En 2007, La Presse vous présentait des jeunes qui avaient surmonté des épreuves avant de réussir à obtenir leur diplôme d'études secondaires. Des battants, courageux et déterminés. Dix ans plus tard, les revoici.

Mère et conseillère

Marie-Anne Martinez tenait dans ses bras son fils Evan, 2 ans, lors de notre rencontre en 2007. Leur photo, pleine d'espoir, a été publiée en une de La Presse. Désormais, Evan, 12 ans, est plus grand que sa mère. Quant à Marie-Anne, elle a toujours l'air d'une jeune femme. Normal : elle fête ses 28 ans aujourd'hui, le 10 juin.

Il y a 10 ans, Marie-Anne venait de finir son secondaire à l'école pour mères adolescentes Rosalie-Jetté de Montréal. Avec la meilleure moyenne de sa cohorte, rien de moins. Elle a poursuivi ses études, enfilant une technique en gestion de commerces, puis un certificat en anglais et un baccalauréat en gestion des ressources humaines à l'UQAM. Tout en élevant son fils, seule. « J'ai fait mon dernier examen en janvier », dit la nouvelle conseillère en ressources humaines.

C'est son père, heureux de son succès, qui a écrit à La Presse pour donner des nouvelles de sa fille. Marie-Anne aussi est fière, « surtout de ne pas avoir laissé tomber », indique-t-elle de sa voix toujours douce.

« IL FALLAIT QUE JE MONTRE L'EXEMPLE »

A-t-il été dur de concilier études et parentalité ? « Oui, répond-elle. Mais je ne pouvais pas mettre ma vie sur pause. Il fallait que je montre l'exemple à mon fils. Jongler avec les deux rôles n'a pas été facile, mais avoir un enfant, ce n'est pas un obstacle. Il faut se dire que la réussite est deux fois plus belle. »

Evan « est sensible, très intelligent, allumé, persévérant », décrit sa mère. « Un gros point positif, c'est que pendant que j'étudiais, j'ai pu être présente dans la vie de mon fils », souligne-t-elle.

Son conseil aux jeunes mères seules ? Utilisez les ressources disponibles, qui enlèvent « un énorme poids sur les épaules », dit-elle. Les Martinez ont ainsi habité au Projet Chance, qui offre des logements subventionnés aux mères étudiantes. « J'ai pu avoir accès à beaucoup de support et de services, comme des paniers de Noël, des cadeaux de Noël pour les enfants, des activités, etc. », énumère la jeune femme.

L'aide de ses parents a aussi été précieuse. « Quand j'avais un cours le soir, ils gardaient mon fils, témoigne-t-elle. À la mi-session et en fin de session, quand c'était difficile, je bénéficiais aussi de leur support moral. De nombreuses fois, surtout pendant mon parcours universitaire, j'ai frappé un mur. Mes parents étaient là pour m'écouter et m'encourager. »

MIEUX VALORISER LE PARCOURS DES GENS

Si la Montréalaise pouvait changer quelque chose, c'est le peu d'intérêt que portent les employeurs aux expériences acquises ailleurs qu'en classe ou au travail. « Je trouve malheureux que les qualités personnelles, la résilience et la détermination ne soient pas plus valorisées que ça », déplore-t-elle.

À 17 ans, Marie-Anne espérait travailler en commerce international et « voyager partout ». « Je n'ai pas pu le faire, constate-t-elle. J'ai un enfant et je suis sa seule répondante, alors j'ai pris un autre chemin. Mais ma carrière internationale, si j'en ai encore envie, je pourrai la faire quand mon fils volera de ses propres ailes. Pour l'instant, je veux être là pour lui. »

Photo Robert Skinner, La Presse

Marie-Anne Martinez et son fils Evan

Dans les nuages et enraciné

Quand on retrouve Philippe Raquepas, il a la tête dans les nuages. Littéralement. À une dizaine de mètres au-dessus du sol, il est juché sur le toit d'une grosse maison de Dollard-des-Ormeaux. Philippe est couvreur.

« C'est valorisant comme emploi, très gratifiant », explique-t-il après avoir descendu la longue échelle qui le ramène au sol. « On voit le résultat de son travail. Ce n'est pas tout le monde qui peut faire ça ! »

Il y a 10 ans, La Presse avait rencontré un adolescent qui allait obtenir son diplôme d'études secondaires, après avoir surmonté des problèmes de consommation de drogue et de manque de confiance en lui. Aujourd'hui, on est devant un homme de 29 ans, hâlé par le travail au grand air.

