Les écoles fermées depuis bientôt quatre semaines pèsent lourd sur le quotidien des parents, et pour ceux dont les enfants sont handicapés, le défi est tout autre. « La santé mentale cède », dit Taline Ladayan, mère d’une fille de 8 ans qui a besoin de soins constants.

« Pensez à nous autres aussi et trouvez une solution ! »

Taline Ladayan en appelle autant aux syndicats qu’au gouvernement de François Legault. « J’ai l’impression que tout le monde se fout de nous, tout le monde a son agenda », déplore-t-elle. Quand elle évoque les dernières semaines avec sa fille à temps plein à la maison, les mots « lourd » et « difficile » surgissent. « C’est vraiment beaucoup », soupire-t-elle.

C’est que Paleny, qui a 8 ans et est polyhandicapée, fréquente une école spécialisée de Laval qui est fermée « de manière indéterminée » depuis le 21 novembre en raison des grèves dans le secteur public.

Comme près d’un demi-million d’élèves dont les profs sont affiliés à la Fédération autonome de l’enseignement, elle a raté 19 jours d’école jusqu’ici.

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Paleny a besoin d’environ six heures de soins par jour, l’école donne normalement un répit à ses parents en plus d’être une stimulation pour la fillette polyhandicapée.

L’école, c’est un répit pour nous et c’est une stimulation pour elle. Je ne peux pas la laisser assise dans son fauteuil roulant et me concentrer sur mon travail.

Taline Ladayan, mère de Paleny, 8 ans

« Lorsqu’elle est là, elle ne fait rien : je dois la stimuler, la faire jouer avec ses jouets, la mettre sur sa planche à station debout », détaille Mme Ladayan, qui est directrice d’un organisme à but non lucratif. Son mari travaille lui aussi à temps plein.

Paleny a besoin d’environ six heures de soins par jour : il faut lui donner ses médicaments, la faire manger et boire, changer sa couche, la stimuler.

Impossible pour Mme Ladayan d’emmener sa fille à son travail : les lieux ne sont pas adaptés.

« C’est catastrophique »

Présidente de la fondation Les petits rois, qui vient en aide aux jeunes avec une déficience intellectuelle, et elle-même mère d’un garçon avec un trouble du spectre de l’autisme, Vania Aguiar connaît bien la situation dans laquelle sont plongés ces parents.

« C’est difficile, parce qu’ils n’ont pas le choix de rester à la maison. On ne fait pas garder un enfant comme ça facilement, c’est beaucoup plus compliqué », dit-elle.

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La présidente de la fondation Les petits rois, Vania Aguiar, lors de l’inauguration de la nouvelle école Irénée-Lussier

Pour les parents d’enfants handicapés, « c’est catastrophique », dit également Vania Aguiar.

Pour les enfants avec une déficience, c’est aussi catastrophique parce qu’ils perdent tous leurs repères : leurs amis, leurs profs, leur lieu de travail scolaire. C’est très difficile.

Vania Aguiar, présidente de la fondation Les petits rois

Les enseignants et ceux qui accompagnent ces élèves « travaillent fort, tellement fort », dit-elle néanmoins. « Mais il faut que ça se règle très rapidement, pour nos jeunes qui doivent aller à l’école », poursuit Mme Aguiar.

Si elle reconnaît le droit des enseignants de faire la grève, Taline Ladayan dit que les parents « ont des limites ».

« Si les proches aidants de ces enfants sont épuisés, qui va en prendre soin ? », demande la mère, qui s’inquiète pour les parents d’enfants handicapés qui n’ont pas certains de ses « privilèges », comme celui de pouvoir travailler de chez soi.

« Même si les parents soutiennent les profs, il y a une fatigue qui s’installe », observe elle aussi Vania Aguiar.

Ce n’est pas le premier conflit de travail à laisser les parents d’enfants lourdement handicapés en plan. À la rentrée 2022, la grève des chauffeurs d’autobus avait forcé de nombreux parents à garder leurs enfants plusieurs jours à la maison, parce que le transport adapté n’était pas disponible. Plusieurs écoles spécialisées reçoivent des enfants qui viennent de loin pour aller dans des classes qui sont adaptées à leurs besoins.

Une surprise pourrait tomber à l’eau

Pour la fondation Les petits rois, la fermeture des écoles vient poser un autre problème : si elles ne rouvrent pas d’ici les vacances des Fêtes, on se retrouvera avec 600 cadeaux qui devaient être distribués dans 3 écoles spécialisées de Montréal.

« Cette année, ça s’avère plus difficile de faire la livraison. On devait le faire lundi, mais ça s’annonce mal », dit Vania Aguiar. Une grande partie des jeunes de ces trois écoles sont « en situation de grande précarité », dit-elle.

Les élèves de l’école Irénée-Lussier de Montréal figurent parmi ceux qui devaient recevoir cette surprise avant les vacances.

Ironie du sort : le premier ministre François Legault et le ministre de l’Éducation Bernard Drainville étaient présents à l’inauguration de l’école fraîchement construite, en octobre dernier.

Plus d’un mois avant le déclenchement de la grève, ils avaient été accueillis par une manifestation des syndiqués du Front commun intersyndical et de l’Alliance des professeurs de Montréal.