(Ottawa) Trois pour cent des ménages locataires au pays ont vécu une expulsion de leur appartement, et ils risquent d’être encore plus nombreux dans cette situation en raison de l’aggravation de la crise du logement, préviennent les défenseurs des droits des locataires.

Les données de Statistique Canada diffusées vendredi montrent l’ampleur du problème : à l’échelle du Québec, cela signifie que près de 45 000 ménages ont été expulsés de leur logis en un an, selon les résultats de l’Enquête sociale canadienne, menée en 2023.

« Ça touche des milliers de personnes et c’est dramatique parce que ces gens se retrouvent souvent sans solution, doivent vivre dans un mauvais logement ou en colocation forcée, doivent imposer des déménagements fréquents à leurs enfants, et certains se retrouvent en situation d’itinérance », déplore Véronique Laflamme, porte-parole du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU). « C’est un scandale ! Des gens sont laissés à eux-mêmes dans des situations épouvantables. »

Les données de Statistique Canada ne l’étonnent pas, puisque les comités logements de partout au Québec sont débordés d’appels de locataires ayant reçu des avis d’éviction, qui ont besoin d’aide pour défendre leurs droits ou pour se reloger.

Ça risque d’aller en empirant dans les prochains mois. Les gouvernements n’en font pas assez pour éviter les hausses drastiques de loyers aux changements de locataires, c’est pourquoi on voit des drames humains.

Véronique Laflamme, porte-parole du Front d’action populaire en réaménagement urbain

En décembre dernier, le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ) dévoilait une étude montrant une hausse fulgurante du phénomène des évictions de locataires au Québec : en un an, le nombre d’évictions forcées compilé par le regroupement a plus que doublé, passant de 1525 cas en 2022 à 3531 cas pour 2023, une augmentation de 132 %. C’est sur l’île de Montréal qu’on note la plus forte augmentation du nombre de cas, avec 143 %.

« Évictions frauduleuses »

« On s’attend à ce qu’il y ait encore une augmentation l’an prochain, et dans la majorité des cas, ce sont des évictions frauduleuses », souligne Cédric Dussault, porte-parole du RCLALQ.

Dans certaines situations, un propriétaire a le droit d’évincer un locataire. « Mais il y a toutes sortes de situations où des propriétaires abusent et s’en tirent sans conséquence », s’insurge Véronique Laflamme.

Des statistiques du tribunal administratif du logement montrent aussi que le nombre de plaintes introduites ou relancées pour des reprises de logements a augmenté de 71 % entre 2020 et 2022.

Selon Statistique Canada, « parmi les principales raisons citées pour l’expulsion, il y avait le fait que le propriétaire souhaite occuper lui-même le logement (30 %), la vente de la propriété par le propriétaire (17 %) et l’expulsion des locataires pour effectuer des réparations ou rénovations majeures (4 %) ».

Même si la proportion relative d’expulsions pour faire des réparations ou des rénovations majeures est faible, les statisticiens soulignent que les « rénovictions » sont en forte hausse. Les données par provinces n’ont pas été divulguées, mais on donne l’exemple de Hamilton, en Ontario, où les rénovictions ont augmenté de 983 % entre 2017 et 2022.

« On remarque que cette année, les tactiques de rénovictions et de pressions indues sont en hausse plus que fulgurante […] en raison du manque de volonté du gouvernement québécois de s’attaquer réellement à ces pratiques crapuleuses », faisait valoir l’étude du RCLALQ de décembre dernier.

Logements sociaux

Les gouvernements fédéral et provincial, qui multiplient les annonces en habitation depuis le début de l’année, avec une accélération ces dernières semaines, soutiennent chacun de leur côté avoir agi pour éviter de tels abus.

« On veut protéger les droits des locataires et protéger les loyers. On a annoncé une Charte des droits des locataires ainsi qu’un fonds pour aider les organisations qui défendent les droits des locataires », a souligné Soraya Martinez Ferrada, ministre fédérale du Tourisme et députée d’Hochelaga, qui participait vendredi à Montréal à une annonce en matière de logement.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

France-Élaine Duranceau et Soraya Martinez Ferrada

La ministre québécoise responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, qui était présente au même évènement, a de son côté fait valoir que la nouvelle loi 31 prévoit des compensations financières plus importantes pour les locataires en cas d’éviction.

Cela ne satisfait pas les militants pour les droits des locataires. « Une compensation financière, ça ne donne pas un logement à la personne évincée », ironise Cédric Dussault.

Les gouvernements du Canada et du Québec annonçaient vendredi le financement de 12 projets de logements sociaux et abordables à Montréal, qui ajouteront un total de 763 appartements. Ces derniers ont été sélectionnés dans le cadre du deuxième appel de projets du Programme d’habitation abordable Québec (PHAQ). Les deux paliers de gouvernements ainsi que la Ville de Montréal participent au financement de ces projets.

Lutte contre l’itinérance et construction boostée

Pendant ce temps, le plan fédéral pour résoudre la crise du logement était dévoilé à Ottawa. Bien qu’une grande partie du plan ait été annoncée lors de la tournée prébudgétaire du gouvernement, plusieurs nouvelles mesures ont été présentées.

Le gouvernement fédéral a l’intention d’augmenter de 4 à 10 % le taux de déduction pour amortissement pour les appartements, ce qui augmentera le montant que les constructeurs peuvent déduire de leurs impôts.

Le plan prévoit également un milliard supplémentaire sur quatre ans pour lutter contre l’itinérance ainsi que 250 millions pour aider les communautés à mettre fin aux campements.

Les libéraux promettent de rendre plus de terrains fédéraux disponibles pour la construction résidentielle et empêcher les grands investisseurs d’acheter des maisons unifamiliales existantes.

D’autres éléments du plan comprennent la formation de travailleurs qualifiés, la facilitation de la reconnaissance des titres de compétences étrangers et l’augmentation de la productivité dans le secteur de la construction.

La mise en œuvre du plan de logement des libéraux dépendra en partie de la coopération des provinces et des territoires, dont certains ont déjà repoussé le gouvernement fédéral en raison de ce qu’ils considèrent comme un empiétement sur leurs compétences.