Malmenée par la pénurie de main-d’œuvre, une restauratrice montréalaise lance un cri du cœur et appelle le public à être indulgent envers des employés qui ne maîtrisent pas bien le français.

« Ce n’est pas par manque de volonté : moi aussi, ça m’insulte quand je ne suis pas servie directement en français. Mais avec le manque d’employés, c’est ça ou alors on doit fermer notre restaurant. »

Johana (nom fictif) est propriétaire d’un restaurant à Montréal depuis une dizaine d’années. Bien implantée dans son quartier, elle a une clientèle habituée qu’elle estime être anglophone dans une proportion de près de 75 %. Parmi ses employés, certains viennent d’arriver au Québec et ne parlent pas français.

Si je devais avoir des employés qui maîtrisent le français parfaitement, je ne pourrais ouvrir que 20 heures par semaine au lieu de 60.

Johana

L’entrepreneure francophone qui travaille elle-même six jours et demi par semaine dit vivre dans la crainte de recevoir de mauvais avis en ligne, un billet négatif sur les réseaux sociaux ou encore une plainte à l’Office québécois de la langue française (OQLF), qui a ouvert un nombre record de dossiers cette année.

Lisez Un nombre record de plaintes à l’OQLF

La pénurie de main-d’œuvre date d’avant la pandémie, dit-elle. « Il y a trois ans, on vivait le problème des gens qui ne se présentaient pas à leur entrevue ou à leur première journée. Aujourd’hui, on est ailleurs : il n’y a carrément personne qui postule. »

Johana dit avoir fait le test d’offrir 21 $ l’heure pour un poste de caissier. « Je n’ai reçu aucune candidature parce que c’était un poste où il fallait travailler le samedi et le dimanche. C’est à ce point-là », dit l’entrepreneure.

Devant l’absence d’employés, la restauratrice embauche des voyageurs de passage à Montréal. « Ils ont de l’expérience en restauration et en hôtellerie, ils sont travaillants. Ils sont parfaits, mais ils ne parlent pas français. »

Dans son restaurant, des employés unilingues anglophones préparent les livraisons et s’occupent de la caisse quand le client est anglophone. Lorsqu’un client francophone se présente, l’employé va rapidement chercher un collègue francophone.

« Notre crainte, c’est qu’un client francophone arrive quand l’employé francophone est en arrière. Ça peut prendre juste 30 secondes, mais on a peur que ça choque. »

C’est arrivé cet automne, quand une cliente s’est mise à poser de nombreuses questions à un employé anglophone qui lui répétait en français qu’il ne parlait pas français et que son collègue francophone arrivait dans un instant.

« La cliente a sauté sa coche. Elle criait après mon employé », dit Johana.

Déboulonner des mythes

À l’Office québécois de la langue française (OQLF), on note que, contrairement à l’idée souvent véhiculée, l’OQLF n’est pas là pour punir les commerçants, leur imposer des amendes, encore moins les pousser à fermer.

« Notre objectif, ce n’est pas d’être coercitifs : c’est de trouver des solutions », explique Chantal Bouchard, porte-parole de l’OQLF.

La Charte de la langue française stipule que les entreprises doivent offrir un service en français en tout temps.

Une personne qui croit que ses droits linguistiques n’ont pas été respectés peut déposer une plainte. Pour vérifier si une plainte est fondée, un inspecteur intervient, dit Mme Bouchard.

« Ensuite, si la plainte est fondée, un conseiller en francisation va contacter l’entreprise pour essayer de trouver des façons d’y arriver. On est dans la souplesse, dans la collaboration, dans la recherche de solutions. »

Dans 99 % des cas, l’OQLF et l’entreprise parviennent à trouver des solutions, dit Mme Bouchard. Les rares cas où il n’y a pas de collaboration de la part des entreprises, le dossier est confié au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), qui devra décider ou non de porter des accusations.

Pour l’heure, Johana tente d’être sur place le plus possible pour veiller à ce que tout se passe bien dans son restaurant. « Il faut que les gens comprennent qu’on aime le français, qu’on veut vivre en français, que les employés font des efforts pour apprendre et parler le français. Mais le manque de personnel, ça ne va pas se régler en quelques mois. C’est là pour de bon. »

Les jeunes moins préoccupés par le service en français

Chez les Québécois de 18 à 34 ans, les plus jeunes du groupe semblent juger moins important d’être servis en français dans les commerces que les plus âgés du même groupe. Une étude de l’Office québécois de la langue française portant sur l’utilisation des langues par les Québécois de 18 à 34 ans, parue vendredi, laisse voir cette tendance, tant chez les francophones que chez les allophones de 18 à 34 ans. Pour ce qui est des anglophones, 40 % ont dit préférer être servis en anglais et 40 % ont affirmé ne pas avoir de préférence linguistique. L’Office rappelle qu’en vertu de la Charte de la langue française, les entreprises sont tenues de respecter le droit des consommateurs de recevoir un service en français. L’OQLF souligne que durant l’exercice 2021-2022, il a reçu 6292 plaintes. Les plaintes touchant la langue de service représentaient 31 % de l’ensemble.

La Presse Canadienne

En savoir plus
  • 6292 
    Nombre de plaintes concernant de possibles contraventions à la Charte de la langue française reçues en 2021-2022 par l’Office québécois de la langue française (OQLF), soit le nombre le plus élevé depuis 10 ans.
    SOURCE : Office québécois de la langue française
    31 %
    Pourcentage de plaintes qui concernent la langue de service, le motif le plus fréquent. Ensuite viennent les sites web (25 %) et l’affichage public (16 %).
    SOURCE : Office québécois de la langue française