne comprend pas les tenants et aboutissants du conflit de travail, mais il a compris ceci : les dés sont jetés, il n’y aura pas d’école avant le retour des Fêtes. Après ? Probable que oui.
On ne sait pas si le lutin est là-dessous, mais en tout cas, chez Samy Chekired, qui est en maternelle, la télécommande a disparu. « On ne la trouve plus », lance l’enfant de 5 ans, médusé.
Elle s’est étrangement évaporée quand sa mère, Mélanie Soulard, a constaté que les enfants qu’elle invitait à la maison ne jouaient pas ensemble, mais qu’ils se ruaient devant le téléviseur.
« Maintenant, je prends le téléphone… jusqu’à ce que maman s’en aperçoive », poursuit Samy.
Si la tendance se maintient, le téléphone disparaîtra sous peu aussi (mais il faut penser à éteindre la sonnerie).
Regretter même les cours à distance
Âgée de 15 ans, Malyssa Vat est de cette génération qui a connu à la fois une pandémie historique et une grève exceptionnellement longue.
« La grève, c’est pire que la pandémie », lance-t-elle.
Vraiment ? Pire que quand il y avait les couvre-feux, pire que les masques, pire que cette injonction sans cesse répétée de garder deux mètres de distance ? « Oui, parce que pendant la pandémie, on avait au moins des cours à distance. »
Elle rêve de devenir médecin, et elle s’inquiète pour son avenir.
J’ai des examens du Ministère en juin. Comment est-ce que l’on fera pour rattraper tout ce retard ?
Malyssa Vat, 15 ans
À la maison, ils sont cinq enfants. Leur mère, Solina Suon, s’inquiète tout particulièrement pour celle de 8 ans. « Elle a des problèmes en lecture », note-t-elle.
Dans la famille Osazuwa-Osagie, la vie est aussi compliquée. Quatre enfants – Franklin, qui a 10 ans, les jumelles Daniella et Gabriella de 7 ans, un bébé de 1 an. La mère, préposée aux bénéficiaires, et le père, qui fait des livraisons pour Uber Eats, jonglent avec leurs horaires tant bien que mal.
Dans l’appartement, les enfants jouent au soccer et, parole de Daniella, « ce n’est arrivé qu’une seule fois qu’on casse quelque chose avec le ballon ».
Quand papa et maman ne sont pas là, c’est grand-maman Maria qui nous garde.
Gabriella Osazuwa-Osagie, 7 ans
Une grand-mère de cœur, s’entend. À 74 ans, cette voisine propose souvent de garder les enfants, mais les parents ne veulent pas abuser.
Stefania, qui est arrivée avec sa famille d’Amérique du Sud il y a un an et demi, fait de longues heures de travail, tout comme son mari. Parfois, son fils de 9 ans, Emanuel, passe un peu de temps seul à la maison et elle ne cache pas que ça l’inquiète.
Un besoin urgent de routine
Parce qu’elle en avait assez que ses enfants « soient bardassés à droite et à gauche », parce que les enfants ont besoin de routine à cet âge, Audrey Charbonneau a décidé quant à elle de prendre une semaine de congé avant les Fêtes.
Elle demeure solidaire des enseignants. « Mais après les Fêtes, il sera temps que l’école reprenne », lance-t-elle.
Comme Jacob, Victor Bejan, 6 ans, a eu la chance, pendant le déluge de lundi matin, d’être accompagné à l’aréna. La grève lui a coupé son envol alors qu’il apprend à lire, à écrire et à compter. Ses parents prennent la relève, tout comme une amie de la famille qui a été mise à contribution pour qu’il ne perde pas ses acquis.
En attendant le retour en classe, c’est patin, hockey, patin, hockey.
Je joue au hockey avec mon père dans le salon et on vient souvent à la patinoire.
Victor Bejan, 6 ans
Dans les gradins, les autres parents l’observent, admiratifs devant son coup de patin (dépisteurs, à vos calepins).
Trois périodes de hockey bien comptées
La grève a tout de même quelques bons côtés. Yoan Waddell ne peut normalement écouter qu’une seule période de hockey. Cette semaine, c’est la fête : il aura le droit de se coucher tard et d’écouter au moins un match au complet.
Lucas Parente, qui est en 5e année, avoue aussi ne pas détester faire la grasse matinée, « mais c’est quand même trop long ».
Trop long, surtout au goût de ses parents. « Nous en avons discuté ces derniers jours, nous pensons sérieusement l’inscrire à l’école privée », fait observer sa mère, Joana Alvarenga.
Mais la grève finira sous peu et le contrat de travail ne sera pas à renouveler avant plusieurs années, lui soumet-on. « Oui, mais je ne pense pas que le gouvernement accordera ce que les enseignants réclament et j’ai peur qu’il y ait de la frustration dans l’air. Mon fils est en 5e année, c’est une année importante. »
Avant le déclenchement de la grève, Lucas a eu une remplaçante parce que sa prof habituelle a eu des ennuis de santé. La professeure sera-t-elle remise ? La remplaçante sera-t-elle au poste, sinon ? « On connaît beaucoup d’élèves qui ont eu beaucoup de remplaçantes », s’inquiète-t-elle.
Un règlement viendra, mais ne résoudra pas la pénurie de main-d’œuvre, note Mme Alvarenga. Y aura-t-il, pour le reste de l’année, pour l’an prochain, une enseignante compétente devant la classe ?
Avec Catherine Handfield, La Presse