La survie de la banane telle qu'on la connaît dans les supermarchés occidentaux est sérieusement menacée. Détails d'un assaut (qui n'a pris personne par surprise) et portrait d'un ennemi bien connu des autorités.

La banane consommée par les Occidentaux est la Cavendish. Depuis quelques années, plusieurs plantations de l'Australie, de l'Asie et même de l'Afrique ont été frappées par la maladie de Panama, qui détruit tout sur son passage. Si la maladie devait attaquer les plantations de l'Amérique latine, où est produite la majorité des Cavendish, cette belle banane jaune pourrait disparaître à jamais.

Description du suspect

C'est à Cuba, en 1910, que le responsable de la maladie de Panama a été formellement identifié: il s'agit du Fusarium oxysporum f. sp. cubense. L'épidémie qui détruit actuellement les plantations de Cavendish est toutefois une mutation de la maladie de Panama, le TR4. Ce champignon est redoutable puisqu'il peut rester dans le sol très longtemps et voyage avec la terre, sur des équipements agricoles ou même sur les chaussures des travailleurs. Il ne s'attaque qu'aux bananiers, mais les laisse dans un piteux état: l'intérieur de la plante est en bouillie et dégage une odeur fétide.

Crimes précédents

«La meilleure approche pour limiter la migration du TR4 est d'établir des protocoles qui préviendront ou retarderont sa propagation dans de nouvelles régions», explique Augustin Molina, du groupe de recherche Biodiversity International. La maladie de Panama a déjà frappé durement: elle a pratiquement rayé de la carte la banane Gros Michel, il y a 60 ans. La Gros Michel était alors la banane préférée des Occidentaux. Cette extinction a laissé la voie libre à la Cavendish, qui est alors devenue la banane d'exportation de choix, puisqu'elle était résistante à une première forme de la maladie de Panama.

Lent parcours

À la fin des années 60, c'est à Taiwan que la maladie de Panama est réapparue, s'attaquant cette fois... à la banane Cavendish. Il a quand même fallu quelques années avant de l'identifier. Plus tard, durant les années 90, le champignon a frappé les bananes Cavendish d'Indonésie et de Malaisie, puis attaqué les plantations australiennes. On l'a repéré au début des années 2000 aux Philippines et, depuis deux ans, à l'extérieur de l'Asie, en Jordanie, au Pakistan et au Liban. Cette année, le Mozambique a signalé l'arrivée de la maladie dans ses plantations.

Chronique d'une mort annoncée

En janvier 2003, un article publié dans le New Scientist prédisait la mort de la banane Cavendish 10 ans plus tard. La maladie de Panama frappait alors en Afrique du Sud et l'on estimait que le parasite allait trouver le moyen de se rendre jusqu'en Amérique latine, où poussent les plus importantes plantations de Cavendish. «Je ne crois pas que la Cavendish va s'éteindre complètement», nuance Augustin Molina, qui croit que certains scientifiques profitent de la propagation de la maladie pour prédire un «bananageddon» et subtilement faire la promotion du développement d'une banane transgénique.

Conséquences désastreuses

On oublie parfois que la banane est une denrée essentielle dans plusieurs pays en développement, dit le professeur Gert Kema, de l'Université de Wageningen, aux Pays-Bas, et coauteur d'un article sur la maladie de Panama publié dans le journal Plos Pathogens le mois dernier. Il y a peu d'investissements en recherche pour mettre au point des variétés plus résistantes. «Les ressources sont très limitées, dit-il, surtout si on les compare à celles d'autres cultures.» Et c'est ce qui fait qu'on se retrouve sans banane d'exportation de remplacement, à minuit moins une.

Défi technique

La création d'une banane hybride est compliquée, et si on n'a pas réussi à imposer une variété sur le marché, ce n'est pas faute d'avoir essayé. Les bananes Cavendish ont beau avoir une forme inspirant de bonnes blagues grivoises, elles sont stériles. «La Cavendish commerciale n'a pas de graines, explique Augustin Molina. Plusieurs variétés produites par les fermiers autour du monde, même celles pour consommation locale, n'ont pas de graines.» Cela complique grandement la vie des créateurs de variétés hybrides.

Proie facile

La plupart des bananes du monde sont consommées localement: seulement 15% de la production est destinée à l'exportation. Par contre, cette petite partie est pratiquement totalement constituée de Cavendish. En accaparant tout le marché d'exportation, on a mis en place des plantations de monoculture qui rendent la vie bien facile à un parasite qui peut faucher une plante après l'autre, toujours la même. Il existe des centaines de variétés de bananes dans le monde, mais contrairement à d'autres fruits et légumes, comme les pommes ou les pommes de terre, les épiceries nord-américaines ne tiennent généralement que la Cavendish.