Y a-t-il vraiment 12 000 logements sociaux en construction au Québec en ce moment, comme l’a affirmé la ministre de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, lundi dernier ?

Ce qu’il faut savoir

La ministre de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, a affirmé la semaine dernière qu’il y avait 12 000 logements sociaux en construction au Québec.

Selon les données de la Société d’habitation du Québec, 4454 unités sont « en réalisation » à divers stades, tandis que 7655 sont « en développement », mais n’ont pas encore reçu la confirmation d’une aide gouvernementale.

Certains projets de logements sociaux attendent leur financement depuis plus de 10 ans.

La réponse est non, révèle une vérification de La Presse. En réalité, il y a actuellement 99 projets de logements sociaux, représentant 4454 unités, « en réalisation » à divers stades, selon les données de la Société d’habitation du Québec (SHQ).

On compte aussi 7655 logements « en développement » dans 171 projets d’habitation « qui n’ont pas encore reçu la confirmation de la participation financière de la SHQ », indique l’organisme gouvernemental.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

France-Élaine Duranceau, ministre de l’Habitation du Québec

Or, la ministre Duranceau a additionné ces deux données pour laisser entendre qu’il y avait 12 000 logements sociaux « en construction », ou « financées » par le gouvernement, comme elle l’a dit à un autre moment, en conférence de presse à Montréal, dans Cartierville, la semaine dernière.

Lisez l’article « Cartierville : Québec investit dans 79 logements sociaux »

Questionné à ce sujet, un porte-parole de la SHQ a précisé, par courriel, que « la ministre voulait mentionner qu’il y avait présentement plus de 12 000 logements dont les projets sont rendus à différentes étapes de réalisation ».

Dix ans d’attente

Parmi les 7655 logements « en développement », dont le financement n’est pas assuré, certains projets sont dans les cartons depuis aussi longtemps que huit ou dix ans et attendent toujours des fonds publics pour lever de terre.

Consultez le tableau de bord de la SHQ

C’est le cas du projet Habitations de Mont-Laurier, mené par la coopérative Défi Autonomie d’Antoine-Labelle, qui souhaite construire 34 logements pour personnes âgées en perte d’autonomie. La demande de financement a été déposée en septembre 2012 à la SHQ, dans le cadre du programme AccèsLogis.

Le projet était au départ évalué à 6 millions, mais la facture est aujourd’hui estimée à 14,5 millions.

« Ça fait plus de 10 ans qu’on en parle », témoigne Michel Langevin, directeur général de la coopérative.

Pendant ce temps, la surchauffe du marché a fait augmenter les coûts de presque 1 million par année.

Michel Langevin, directeur général de la coopérative Défi Autonomie d’Antoine-Labelle

L’organisme a été invité à présenter son projet à nouveau, en début d’année, pour l’obtention de financement dans le cadre de l’Initiative pour la création rapide de logements, des fonds fédéraux gérés par la SHQ. Mais M. Langevin a appris il y a quelques semaines que leur projet n’avait pas été retenu.

« On a eu des discussions avec la SHQ qui nous ont donné espoir, ils disent chercher une façon de débloquer notre projet. Mais c’est très difficile d’avoir du financement, se désole-t-il. À Mont-Laurier, on n’a pas de grosses compagnies qui pourraient contribuer. »

Risque d’itinérance

L’espoir est aussi revenu du côté du projet Pavillon Bien-Aimé, piloté par la Société d’amélioration de Pointe-Saint-Charles en partenariat avec l’organisme Rêvanous, qui œuvre auprès de personnes ayant une déficience intellectuelle. Dans le futur édifice de 39 logements, 10 seraient réservés à des personnes ayant une déficience intellectuelle.

« On travaille avec des personnes très vulnérables, qui risquent de se retrouver en itinérance si elles n’ont plus de famille et ne sont pas prises en charge », affirme Yves Marcotte, président du C.A. de Rêvanous.

L’organisme a déjà un édifice de 79 logements, en plus de gérer quelques unités dans des édifices de l’Office municipal d’habitation de Montréal. Sa liste d’attente pour un logement compte 140 noms, et Rêvanous l’a récemment fermée parce qu’il y a très peu de chances que de nouvelles places se libèrent rapidement.

Le projet Pavillon Bien-Aimé, maintenant estimé à 11,1 millions, est dans les cartons de la SHQ depuis 2012. M. Marcotte espérait obtenir le financement nécessaire il y a deux ans, mais le gouvernement avait alors versé des sommes moins importantes que prévu.

Notre projet a été mis sur la glace, comme plusieurs autres. Mais là, il semble avoir été ressuscité il y a trois mois.

Yves Marcotte, président du C.A. de Rêvanous

Cependant, s’il se construit, l’édifice coûtera plus cher que prévu.

Les conséquences risquent d’être les mêmes pour nombre de projets qui attendent depuis des années. D’autres exemples ? La coopérative d’habitation Rose-Main (63 logements), à Montréal, dont le projet date de 2014, le projet Maison Émilie, (86 logements), qui date de 2018, le projet Convergence Griffintown (272 logements), qui date de 2019, le projet Habitation patrimoniale des cantons unis de Stoneham-et-Tewkesbury (35 logements), qui date de 2019.

Coûts doublés

« En 2018, le coût moyen était d’environ 200 000 $ par porte, alors que c’est maintenant environ 400 000 $. Les coûts de construction ont doublé, mais pas les subventions », déplore Éric Cimon, directeur général de l’Association des Groupes de ressources techniques (GRT) du Québec, des organismes qui accompagnent le monde communautaire dans le développement de logements sociaux.

Le programme AccèsLogis avait été conçu de façon à ce que le financement public représente 50 % des coûts d’un projet, tandis que le reste pouvait être financé au moyen d’une hypothèque ou d’autres sources. Mais comme les subventions gouvernementales n’ont pas été majorées, les montages financiers ne fonctionnent plus, explique M. Cimon. « On est plutôt dans du 34 % », observe-t-il.

La ministre de l’Habitation dit s’attaquer au « backlog » des projets déposés auprès d’AccèsLogis ces dernières années, pour débloquer du financement. Mais les sommes sont encore insuffisantes dans bien des cas.

Selon Edith Cyr, directrice générale du GRT Bâtir son quartier, les projets financés en priorité sont ceux qui peuvent se réaliser rapidement. Mais le gouvernement devrait aussi prendre en considération les besoins des communautés, note Éric Cimon.

Le nouveau programme sera-t-il efficace ?

Pour remplacer le programme AccèsLogis, la ministre de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, a annoncé l’année dernière la création du Programme d’habitation abordable Québec (PHAQ), dont le but est d’accélérer les mises en chantier de logements sociaux. En 2022, 41 projets totalisant 1723 logements ont été sélectionnés pour une subvention gouvernementale, mais un seul projet a été mis en chantier jusqu’à maintenant, un édifice de 40 logements à Fermont. Pour 2023, l’appel de projets s’est terminé le 22 septembre dernier. En principe, 1500 unités devraient recevoir du financement, mais 500 de ces unités sont réservées au secteur privé. Parmi les membres de l’Association des GRT du Québec, les projets déposés totalisent 4881 logements, révèle Éric Cimon. La majorité de ces projets ne recevront donc pas le financement espéré.