La crise à la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) démontre, de nouveau, que le gouvernement devra peaufiner ses protocoles en matière de transition numérique, au moment où il projette d’intégrer plusieurs autres organes ministériels au Service d’authentification gouvernemental. Entrevue avec Eric Parent, président d’EVA-Technologies et enseignant en cybersécurité.

Quelles ont été les principales erreurs du gouvernement dans ce dossier ?

Toute la préparation et la façon avec laquelle il a effectué ce changement, c’est très bizarre. Les séquelles qu’on voit sont attribuables à des erreurs de base. D’emblée, en informatique, c’est bien rare qu’on éteigne tout pendant un mois comme ça a été le cas ici. Une journée, un week-end, ça se voit, mais un mois, c’est hautement inhabituel. J’imagine que c’était pour économiser, parce que le faire plus vite aurait été plus cher, mais arrêter des services si longtemps, ça allait forcément créer un problème. Je ne comprends pas pourquoi, non plus, on n’a pas roulé deux systèmes en parallèle pour continuer, dans la transition, de fonctionner avec l’ancien système dans les succursales par exemple, pendant qu’on envoyait graduellement en ligne les usagers vers le nouveau système. Ce sont de bonnes pratiques, d’un point de vue technologique, quand on met en place un nouveau système.

La situation était-elle prévisible ?

Quand on a des gens en technologie qui ont de l’expérience et qui lèvent la main, comme l’a rapporté le syndicat, ce n’est jamais bon signe. Trop souvent, on ne les écoute pas, soit parce qu’il y a des pressions politiques pour faire les choses, soit parce qu’il y a un manque de compréhension de l’impact potentiel. En général, il faut le rattacher à un risque financer, en chiffrant les pertes à tant de millions, par exemple. Selon ce que je comprends ici, plein de gens ont levé la main, mais il n’y avait pas ce mécanisme de gestion de risque qui a permis de freiner la machine. Ça aurait pu être fait autrement, c’est certain.

Comment un dossier pareil aurait-il été géré dans le secteur privé ?

Des crises internes du genre, ça arrive beaucoup moins souvent dans les entreprises, pour la simple et bonne raison qu’au privé, ça ne pardonne tout simplement pas. En termes très concrets : au privé, si tu fais ça, tu perds ta business. Là, quand c’est l’argent des contribuables, c’est différent. L’impact au privé peut être catastrophique sur la vie d’une entreprise. La SAAQ, elle, ne peut pas vraiment disparaître. Elle est vouée à rester en place, donc les risques ne sont pas du tout les mêmes. C’est la même chose avec toutes les sociétés d’État comme Hydro-Québec.

Quel peut être le coût d’une telle crise pour la SAAQ ?

Il y a certes un coût politique derrière, parce que tout le monde écope, mais je ne pense pas qu’il y ait de coût réputationnel pour la SAAQ, du moins pas rattaché à des dollars. Même du côté de la performance ou de la livraison de la marchandise, ce ne sont pas eux qui en souffrent, ce sont les citoyens qui attendent en ligne pendant huit heures pour avoir un service. Le coût, pour moi, est donc surtout humain là-dedans. Le reste est difficile à quantifier. On verra peut-être des refontes se faire à la SAAQ dans les prochaines années, mais on aura quand même toujours besoin de renouveler son permis de conduire et son immatriculation.

Aurait-on pu conserver le statu quo ?

Non, ils n’avaient pas le choix d’aller dans cette direction-là, en premier lieu parce que le système de la SAAQ était véritablement désuet. Pousser les gens vers le web, on n’a pas le choix non plus de le faire en ce moment. C’est une bonne chose pour réduire les files d’attente physique d’aller dans ce sens-là. Cela dit, c’est sûr que ça n’inspirera pas beaucoup de personnes. Le défi sera essentiellement de démontrer qu’on a tiré des leçons de tout ça dans les prochains mois, quand il y aura d’autres transitions numériques du genre qui vont survenir au gouvernement.