En pleine crise à la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), le ministre de la Cybersécurité et du Numérique, Éric Caire, rejette toute forme de « responsabilité » pour les imposantes files d’attente liées à la transition. Il s’en prend plutôt à la haute direction de la société, qu’il accuse d’avoir mal planifié son projet d’implantation dès le départ.

« Je veux bien dire que j’ai une responsabilité, mais la réalité, c’est que ce projet a été autorisé en 2017 par le C. A. de la SAAQ. Il n’est pas sur les tableaux de bord du gouvernement. Et contrairement aux ministères et organismes qui mettent mensuellement à jour leurs projets technologiques sur un tableau de bord public, la SAAQ ne fait pas ça », assure le principal intéressé en entrevue avec La Presse.

M. Caire se dit « surpris » de la manière dont se sont déroulées les choses jusqu’ici. « Je comprends que les citoyens soient en colère, qu’ils veuillent des réponses et des solutions, et ils les auront, mais il faut être objectif : je ne peux pas rendre mes équipes responsables d’un projet qui existait avant leur mise en place. »

Quant à son rôle de ministre délégué à la Transformation numérique, qu’il occupe depuis 2018, l’élu fait valoir que « le mandat n’était pas le même », puisqu’il relevait d’abord du Conseil du trésor.

Ce n’est pas que je veux me laver les mains. Moi, je vais toujours assumer la responsabilité de mes projets, autant quand ça va bien que quand ça va mal.

Éric Caire, ministre de la Cybersécurité et du Numérique

À court terme, le ministre affirme vouloir « trouver des solutions » pour résoudre la crise. Il dit travailler avec les services informatiques de la SAAQ pour voir « ce qu’on peut mettre comme ressources additionnelles pour corriger les problèmes rapidement ». En matinée, sa collègue Geneviève Guilbault, ministre des Transports, avait annoncé un sursis supplémentaire de 90 jours pour les automobilistes touchés. « L’heure des bilans viendra, et on posera toutes les questions qu’il faut », assure toutefois M. Caire.

Des voyants verts devenus… rouges

C’est en novembre que la SAAQ avait d’abord présenté son « plan de match » au gouvernement, affirme le ministre. « À ce moment-là, tous les voyants étaient au vert, tant dans leur planification que dans leur déploiement. Sauf que ce n’est pas ce qui s’est passé. La fermeture des services ne s’est pas produite au moment prévu, et l’application n’a pas répondu aux attentes de performance », dénonce le caquiste, visiblement irrité par les décisions de la direction de l’organisme, à qui il demande de rendre des comptes.

À ses yeux, la situation démontre justement « qu’on avait besoin d’un ministère du Numérique, où on peut concentrer un niveau d’expertise et aider les différents organismes dans leur projet ».

Pourquoi cela n’a-t-il pas été fait avec la SAAQ ? Pour plusieurs raisons, explique Éric Caire. « Mon ministère a vu le jour en janvier 2022. Il y a eu une réorganisation à faire avec les services, et on avait quand même des mandats importants dont il fallait assurer la continuité. Puis il y a eu la campagne électorale de juillet à octobre, donc il n’y avait pas la capacité de prendre ce genre de décisions », plaide-t-il.

Selon l’élu, la SAAQ aurait eu « intérêt à diviser son projet en plusieurs blocs », en déployant d’abord une première opération « performante ». « Il y aurait fallu en premier lieu assurer la fiabilité du service, et après y aller graduellement. C’est comme ça qu’il faut fonctionner.

Nous, justement, le choix qu’on a fait avec le Service d’authentification gouvernemental [SAG], c’est de le diviser en différents blocs. Et ça nous confirme que c’est la bonne chose à faire. Ça rend la réalisation et le déploiement plus facile, plus solide.

Éric Caire, ministre de la Cybersécurité et du Numérique

Le SAG, lui, « répond aux attentes », assure M. Caire, en rappelant que le ministère de la Famille y a déjà été intégré avec succès, avant la SAAQ. « Oui, c’était un nombre restreint d’individus, et oui, la SAAQ était notre premier gros client à volume, mais nous, notre service a été testé. Et il fonctionne », conclut l’élu, qui jure n’avoir « aucune crainte » pour la suite, plusieurs autres ministères devant cette année s’intégrer à ce Service d’authentification.

Tirs croisés de l’opposition

Dans l’opposition, les réactions aux propos d’Éric Caire n’ont pas tardé, mercredi. « Personne n’est responsable dans ce gouvernement caquiste. Ce matin, Geneviève Guilbault disait que le déploiement informatique à la SAAQ était la responsabilité d’Éric Caire. Maintenant, ce dernier s’en lave les mains et jette le blâme sur la SAAQ », a d’abord lancé le chef libéral, Marc Tanguay.

Les deux ministres ont pourtant « affirmé avoir fait leurs vérifications avant le lancement et ils disaient que tout allait bien aller ». « Y a-t-il quelqu’un de responsable dans ce gouvernement ? Jamais », a également déploré le libéral.

« C’est irresponsable et franchement gênant de voir Éric Caire se laver les mains des déboires de la SAAQ. À quoi sert-il ? », s’est de son côté interrogé le critique péquiste en matière de transports, Joël Arseneau. « Le fiasco, c’est aussi le sien. Chose certaine, ça augure mal pour la suite. Le shérif de la CAQ est disparu, soit, mais la question est la suivante : y a-t-il un pilote dans l’avion ? »

Le solidaire Étienne Grandmont a aussi condamné les propos du ministre. « La CAQ est aux commandes depuis plus de 4 ans. Pendant tout ce temps, les ministres caquistes n’ont jamais jugé bon de se mettre le nez dans la plus grosse opération de transition numérique de leur gouvernement. C’est renversant », a-t-il jugé.