L’équipe de La Presse, mais aussi tout le milieu du cinéma, est en deuil à la suite de la mort de notre critique de cinéma Marc-André Lussier. Ce dernier, qui se remettait d’une récente opération cardiaque, a été trouvé sans vie à son domicile vendredi matin. Il avait 63 ans.

Dès l’annonce de sa mort subite, le journaliste Marc-André Lussier a été décrit par ses collègues et par le milieu culturel comme un modèle, tant par son humanité que par son professionnalisme.

« Marc-André va énormément nous manquer. Tout le monde l’aimait à La Presse, a témoigné l’éditeur adjoint de La Presse, François Cardinal. Gentleman discret, collègue humble et positif, il était apprécié pour ses évidentes qualités humaines. Passionné parmi les passionnés, il avait su devenir une référence pour ses collègues, mais aussi pour le Québec. »

Marc-André a couvert le cinéma avec un enthousiasme qui ne l’a jamais quitté, avec une énergie qui n’a jamais décliné, et surtout, avec une incomparable maestria. Il a ainsi su se hisser au stade le plus haut de la profession grâce à une curiosité, une culture et un dévouement hors du commun, qui imposent le respect de tous les journalistes.

François Cardinal, éditeur adjoint de La Presse

Un ami, un compagnon de travail, un travailleur acharné qui n’a jamais compté ses heures, Marc-André était avant tout un amoureux plus grand que nature du septième art. Il y a quelques semaines à peine, il revenait du Festival de Cannes, dont il avait prédit avec justesse les gagnants de la Palme d’or, du Grand Prix du jury et du Prix du jury, l’équivalent d’un podium complet.

Notre collègue était le plus ancien employé de La Presse, où il a œuvré durant 45 ans. Il était entré au service de la publicité le 6 juin 1978, alors qu’il était âgé de 18 ans, et y a travaillé pendant 17 ans. En parallèle, il a toujours été engagé et attiré par le milieu des arts. Chanteur dans les années 1980, il avait été demi-finaliste au Festival de la chanson de Granby.

À la même époque, son amour du cinéma, révélé dès la fin de l’adolescence en voyage, entre autres pour les films de François Truffaut, l’a mené à lire d’innombrables revues de cinéma et à prendre en note ses propres impressions des films visionnés.

En 1988, il a commencé à animer une émission de cinéma, Projection spéciale, sur les ondes de la radio CIBL avec plusieurs collaborateurs, dont Bruno Boulianne et Patrick Masbourian. Il a à l’époque reçu en ondes un jeune cinéaste du nom de Denis Villeneuve.

Ce dernier, contacté lundi, s’est dit « sous le choc » en apprenant la nouvelle. Il a tenu à rendre hommage à Marc-André, qui a été l’un des premiers à l’interviewer à ses débuts.

C’est quelqu’un qui m’a suivi tout au long de ma carrière, on a grandi parallèlement dans nos domaines respectifs. C’était quelqu’un de droit, d’honnête, de juste, qui avait une impressionnante intelligence et une magnifique sensibilité. Je l’appréciais beaucoup, c’était une référence.

Le réalisateur Denis Villeneuve

Denis Villeneuve prenait plaisir à lire ses critiques de films. « Je l’ai lu hier encore pour savoir ce qu’il pensait du dernier Indiana Jones, nous dit-il. On vient de perdre un pilier important de la pensée cinématographique au Québec. »

« Une référence »

Le réalisateur Bruno Boulianne, qui le côtoyait à ses débuts sur les ondes de CIBL, se souvient avec admiration d’un passionné doté d’une ambition prodigieuse. « C’était quelqu’un de très humble, d’humain, de très sensible, témoigne Bruno Boulianne. Il savait bien argumenter pour défendre son avis et tout le monde le trouvait très juste. C’était aussi un grand intervieweur. Il était exemplaire, c’était une référence tant au niveau humain que professionnel. »

Parfois, Marc-André préenregistrait les émissions à son appartement, avec les moyens du bord, raconte le réalisateur. Il achetait même la musique de films pour se monter une banque de trames sonores. « C’était un bricoleur de génie. Il était devenu réalisateur parce qu’il travaillait par passion. Il était abonné à toutes les revues de cinéma. Il a fait ses gammes en apprenant sur le tas. »

Son travail acharné l’a mené loin. Même à l’époque de Projection spéciale, « les gens du cinéma s’arrangeaient pour passer à son émission, parce qu’il était devenu une référence, respectée de tous ».

