Les demandeurs d’asile qui arrivent par le chemin Roxham font bondir le nombre de bénéficiaires de l’aide sociale en raison du temps que le fédéral met à délivrer les permis de travail. Seulement en aide de dernier recours, il en coûte 20 millions de plus par mois à Québec, qui demande à Ottawa de ramasser la facture.

Selon le dernier relevé du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, 48 835 adultes dans l’île de Montréal, aptes à l’emploi, ont reçu des prestations d’aide sociale en novembre dernier. Il s’agit d’une hausse de 5 % par rapport au mois précédent et de 73,3 % en un an. Ils étaient 28 179 en novembre 2021.

« Ce qu’on voit depuis un an est que l’augmentation est principalement due aux demandeurs d’asile. C’est une situation qu’on voit surtout à Montréal », a constaté Catherine Tragnée, organisatrice communautaire du Front commun des personnes assistées sociales du Québec.

« Le nombre d’adultes prestataires des programmes d’assistance sociale augmente en raison de la hausse du nombre de demandeurs d’asile prestataires », confirme dans un courriel le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MESS).

Le nombre de demandeurs d’asile qui reçoivent des chèques d’aide sociale le 1er du mois est passé de 12 958 en 2021 à 37 754 en 2022. Ceux-ci se concentrent effectivement à Montréal dans la presque totalité des cas, selon les statistiques du MESS.

« Pendant longtemps, on pensait que l’immigration était un monde en silo séparé d’autres mondes, commente le professeur Chedly Belkhodja, directeur du Centre pour l’étude de la politique et de l’immigration (CEPI) de l’Université Concordia. On donne des services spécifiques aux immigrants, et les immigrants ne vont pas se retrouver pour demander des services dans d’autres endroits dédiés aux personnes vulnérables. Là, on se réveille. On constate que les enjeux de vulnérabilité touchent différentes populations [y compris la population immigrante]. »

Le 23 janvier dernier, des groupes communautaires ont témoigné publiquement de leur essoufflement face aux besoins grandissant des demandeurs d’asile ayant recours à leurs services. La Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI) réclame des mesures d’aide immédiates de la part des gouvernements.

Dans l’ensemble du Québec, on dénombrait 97 637 personnes bénéficiaires de l’aide sociale sans contraintes à l’emploi en novembre 2022, comparativement à 75 286 personnes il y a un an, une augmentation de 30 %.

Délais pour le permis de travail

L’augmentation fulgurante du nombre de demandeurs d’asile au pays occasionne des délais plus longs pour la délivrance des permis de travail par le gouvernement canadien. Faute de pouvoir gagner leur vie légalement, les demandeurs sont contraints de rester bénéficiaires de l’aide sociale.

Étant donné les délais du gouvernement fédéral quant à l’obtention du permis de travail, les demandeurs d’asile demeurent en moyenne 10 mois et demi à l’aide financière de dernier recours.

Catherine Poulin, porte-parole du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale

En novembre dernier, Radio-Canada a rapporté qu’Ottawa mettait en place la Politique d’intérêt public temporaire visant à délivrer le permis de travail aux demandeurs d’asile un mois après leur arrivée plutôt qu’un an comme c’est souvent le cas actuellement.

« Le Québec suit de près les effets des initiatives annoncées par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) et l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) visant à réduire les délais de traitement », fait savoir Arianne Méthot, responsable des communications au ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI).

L’achalandage accru dans les bureaux d’Emploi-Québec vient avec une facture. Les prestations d’aide sociale sont passées de 85 millions en novembre 2021 à 105 millions pour le même mois en 2022, une inflation de 20 millions.

Dans le cadre du programme d’aide sociale, la prestation mensuelle moyenne versée s’élève à 801,50 $.

Le Québec assume les coûts d’un ensemble de services pour les demandeurs d’asile, dont l’aide financière de dernier recours, soutient le MIFI.

C’est le Programme régional d’accueil et d’intégration des demandeurs d’asile (PRAIDA) qui offre des services aux demandeurs d’asile et aux personnes en régularisation de statut. Sur son site web, le PRAIDA écrit que la couverture médicale des demandeurs d’asile est assumée par le Programme fédéral de santé intérimaire (PFSI).

Le gouvernement Legault mise toujours sur la conclusion d’une entente à long terme avec Ottawa pour que le fédéral rembourse les coûts encourus pour l’accueil des demandeurs d’asile, écrit le MIFI.

Chemin Roxham

L’affluence accrue à l’aide sociale coïncide avec la hausse spectaculaire du nombre de demandeurs d’asile qui entrent de façon irrégulière au pays par le chemin Roxham.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Les demandeurs d’asile arrivant au pays par le chemin Roxham sont interceptés sur-le-champ par la police.

En 2018, 18 215 demandes irrégulières d’asile au Québec ont été dénombrées, un sommet prépandémique, deux ans après que les migrants ont commencé à affluer sur le chemin Roxham. Ce chiffre a par la suite diminué en raison de la pandémie. Il a explosé l’an dernier. Plus de 39 000 demandes irrégulières ont été enregistrées l’an dernier.

Le système de demande d’asile canadien relève exclusivement du gouvernement fédéral en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, souligne le MESS.

Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada et la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada n’ont pas immédiatement donné suite aux demandes que nous leur avons adressées mercredi.

Lisez « Demandeurs d’asile : le milieu communautaire crie à l’aide »

Sept choses à savoir sur le chemin Roxham

  • Situé à Saint-Bernard-de-Lacolle, en Montérégie, il s’agit d’une voie d’entrée irrégulière de plus en plus populaire chez les demandeurs d’asile qui souhaitent venir au Canada depuis les États-Unis.
  • En vertu de l’Entente sur les tiers pays sûrs, conclue entre Ottawa et Washington en 2004, une personne ayant fait sa demande d’asile aux États-Unis sera refoulée au poste frontalier si elle veut entrer au Canada, et vice-versa, d’où la popularité du chemin Roxham.
  • Il fait les manchettes pour la première fois en 2016, lorsque la question des demandeurs d’asile fait surface dans l’espace public.
  • Après un sommet du nombre d’entrées en 2018, il est fermé en mars 2020 en raison de la pandémie, puis rouvert un an et demi plus tard, en novembre 2021.
  • L’an dernier, 39 171 demandeurs d’asile ont été interceptés au chemin Roxham, avec un sommet de 4689 interceptions en décembre, soit une augmentation de 26 % par rapport au mois précédent, ce qui semble indiquer que le phénomène ne connaît aucun répit.
  • Depuis quelques mois, environ 20 % des demandeurs d’asile qui arrivent par cette route sont transférés en Ontario, alors que les autres restent au Québec.
  • Le Québec assume tous les coûts liés à l’accueil des demandeurs d’asile, une facture qu’il transmet ensuite au fédéral en fonction du nombre de migrants accueillis durant l’année.

Vincent Larin, La Presse