Ce qui lui plaît, dans le métier de couvreur ? « Les sensations fortes », répond-il avec le même grand sourire qu'en 2007. Il y a des choses qui ne changent pas. « Après l'école, ça n'a pas été un beau cheminement tout le long, raconte-t-il. J'ai eu de mauvaises passes, je suis retombé dans la drogue. Mais tout est rentré dans l'ordre. »

SE DONNER UN BUT

Philippe a d'abord fait un diplôme d'études professionnelles en carrosserie. « Une fois les pieds dedans, je me suis rendu compte que ce n'était pas pour moi. Je me suis recyclé dans la construction. Je travaille depuis trois ans pour la même entreprise, Couv-Toit », précise-t-il fièrement.

« Il faut se donner un but dans la vie, et faire ce qu'il faut pour l'atteindre », dit-il, prononçant les mêmes mots qu'il y a 10 ans. Son prochain objectif ? Déménager, en juillet, dans la maison qu'il a achetée avec son amoureuse, à Mascouche. « La famille s'est agrandie », fait valoir le couvreur. Leur fille, Élie, est née à l'Halloween. « L'infirmière qui a aidé à l'accouchement était déguisée en taco », s'amuse-t-il. Toujours ce sourire.

SOBRE

Un sourire que sa conjointe l'aide à garder. « Elle est dans le mouvement AA [Alcooliques anonymes] depuis trois ans, indique Philippe. Moi, je n'en fais pas partie, mais vivre avec quelqu'un qui ne consomme pas, ça m'aide. Je ne consomme rien. Rien du tout. »

« J'ai eu le privilège d'être bien encadré par mes parents et par des enseignants au secondaire, souligne-t-il. Surtout Denyse Mayano, qui m'a beaucoup appuyé. Je voudrais la remercier. » Philippe a la tête dans le ciel, mais les pieds enracinés.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Philippe Raquepas

De rêveur à ingénieur

« Cristian, ex-analphabète, futur ingénieur. » Prémonitoire, ce titre coiffait l'article relatant le parcours de Cristian Cabrera en 2007. Chilien d'origine, le jeune homme était retourné à l'école à 20 ans. Il comptait alors sur ses doigts et ne savait plus lire ni écrire. Après quelques années d'efforts soutenus, son diplôme d'études secondaires en poche, il rêvait grand.

Dix ans plus tard, Cristian n'a pas ralenti la cadence. Oh, que non ! Aujourd'hui âgé de 33 ans, il est ingénieur et père de... cinq enfants.

« J'ai fait une technique en génie industriel au cégep Ahuntsic, puis j'ai travaillé dans le domaine pharmaceutique, raconte le toujours affable jeune homme, retrouvé grâce à Facebook. J'ai alors rencontré des gens qui ont été des exemples pour moi. Ils ont ravivé mon rêve d'être ingénieur. »

Après avoir terminé des cours préalables en sciences, Cristian a été admis à Polytechnique, où il vient d'obtenir un baccalauréat en génie industriel. « Je travaille à temps plein depuis février, dit le Montréalais. Je suis content d'où je suis. Ça n'a pas été évident comme parcours, parce que j'ai aussi cinq enfants, âgés de 2 à 9 ans. Quand on étudie, on fait beaucoup de sacrifices. Les enfants font des sacrifices, eux aussi. On a moins d'argent, et la fin de semaine, au lieu d'aller jouer au parc, on doit étudier. Je l'ai fait pour leur donner un meilleur futur. Et une fierté. »

FAIRE SES CHOIX ET LES ASSUMER

Quel conseil donnerait-il au jeune qu'il était ? « Il faut faire ses choix et les assumer, tranche-t-il. Chercher un métier ou une profession qui nous intéresse et devenir bon là-dedans. L'idée, c'est de se positionner dans la société, de se faire une place. Après, tout est une question d'efforts. Il faut accepter les échecs aussi bien que les réussites. Et s'arranger pour avoir beaucoup plus de réussites... »

Ailleurs, les possibilités auraient été moins vastes pour lui. « On vit dans un pays où le gouvernement nous aide à étudier, souligne Cristian. Le coût des études est insignifiant, par rapport aux États-Unis. Et les employeurs sont prêts à donner une chance à un candidat plus âgé. »

« C'EST BEAU D'AVOIR UN OBJECTIF »

S'il avait une baguette magique, Cristian changerait une chose : le pessimisme de certains intervenants croisés sur sa route. « Il y en a qui nous marquent et nous motivent à poursuivre nos études, dit-il. Mais il y en a d'autres qui ne croient pas en nous. Au lieu d'étiqueter les étudiants comme des incapables, ils devraient les encourager. Il y a des gens très brillants, qui pourraient faire de belles carrières, après avoir eu une adolescence difficile. Il faut leur donner une chance et les appuyer. »

« Il faut être réaliste à un moment donné, c'est vrai, reconnaît-il. On ne deviendra pas tous astronautes. Mais c'est beau d'avoir un objectif. Un rêve. »

Il n'a pas été possible de parler à Cynthia Paquette, la quatrième battante présentée en 2007.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Cristian Cabrera

Un diplôme, ça ne change pas le monde, sauf que...