À compter de 1995, il a commencé à signer ses premiers articles dans La Presse. Le jour, il travaillait au service de la publicité. Et à la fin de la journée, il descendait du 4e au 3e étage de l’édifice de la rue Saint-Antoine pour écrire ses reportages et critiques.

Marc-André a été embauché comme journaliste à la section des Arts en 2000. Dès 2001, il a couvert son premier Festival de Cannes. Il en a profité pour créer la rubrique des « Cannoiseries », série de nouvelles brèves sur la Croisette dont se délectaient nos lecteurs.

Au fil des ans, il a aussi été de tous les grands festivals, de Toronto à Berlin, de la Mostra de Venise à Karlovy Vary. À Montréal, il a connu les grandes années du Festival des films du monde. Son parcours l’a aussi conduit sur de nombreux plateaux de tournage.

De Denys Arcand à Woody Allen, de Catherine Deneuve à Pascale Bussières en passant par Wong Kar-wai, les frères Dardenne et Monique Mercure, Marc-André a interviewé des centaines de cinéastes, acteurs et actrices, directeurs photo et autres artisans du cinéma.

Marc-André Lussier est aussi l’auteur de quatre livres, dont Le meilleur de mon cinéma : les 300 films incontournables des 30 dernières années (2013), Mon cinéma : 350 films à voir ou à revoir (2018) et Moi, la biographie de René Homier-Roy (2018).

En plus d’être collaborateur invité ces dernières années aux émissions de radio Culture Club, Plus on est de fous, plus on lit ou La soirée est (encore) jeune, il a également coanimé l’émission À l’affiche cette semaine sur les ondes de Télé-Québec avec son grand ami Marc Cassivi. C’est avec ce dernier qu’il cosigne son plus récent ouvrage, Cannes au XXIe, paru en 2021.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Marc Cassivi et Marc-André Lussier à la parution de leur livre Cannes au XXIe

Un profil de plus en plus rare

L’animateur de l’émission Tout un matin à ICI Première, Patrick Masbourian, a fait ses débuts à la radio avec Marc-André Lussier en 1991. Il perd un ami et un collaborateur de longue date.

Dès mon retour de la Course [destination monde], il m’a interviewé à son émission de radio [à CIBL], puis de fil en aiguille, j’ai commencé à collaborer avec lui, entre autres pour ses émissions spéciales sur le Festival des films du monde. Marc-André était un gars extraordinairement passionné et motivé. Il n’y a rien qui l’arrêtait. Il était passionné de culture, de musique, mais surtout de cinéma, il a travaillé avec dévouement et acharnement pour réaliser son rêve de couvrir le cinéma, et il a réussi.

L’animateur Patrick Masbourian

Patrick Masbourian se rappelle également « l’immense gentillesse » de notre collègue. « Si j’exclus les membres de ma famille, Marc-André était la seule personne qui m’écrivait un petit mot pour mon anniversaire sans jamais sauter une année. Je veux aussi dire que dans la collaboration, il était toujours d’une grande bienveillance. Malgré mes maladresses à mes débuts en radio, il demeurait souriant et invitant. »

Cette bienveillance, sa consœur du Devoir Odile Tremblay en a elle aussi fait l’expérience, elle qui l’a côtoyé pendant toute sa carrière, ici, mais surtout lors des festivals de films présentés à l’étranger.

