(Mont-Saint-Grégoire) C’est le fruit d’une complicité entre un sélectionneur de pomme et une aînée de Kanehsatà:ke. Une nouvelle variété baptisée Ó:IASE s’enracine dans les vergers du Québec. Juteuse, sucrée, avec un goût inattendu de prune jaune : cette création est même en voie d’être brevetée.

À l’ombre du mont Saint-Grégoire enflammé par les couleurs de l’automne, Roland Joannin entraîne deux biologistes au fond d’un verger. Le trio s’arrête devant une rangée de pommiers qui regorgent de gros fruits rouges.

Les deux examinateurs de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) sortent leurs calepins et instruments de mesure et se mettent au boulot. Leur visite est une étape cruciale avant de pouvoir homologuer cette nouvelle variété de pomme auprès de Santé Canada.

Pendant l’examen, Roland Joannin rejoint le pomiculteur Yvan Duchesne, qui lui prête des parcelles expérimentales dans son verger pour y faire pousser ses inventions les plus abouties.

On y retrouve notamment Rosinette et Passionata, deux autres variétés développées par M. Joannin qui ont été brevetées en 2014 et en 2015. « On partage la folie avec Roland, juste pas tout le travail qu’il a mis là-dedans », lance l’agriculteur de 68 ans en riant.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Yvan Duchesne et Roland Joannin

Car avant d’en arriver là, Roland Joannin et le collectif La Pomme de demain (qui travaille à la diversification de l’offre en pomiculture) ont réalisé près de 9000 hybrides. « Il y a beaucoup d’appelées et peu d’élues », résume l’homme de 68 ans.

L’Ó:IASE (qui se prononce « O-yiassé » en français) est issue d’un croisement réalisé en 2007 à Saint-Joseph-du-Lac entre une pomme Honeycrisp (la mère) et une pomme Pitchounette (le père). Pour y parvenir, le pollen de la Pichounette a été inséré dans la fleur d’une Honeycrisp à l’aide d’un pinceau.

Quand je suis tombé là-dessus je me suis dit : “Wow ! Là, j’ai quelque chose !”

Roland Joannin, du collectif La Pomme de demain

« Elle est fruitée, elle a suffisamment d’acidité pour le soutenir et elle a des arômes de prune jaune », décrit-il au sujet de sa variété tardive.

Des collègues de la salle de rédaction de La Presse (les pommes ont très vite disparu) y ont quant à eux décelé des arômes de miel, de sirop d’érable, de poire asiatique et de litchi.

Rendre hommage

En langue kanien’kéha – aussi appelée langue mohawk –, Ó:IASE signifie « nouvelle pomme ». L’article Ó désigne les choses issues de la nature, le deux-points marque une pause, « IA » signifie pomme et « SE » veut dire « nouvelle ».

C’est Hilda Nicholas, directrice du centre culturel de Kanehsatà:ke et présidente de Kontinónhstats, l’Association pour la préservation de la langue mohawk, qui a trouvé le nom pour cette nouvelle pomme en 2018.

Le but était de rendre hommage à la communauté voisine des régions pomicoles d’Oka et de Saint-Joseph-du-Lac.

« Construire un pont entre les deux nations, je trouve que c’est merveilleux », a-t-elle affirmé en entrevue téléphonique. « C’est un honneur d’avoir été contactée pour donner un nom kanien’kéha parce que notre langue est en train de disparaître et nous travaillons très fort pour la raviver. C’est ce que l’on fait tous les jours, essayer de garder notre langue vivante », a ajouté celle qui a également suggéré le nom « Atateken » (qui signifie fraternité) pour remplacer le nom de la rue Amherst, à Montréal.

Pour chaque pommier Ó:IASE vendu, une redevance de 25 cents sera par ailleurs remise à l’Association.

« Ça me touche beaucoup, c’est un des meilleurs coups de ma carrière de réussir à faire ce partenariat », explique M. Joannin. « Ça ne fait pas que le monde change profondément, mais ça lance des choses », ajoute-t-il.

Et que pense Mme Nicholas du goût de la pomme ? « Elles sont vraiment, vraiment juteuses, c’est une très belle pomme », répond-elle.

« Elles sont vraiment uniques en leur genre. Je les aime beaucoup et je suis vraiment fière qu’on leur ait donné ce nom. »

Où peut-on cueillir la pomme Ó:IASE ?

Offerte pour la cueillette depuis seulement quelques jours, l’Ó:IASE est victime de son succès. Bon nombre de vergers n’en ont déjà plus. Il vaut mieux téléphoner avant de se rendre sur place.

  • Verger de la Montagne, Mont-Saint-Grégoire
  • Verger Labonté, Notre-Dame-de-l’Île-Perrot
  • Domaine Villeneuve, Saint-Joseph-du-Lac (le verger a aussi un kiosque au marché Jean-Talon à Montréal)

De retour à l’automne 2024 :

  • Ferme Quinn, Notre-Dame-de-l’Île-Perrot
  • Verger Le gros Pierre, Compton
  • La tête dans les pommes, Saint-Joseph-du-Lac
  • Verger Girard, Saint-Joseph-du-Lac