Est-ce que le taux de décrochage diminue au Québec ?

Oui. Parmi les jeunes Québécois qui ont commencé le secondaire à l'automne 1998 (ils ont aujourd'hui 31 ans), 56,6 % ont obtenu un diplôme d'études secondaires (DES) après cinq ans d'études, soit le délai normal. Dix ans plus tard, 62,3 % des élèves de la cohorte de 2008 (aujourd'hui âgée de 21 ans) ont obtenu un DES en cinq ans. C'est un bond de 5,7 %, selon des données fournies à La Presse par le ministère de l'Éducation.

En accordant deux ans de plus aux élèves, le taux de diplomation grimpe à 67,9 % pour la cohorte de 1998. Encore mieux, il atteint 72,7 % pour celle de 2008. Quant aux taux d'obtention d'un diplôme d'études professionnelles (DEP), il est d'un maigre 0,1 % après cinq ans d'études pour les deux cohortes. Après sept ans, il monte à 1,3 % (cohorte de 1998) et à 1,8 % (2008). On peut faire mieux.

Les décrocheurs arrivent quand même à trouver du travail, non ?

Pas tous. En 2015, 58 % des Québécois de 25 à 54 ans sans diplôme occupaient un emploi, selon Statistique Canada. Les titulaires d'un DES ou l'équivalent étaient toutefois plus nombreux - 77 % - à travailler, souligne Pierre Fortin, économiste à l'ESG-UQAM, dans une étude parue en 2016. Le taux d'emploi des diplômés du postsecondaire était encore plus élevé, à 86 %.

Dans la construction, ne peut-on pas bien gagner sa vie sans diplôme ? 

C'est rare. « Sans DEP dans la construction, tu ne vas pas loin, répond M. Fortin. Avec un DEP, il y a certainement encore de bonnes perspectives dans les spécialités du secteur. Cependant, les places sont limitées (et rationnées par les règlements de l'industrie). En 2016, au Québec, il y avait 140 000 travailleurs de tous les âges payés à l'heure dans la construction, ce qui ne représentait pas plus que 7 % de tous les salariés payés à l'heure au Québec. »

Quel est l'avantage d'être diplômé comme Marie-Anne, Philippe et Cristian, quand on a de 25 à 54 ans ?

Sans diplôme, le salaire annuel médian s'établissait à 31 600 $ en 2010 pour un travailleur québécois de 25 à 54 ans ayant occupé un emploi toute l'année à temps plein, selon Statistique Canada. Avoir un DES dans son curriculum vitae procure 20 % plus d'argent, soit 37 800 $. Avec un diplôme universitaire, le salaire annuel médian atteint 60 500 $, précise l'étude de M. Fortin.

« Il faut aussi regarder un peu plus haut, ajoute l'économiste. En Amérique du Nord, le rapport entre le salaire du diplômé collégial ou universitaire et celui du diplômé du secondaire s'est accru très significativement, en moyenne, depuis 35 ans. De 30 % en 1980 à 100 % aujourd'hui aux États-Unis et de 30 % à 45 % (donc moins) au Canada. Les changements technologiques, qui renforcent continuellement l'économie du savoir par rapport à l'économie des tâches routinières et de la force physique, vont pousser dans la même direction au cours des prochaines décennies. »

Avoir un diplôme du secondaire, ça ne change pas le monde, sauf que...

Sauf qu'acquérir un diplôme du secondaire devrait ajouter un demi-million de dollars constants de 2016 au revenu du diplômé sur l'ensemble de sa vie active, selon M. Fortin. Le gain financier individuel est de 519 000 $ à 453 000 $, selon l'âge d'obtention du diplôme (variant de 17 à 29 ans : plus on est diplômé jeune, plus c'est payant), d'après des projections conservatrices. L'État en retire aussi des bénéfices, puisque le diplômé paie plus d'impôts et de taxes, et a moins recours aux programmes sociaux. « L'avantage du diplôme n'est pas seulement économique, mais aussi psychologique et social », souligne le professeur émérite dans l'étude.

« Bref, le message aux jeunes doit être : Finis ton D.E.S., puis va au cégep, man, conseille avec humour M. Fortin. Si tu as décroché, reviens te raccrocher dans la vingtaine. Bien sûr, Céline Dion et Georges St-Pierre ont réussi sans DES, mais c'est à cause de talents exceptionnels, que tu n'as pas. »

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

L'économiste Pierre Fortin