« Marc-André était le gars le plus organisé que j’ai connu, nous dit-elle. Je l’appelais ma petite outarde. Quand on était à Cannes, si j’étais perdue ou s’il me manquait des informations, il me les envoyait toujours. Il me réservait souvent un siège à côté de lui, tout ça même si on travaillait pour des médias concurrents. »

Odile Tremblay, qui perd elle aussi un ami, estime que le journaliste Marc-André Lussier était dans une classe à part. « Il s’intéressait au cinéma, bien sûr, c’était un spécialiste, il voyait tous les films, il avait des connaissances encyclopédiques, mais il avait aussi une bonne compréhension de la mécanique du cinéma, de l’industrie. Il était vraiment sur tous les fronts. Ce profil-là est de plus en plus rare. »

Un critique juste

« On perd un grand, un très grand », lâche dans un souffle Mario Fortin, ancien directeur des cinémas Beaubien, du Parc et du Musée, qui se dit renversé par la tragique nouvelle. « C’était un passionné comme il y en a peu. Une encyclopédie. C’était un vrai. »

Mario Fortin et Marc-André Lussier se sont connus à l’époque où ce dernier animait l’émission Projection spéciale, qui était alors la seule en son genre. Depuis, parce que le cinéma a toujours été au centre de la vie des deux hommes, leurs chemins se sont souvent croisés. Pour Mario Fortin, peu de critiques avaient la trempe de Marc-André.

Quand il aimait [une œuvre], on le savait. Mais quand il n’aimait pas, il laissait quand même la chance à ses lecteurs et auditeurs de se faire leur propre idée. Il allait souvent chercher le côté positif, pour dire que tout le monde pouvait potentiellement trouver quelque chose dans un film. Marc-André est quelqu’un que je respectais et que je respecterai encore longtemps.

Mario Fortin, ancien directeur des cinémas Beaubien, du Parc et du Musée

« Cette nouvelle est un véritable choc pour moi, a quant à lui réagi Roger Frappier, président de la boîte de production montréalaise Max Films. Le cinéma québécois perd un grand compagnon de son existence. Un être intelligent, lumineux, de bonne humeur et de grande écoute. Un communicateur passionné de son métier et du cinéma. »

« Il était toujours gentil »

Humble, effacé, fuyant les hommages, Marc-André Lussier avait toutefois à cœur de faire partager son amour du cinéma et ses connaissances en allant rencontrer les jeunes de plusieurs écoles. Dans notre salle de nouvelles comme dans la vie de tous les jours, il était quelqu’un de discret. Au sein d’une équipe agitée de passionnés d’art, il était une force tranquille, toujours disponible pour discuter, mais aussi toujours concentré sur son travail, qu’il accomplissait avec une passion sans borne.

Marc-André Lussier célébrait en 2020 ses 25 ans en tant que journaliste à La Presse. « Le cinéma étant pour moi une passion depuis l’adolescence, j’ai la très grande chance de pouvoir gagner ma vie en nourrissant ma passion », avait-il dit, cette année-là, dans le cadre d’un portrait publié dans nos pages.

« À l’époque où nous pouvions voyager, rien n’était plus excitant – et épuisant à la fois – que de couvrir les grands festivals internationaux (Cannes, Berlin, Venise, Toronto et quelques autres). Réaliser des entrevues avec les meilleurs artisans du septième art reste toujours une grande joie, même après toutes ces années, tout comme le plaisir de partager cet enthousiasme aux lecteurs. »

Il y a quelques jours, peu de temps après son retour de Cannes, Marc-André avait subi une opération cardiaque importante qui l’avait forcé à prendre une pause, lui qui semblait ne jamais s’arrêter. Au sortir de l’hôpital, il s’était réjoui d’une opération qui « n’aurait pas pu mieux se dérouler » et rêvait déjà de son retour après quelques semaines de repos. Malheureusement, des complications liées à l’intervention chirurgicale ont provoqué sa mort.

« Je relisais le mot qu’il avait écrit sur son Facebook pour parler de son opération et c’était complètement un message du genre de Marc-André, commente le réalisateur Bruno Boulianne. Il était positif et, surtout, il pointait avant tout le travail du personnel qu’il a croisé pendant son passage à l’hôpital. Il était reconnaissant, humble et toujours tellement gentil. »

Le départ de Marc-André Lussier laissera un vide immense. Au sein de la salle de rédaction de La Presse, dans le quotidien de ses proches, tout comme dans le milieu du cinéma et dans le cœur des cinéphiles.