L’ex-directeur de l’entretien du Mont-Sainte-Anne affirme qu’il a été congédié après avoir dénoncé des failles dans la sécurité de certaines remontées mécaniques en 2021, soit un an avant qu’une télécabine tombe au sol. Il poursuit la station de ski pour 99 000 $.

Ce qu’il faut savoir

Un ingénieur poursuit le Mont-Sainte-Anne pour 99 000 $. Il affirme avoir été congédié un mois après avoir signalé des failles dans la sécurité de certaines remontées mécaniques.

En février 2021, avant son embauche, une télécabine s’est arrêtée brusquement. Des personnes ont été blessées ; 21 ont été transportées à l’hôpital.

En décembre 2022, une télécabine s’est écrasée au sol. Personne ne se trouvait à bord. L’ingénieur avait été congédié un an plus tôt, allègue-t-il.

L’ingénieur Gilles Drapeau affirme qu’il a été renvoyé de manière « fautive et abusive » un mois après avoir alerté ses supérieurs. « Au cours du mois précédant le congédiement de [Gilles Drapeau], soit en novembre 2021, celui-ci a constaté que certaines installations [du Mont-Sainte-Anne] ne semblaient pas répondre aux normes légales, notamment en matière de sécurité, et a demandé que des vérifications plus poussées à cet effet soient effectuées », indique la poursuite déposée en février dernier, mais restée dans l’ombre jusqu’à ce jour.

« Suivant la réalisation des tests demandés, le Demandeur a effectivement constaté que ses craintes étaient avérées, notamment puisque les tests réalisés à l’interne ne répondaient absolument pas aux normes en matière de sécurité », lit-on dans le document de sept pages.

L’ingénieur s’inquiétait entre autres de l’absence d’inspections adéquates sur certaines remontées mécaniques, de lacunes dans l’utilisation des manuels d’entretien et de formations « faibles » ou « inexistantes », selon le document judiciaire.

Pour corriger ces failles, Gilles Drapeau affirme avoir formulé une liste de recommandations. L’ingénieur s’est toutefois buté à « l’entêtement et l’inaction » de ses supérieurs et a dû insister à plusieurs reprises pour que les corrections nécessaires soient apportées, « puisqu’il en allait de la sécurité des employés et du public », dit la poursuite.

M. Drapeau soutient aussi que ses patrons ont contourné ses responsabilités en donnant des directives « totalement à l’opposé » à des employés normalement sous son autorité.

Vers le début du mois de décembre 2021, M. Drapeau a donc indiqué à ses patrons qu’il n’était plus en mesure d’occuper son poste de directeur de l’entretien de la station de ski en raison de ses obligations professionnelles à titre d’ingénieur, indique la poursuite. Il prétend qu’il n’a jamais exprimé son intention de mettre un terme définitif à son lien d’emploi avec le Mont-Sainte-Anne, mais que l’entreprise « a procédé à son congédiement, en tentant de prétexter une démission ».

La Défenderesse a souhaité se débarrasser du Demandeur afin de garder discrètes les problématiques de sécurité qu’elle vivait.

Extrait de la poursuite déposée en février dernier

Dans le cadre de cette action en dommages et intérêts, le Mont-Sainte-Anne s’est opposé à la divulgation de 15 documents, dont les attestations de conformité de trois remontées mécaniques. La semaine dernière au palais de justice de Québec, la station a fait valoir que les documents n’étaient pas pertinents ou qu’ils « requerraient des démarches importantes afin de les retracer ».

La juge de la Cour supérieure Marie Cossette s’est toutefois opposée à cette demande et a obligé la station de ski à remettre les documents à l’ingénieur.

Questionnés par La Presse, Gilles Drapeau et son avocat, MGuillaume Demers, ont dit ne pas vouloir émettre de commentaires pendant le processus judiciaire. Resorts of the Canadian Rockies (RCR), propriétaire de la station Mont-Sainte-Anne, n’a pas répondu à notre demande d’entrevue.

Des inquiétudes depuis 2016

Les inquiétudes concernant les remontées mécaniques du Mont-Sainte-Anne ne datent pas d’hier. Durant la saison 2016-2017, des habitués de la station ont commencé à se plaindre publiquement des nombreuses pannes, parfois longues, qui touchaient certaines remontées.

Le 21 février 2021, la remontée mécanique L’Étoile filante s’est arrêtée brusquement alors que des centaines de skieurs se trouvaient à bord de ses cabines. Les cabines se sont mises à se balancer violemment, certaines se sont entrechoquées et des fenêtres ont éclaté. Vingt et une personnes ont dû être transportées à l’hôpital à la suite de cet arrêt d’urgence.

Trois semaines plus tard, alors que l’achalandage était moindre sur la montagne, la remontée mécanique s’est de nouveau arrêtée sans préavis. Une personne a été blessée.

Gilles Drapeau a été embauché dans la foulée de ces évènements, soit le 23 juillet 2021, à titre de directeur de l’entretien de la station. Son mandat consistait notamment à « améliorer les plans d’entretien afin de respecter les règles de l’art et la réglementation applicable », avance-t-il.

Le 7 décembre 2021, il a perdu son emploi et « la façon de procéder [du Mont-Sainte-Anne] a été humiliante et blessante », lit-on dans la poursuite.

Ce congédiement « sans motif valable et abusif » lui a causé de l’anxiété, du stress et des pertes pécuniaires. Il affirme ne plus être en mesure d’assumer des responsabilités importantes dans le cadre de son nouvel emploi.

Un an plus tard, le 10 décembre 2022, une cabine de L’Étoile filante s’est décrochée de son câble et s’est écrasée au sol, une quinzaine de minutes avant l’ouverture des pistes. Cette cabine était vide, mais d’autres étaient occupées par des employés. Des dizaines de personnes faisaient la file pour monter au sommet de la montagne.

La Régie du bâtiment du Québec (RBQ) a exigé l’arrêt de toutes les remontées de la station six jours plus tard. Le Mont-Sainte-Anne est resté fermé pendant le temps des Fêtes, une période fort lucrative pour l’industrie du ski, jusqu’au 8 janvier.

La remontée L’Étoile filante a rouvert seulement le 8 avril 2023 à la suite de travaux de réparation et de la validation par la RBQ d’une attestation de sécurité signée par un ingénieur.

À l’époque, la Régie avait soulevé l’hypothèse d’une erreur humaine pour expliquer la chute d’une cabine. La RBQ n’a pas été en mesure de répondre à nos questions avant la publication de cet article.